Pour en finir avec la question
foncière,
régime foncier et appropriation
Le
débat sur la notion de spoliation que ce soit à
propos
des événements liés à la
colonisation ou à propos de la situation en corse au
travers l’action de la SOMIVAC,
porte en réalité sur ce qu’il convient
de retenir du régime foncier applicable.
La
plupart du temps les colons s’attaquent aux marges
foncières qui étaient de tout temps non
cultivées parce que situées sur des
terrains difficiles. Ainsi les légionnaires dans le
Haut-Languedoc ou les
colons, les uns dans les hautes terres empierrées
(Laurageais, Montagne Noire, et
jusqu’en Cévennes), les autres dans les terres
marécageuses de la Mitidja,
ont mis en valeur
des terres qui ne valaient rien d’un point de vue agricole.
Cependant ces
terres entraient dans le domaine foncier des autochtones comme terres
communes
donc non appropriées. Du point de vue du colon, il
n’y a
pas spoliation de
propriétés (sous-entendue
« privée »). Ce
n’est
évidemment pas l’avis
des autochtones qui, hors les cas d’accaparement des terres
ou
d’effet de la
pression fiscale (phénomènes
avérés) vont
également arguer de diverses
dimensions de l’utilité sociale de ces
terres : la
dimension sacrée,
parfois (voir la question aborigène en Australie, ou les
cimetières navajos,
aux Etats-Unis), mais plus sûrement le droit de pacage, droit
confisqué par
l’appropriation et la clôture, voire
l’exclusivité des terrains de chasse et de
cueillette. On retrouve ainsi l’éternel conflit
entre
agriculteurs et pasteurs,
ou entre agriculteurs et chasseurs-cueilleurs.
Dans
le cas de la
Corse, nous pouvons écarter
l’hypothèse du sacré : la
plaine paludéenne orientale n’a jamais
revêtu ce caractère, semble-t-il !
Nous ne ferons pas l’injure de considérer les
Corses comme des
chasseurs-cueilleurs au sens néolithique du terme. En
revanche, le pacage se
révèle contraignant puisque si la libre
circulation des bêtes s’effectue
pendant la période de reproduction et
l’été, soit toute la période
d’estive qui
se déroule en moyenne montagne, il touche
également les plaines au retour de la
transhumance en raison d’hivers doux, gelant ainsi
l’exploitation des grands
domaines fonciers. Ce système impose donc une
jachère permanente sur des terres
dont les propriétaires finirent par se
débarrasser par des ventes massives dans
les années Soixante à qui voulait bien acheter et
donc à des Rapatriés.
Quant
au régime foncier réel des plaines insalubres, il
était celui de terres sans valeur, non
attribuées, ou si elles l’étaient,
elles
revenaient aux filles qui se voyaient réserver la plus
mauvaise part de
l’héritage, « les terres
insalubres de la pjaghja,
qu’on ne voit pas du village », et dont la
cession à la SOMIVAC ne posait pas
problème, quel qu’en soit le prix. Une telle
attitude de la part des Corses
peut sembler naïve dès lors que ces plaines avaient
été assainies et lorsqu’on
connaît la fortune touristique qu’elles ont connu
(ceux qui ont cédé des
hectares désormais constructibles à Ile Rousse
s’en mordent encore les doigts),
mais l’assainissement datait d’une douzaine
d’années seulement et n’était
pas
une donnée bien assimilée d’autant que
les infrastructures d’exploitation
restaient à bâtir. Enfin, la fortune touristique
de ces terres était en
devenir.
Economiquement
parlant, en tenant compte des informations
disponibles à l’époque, la vente
n’était pas une mauvaise affaire. Les discours
sur la spoliation ne sont rien d’autre qu’une
reconstitution idéologique et ne
relèvent pas d’une analyse sereine de ce qui se
jouait alors.
Sources
Janine
Renucci, Corse traditionnelle et Corse nouvelle la
géographie d’une île, 1974, Audin
Idem, Corse, PUF, Que sais-je ? 1996