C’est une histoire de mythes et d’identité : la question corse qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout grâce à la
réécriture de l’Histoire de l’île et à la mythologisation de la langue


A la recherche de la nation corse 

 

Il est plus confortable de recouvrer une dimension nationale perdue que d’en créer une à partir de rien. C’est pourquoi les analyses corsistes décryptent le passé historique de l’île afin de trouver les traces archéologiques de la lutte séculaire d’une nation Corse introuvable autrement. Dans le triptyque traditionnel du discours nationaliste — revendication historique et culturelle, lutte contre les conditions économiques de dépendance ou contre le colonialisme, viabilité d’une situation d’indépendance —, l’invocation de la nation perdue veut contribuer à en alimenter le premier volet.

 La question posée est, en apparence, simple : la Corse fut-elle une Nation, et donc, a-t-elle vocation a en redevenir une ? La question revêt en réalité trois aspects plus complexes : la notion de Nation, l’existence d’un Etat ou de ses manifestations, la notion de peuple corse.

 La Nation mono-étatique est une rareté dans le monde et dans l’Histoire. Cela fut le cas en France, où si l'État précède la Nation, on a cherché à y intégrer des éléments précurseurs du sentiment national dès l’Ancien régime (politique de Philippe-Auguste[1], édit de Villers-Cotterets). L’identification de l’Etat à la Nation succède à celle de l’Etat avec le Souverain et se renforce avec la mise en place de systèmes d’appartenance illustrés par l’Ecole de la République, le service national et la symbolique républicaine (hymne national, indivisibilité, devise). Parfois, comme aux Etats-Unis, certains peuples manifestent la volonté de vivre ensemble et cherchent à créer l’Etat qui donnera la forme juridique à cette nation.

 Bien évidemment, et quel que soit le mode de formation de l’Etat, cela n’est nullement synonyme d’unité du peuplement. La chance de la France fut que la diversité des populations pouvant se reconnaître comme communauté se manifeste surtout aux marges (Flandres, Alsace-Lorraine, Bretagne, Corse, Pays Basque, Roussillon). L’Occitanie, elle-même n’est pas une, excepté dans les reconstructions d’universitaires toulousains ; en effet, quoi de véritablement unifié entre Gascons et Provençaux ? et la diversité des dialectes en l’absence d’un Etat occitan qui n’a jamais existé en tant que tel ne contribue pas à rapprocher les pays et parlers d’oc sans compter le positionnement original du Nissart.

Dans tous les cas, une nation est une communauté le plus souvent insérée dans des limites géographiques  (dans le cas contraire, les tsiganes par exemple, il faudrait sans doute parler de Peuples), et ayant conscience d’appartenir à un même groupe ou d’avoir une communauté de destin. Les éléments distinctifs ne sont pas à eux seuls significatifs, partout et tout le temps. Ainsi la culture et la langue ne suffisent pas à faire émerger ce sentiment d’appartenance (les Alsaciens ne se réduisent pas à la germanité, et les Etats-Unis se sont séparés du Royaume-Uni). Et que dire de la religion… ?

Nous n’esquiverons pas le problème, en renvoyant le lecteur à la notion de Peuple français, chère aux constitutionnalistes, puisque cette notion unitaire et constitutionnelle n’est pas une notion ethnique et n’est donc pas, en soi, opposable à un discours corsiste. L’exemple de la revendication algérienne d’un destin séparé du peuple français lors du déclenchement de la révolte de la Toussaint 1954 suffit à montrer que les incantations autour de la notion de peuple français et de République « une et indivisible » sont insuffisantes. Malgré tout, tordons immédiatement le cou à cette référence algérienne qui est une constante du discours corsiste, mais qui, là comme à d’autres endroits, est inappropriée. En effet, les droits du sujet algérien n’étaient pas ceux du citoyen français, que ce dernier fût corse ou non ! Les Algériens pouvaient à bon droit rétorquer qu’étant seulement sujets de droit français et non citoyens, ils ne pouvaient être assimilés au peuple français. Or l’indivisibilité de la République va de pair avec l’unicité du peuple français[2].

L’histoire récente montre pourtant que des citoyens peuvent se réclamer d’une Nation différente (ou d’un peuple) et entamer une démarche de séparation, alors même qu’ils bénéficiaient des mêmes droits, ainsi en est-il de l’ancienne Tchécoslovaquie ou de l’ancienne Yougoslavie, peut-être demain de la Belgique. Le détonateur en même temps que la raison profonde peut en être la différence de statut social, l’appartenance à un peuple jouant comme un marquage social difficilement surmontable, ou bien une différence religieuse ou culturelle marquée. Des exemples contraires de cohabitation pérenne peuvent être trouvés (la Suisse, l’Italie, voire l’Espagne malgré le Pays Basque). Ce n’est donc pas rédhibitoire, et il faut à la Corse, un cumul de spécificités qui aillent un peu plus loin que l’insularité même associée à la pratique d’une langue originale (encore faut-il réellement la pratiquer !). Il lui faut montrer qu’elle avait vocation depuis toujours à être indépendante. Et pourtant, elle ne l’a jamais vraiment été totalement, même pendant la période paoliste. Le paradoxe est donc frappant que celui d’une Nation qui se veut telle depuis toujours et qui n’arrive jamais à créer l’Etat qui lui assurerait la légitimité internationale.

 Mais y a-t-il vraiment paradoxe ? Ou plus exactement, la Corse s’est-elle toujours voulue telle ? Cette quête d’un Etat est-elle historiquement vérifiée, ou s’agit-il d’une analyse anachronique ? Et quand cette quête aurait existé, l’a-t-elle été pour elle-même ou s’agit-il de la traduction d’une révolte contre l’accaparement des richesses, la pression fiscale ou de la déstabilisation des clans familiaux opérée par l’occupant du moment, plutôt que d’un véritable sentiment national ? A cet égard, le rôle de la banque de Saint-Georges qui n’est pas un Etat ou bien la perception de la présence pisane mise en regard de l’occupation génoise par les Corses d’alors comme par ceux d’aujourd’hui, tendent à montrer que l’élément non corse n’est perçu comme attentatoire que lorsqu’il s’attaque à des intérêts partisans ou claniques et n’est jamais perçu comme une négation d’une nation corse et encore moins d’un Etat dont aucun Corse de ces époques n’a idée.

 Ainsi, c’est vers le roi de France que se tourne Sampieru Corsu, dont il est le condottiere ; il ne se pose nullement comme un champion de la nation corse. Ce n’est qu’au XVIIIè siècle, sous l’influence des Lumières que le discours proprement dit nationaliste prend quelque consistance.

 
Une histoire antique modeste malgré tous les discours

 
Ce n’est pas une période à fort enjeu aux yeux des corsistes malgré quelques incursions. La préhistoire de l’île reste modeste avec une première occupation ne remontant pas en-deçà du septième millénaire. A cette population succèdent l’installation des premiers néolithiques qui sont présentés comme les ancêtres des Corses, les descendants de la Dame de Bonifacio étant réputés éteints, sans certitude. Comme nulle certitude non plus n’accompagne le raccourci identifiant les premiers néolithiques aux ancêtres des Corses, assertion que l’on trouve ici ou là dans la bonne littérature corsiste.

 Cependant, une fois qu’on a parlé des Torréens (1500 ans avant J-C) pour démontrer une occupation humaine aux temps du bronze ancien et ainsi donner une antiquité vénérable qui ne le cède que de peu aux Sardes, une fois qu’on a évoqué les Lestrygons de l’Odyssée (pourtant Sardes !), une fois qu’on a parlé d’Aléria colonie massaliote (564 av. J-C) puis de colonisations successives depuis celle des Etrusques (aïe, déjà les Toscans !) jusqu’à celle des Romains, une fois qu’on a parlé du pauvre Sénèque et de son exil sans trop insister sur son appréciation péjorative des autochtones, et une fois qu’on a évoqué l’hypothétique séjour de Saint Paul, tout est dit.

 La Corse tout au long de cette période apparaît presque comme une terra incognita, voire comme une terre quasi inhabitée ou habitée par des sauvages [3]. Aucune cité ne se dote d’institution connue au-delà des mers et la Corse ne surgit vraiment dans l’Histoire que comme colonie massaliote, carthaginoise puis romaine (conquête en 259 av. J‑C et fondation de Mariana en 93 av. J-C par le consul Marius) ; elle est donc une terre qui accueille des occupants successifs contre qui elle ne se révolte pas, parce qu’alors les groupes humains en Corse ne se sont pas organisés au-delà des liens familiaux. La structure clanique est à peine émergente, et nous en sommes à ce moment indécis entre phratrie et tribu[4] où l’étape de la cité n’est atteinte qu’avec la colonisation phocéenne à Aléria. Mais, dans ce cas il ne s’agit nullement d’une évolution autochtone. Ce n’est donc pas à cette époque que l’on peut trouver les racines d’un sentiment national ou patriotique : nul Vercingétorix à l’horizon, aucun Cincinnatus, pas de Solon ou de Périclès, que cela soit comme héros mythique de l’identité, comme défenseur de la Cité ou comme législateur.

 A la chute de l’Empire, du Vè siècle au VIIIè siècle, la Corse change de mains sans cesse, Byzantins, Vandales, Ostrogoths, Byzantins à nouveau. L’île semble se dépeupler pour passer de 100 000 habitants environ (estimation sur les feux sans garantie)  à 20 000 habitants. La Corse connut la protection des empereurs francs avec la promesse de Pépin au Pape Zacharie en 754 de garantir ses territoires contre les visées lombardes (Donation de Quierzy), promesse qui ne devint effective qu’en 774 lorsque Charlemagne devint roi des Lombards. L’île entre dans le patrimoine de Rome mais par le bon vouloir des Francs. Voilà déjà un passé franc de mauvais aloi !

 A compter de la fin de la domination lombarde, la Corse se trouve en butte aux incursions sarrasines jusqu’au Xè siècle. Les Francs échouent à débarrasser la Corse des barbaresques et, en 828, le pape nomme un protecteur de l’île, le comte Boniface, pour lutter contre les Maures. Néanmoins, des colonies sarrasines s’installent parfois profondément dans les terres, et cette occupation maure permanente, en tant que telle, aurait duré deux siècles. Le terme de Maure laissera également des traces dans la toponymie ou les patronymes, ce qui incite, parfois, certains chantres de l’identité corse à se représenter l’île en creuset méditerranéen par excellence, selon un schéma parfaitement mythique associant de façon irénique, Rome, le Christianisme, et la civilisation arabe, alors même qu’aucune cohabitation organisée n’a existé au rebours de ce qu’on a pu observer en Sicile pendant la période normande[5]. Ce schéma mythique n’a, en réalité, qu’une seule vocation qui est d’ancrer résolument la Corse très au large du Continent, c’est-à-dire de la France.

Périodes pisane et génoise, loin de l’obscurité qu’on leur prête souvent

 Il n’empêche que la libération de la Corse n’est pas le fait des Corses, eux-mêmes (on a vu qu’il n’existait pas de structure étatique ni même de ligue de Cités permettant une action coordonnée). La libération de la Corse est un phénomène continu, conjuguant les efforts des Francs, des papes, des Pisans et… des Génois.

 En effet, en 1014, les Pisans, alliés aux Génois, et à la demande du Pape lancent une opération de protection de leurs comptoirs commerciaux, et s’engagent dans une reconquête systématique de l’île. De façon transitoire, en 1077, le Pape nomme vicaire pontifical de la Corse, Landolf, évêque de Pise. Avec l’arrivée de ce gouverneur, l’île se voit doter d’un embryon d’administration.

 Mais il ne sera pas dit que la Corse est rétive à tout enrichissement venant du continent. Ainsi, pendant longtemps, les historiens, quelle que soit leur obédience, s’accordaient à reconnaître à la période pisane beaucoup de qualités : construction de belles églises, certes, mais surtout, absence de la part de Pise d’une volonté d’ingérence trop pesante. Si l’on considère les conséquences économiques et sociales de la présence pisane, le bilan est plus mitigé. L’activité économique est florissante mais elle repose sur un commerce inégal avec la Toscane. Les marchandises provenant de l’exploitation de richesses naturelles de l’île sont exportées par les marins du Cap qui transportent, dans l’autre sens du sel, des épices, mais surtout, des produits de la mine (fer) ou des produits manufacturés comme les étoffes. Cet échange inégal n’est pas compensé par une activité économique dans l’île même. Ainsi, les Pisans n'ont pas tracé de routes, ont bâti peu d’édifices civils mais ont favorisé la monoculture intensive, châtaigneraies en Castaniccia ou oliviers en Balagne.

 L’absence d’enrichissement économique de la population autochtone provoque le délitement de la société corse, et le développement du banditisme, de la piraterie, et de ce qu’on pourrait appeler le clientélisme des grandes familles corses qui vont profiter des ambitions de Gênes pour faire monter les enchères de leur ralliement à l’une ou l’autre cité.

 Gênes, enrichie par les croisades, s’est érigée en grande rivale de Pise dans la partie occidentale de la Méditerranée. Partant, elle ne peut accepter longtemps la position dominante de Pise en Italie comme en Corse. En 1133, le Pape partage les évêchés corses entre les deux cités : Ajaccio, Aléria et Sagone, pour Pise et Mariana, le Nebbio et le mont Accia, pour Gênes. Durant les quelques décennies de luttes d’influence auprès du Pape comme de l’Empereur du Saint-Empire, chacune des deux cités avance ses positions stratégiques et ses comptoirs. Bonifacio devient génoise en 1195, mais en 1248, les seigneurs du Cap Corse s'inféodent à Pise. Vingt ans plus tard, Calvi est fondé par Gênes. Après la victoire navale de Gênes sur Pise, en 1284, tous les seigneurs font progressivement allégeance.

 

Si la période génoise devait durer cinq siècles, ce ne fut pas un long fleuve tranquille, et, là encore, la lutte contre « l’occupant » fut plus le résultat de stratégies extérieures à la Corse qu’une lutte de libération nationale, qui n’a aucun sens dans le contexte de l’époque. Ainsi, c’est le Pape, désireux de s'opposer à l'influence génoise, qui investit du royaume de Sardaigne et de Corse en 1297, le roi d'Aragon. Cependant, l'Aragon, qui s’intéresse à la Sardaigne relativement tôt (1326), laisse les Génois continuer à gérer, de fait, l’île voisine et en retirer le bénéfice commercial, au profit des grandes familles génoises et des quelques familles corses ralliées.

 En 1348, la grande peste décime près des deux tiers de la population, avec son cortège de famine et de pauvreté. La révolte populaire de 1358, empreinte de religiosité hérétique, avec le mouvement des giovanali, est menée par des paysans aisés, les caporali, décidés à remettre en cause la mise en coupe réglée de l’île par les seigneurs féodaux. Il ne faut pas s’y tromper, il s’agit d’une révolte de Corses plutôt favorables à Gênes contre des structures féodales autochtones. Le mouvement des caporali va l’emporter dans le nord de l’île, le Sud restant terre des seigneurs. Gênes promulgue alors un premier statut de la Corse qui va marquer jusqu’aujourd’hui la configuration de l’île, divisée en deux régions, l'En-deçà-des-monts et l'Au-delà des monts [6], placées sous l'autorité d'un gouverneur assisté d'un conseil dont les membres sont insulaires.

 Après un premier essai d’affermage à une société commerciale privée, la Maona, en 1378, Gênes confie la gestion et le gouvernement de la Corse à l'Office de Saint-Georges en 1453 qui l'administre jusqu'en 1562. Cette compagnie réussit enfin à établir la paix civile en écrasant les féodaux. Elle dote la Corse d'une organisation administrative, juridique et économique stable. L'Office de Saint-Georges met la Corse sur la voie du développement économique en favorisant l'agriculture et le commerce.

 

Jusqu’à ce point, le bilan génois est plus que présentable, et si des désordres vont encore affecter la Corse, c’est soit le résultat de luttes intestines locales ou la mise en œuvre de vengeances inexpiables soit l’effet de l’action d’intérêts extérieurs à l’île. Ce n’est, en tout cas, pas dû à la tentation d’une révolte anti-génoise, largement reconstruite après coup.

 

Un mythe enflé :  Sampiero Corso

 
La France, en guerre contre le Saint-Empire, ne pouvait que s’intéresser à une île si proche des côtes et à mi-chemin entre l'Espagne et l'Italie. Lorsque Gênes s’allie à Charles-Quint, le casus belli est patent, et, en 1553, Henri II envoie un corps expéditionnaire menée par une flotte franco-turque (!) auquel se rallient des mercenaires corses menés par Sampiero Corso. L'île entière est soumise à l'exception de Calvi puis de Bastia. Ahime ! Voilà de nouveau la Corse dans l’orbite du royaume de France.

 Le traité de Cateau-Cambresis restitue la Corse à Gênes en 1559. Mais Sampiero Corso, violemment opposé aux intérêts génois, continue à lutter jusqu'à son assassinat en 1567, assassinat qui est, d’ailleurs le fruit d’une trahison au profit de ses ennemis, épisode qui met à mal la réputation de solidarité et de défense contre l’occupant. Les circonstances de cette trahison sont d’ailleurs volontiers évoquées très rapidement dans les textes « grand public », tandis que la difficulté pour Gênes de venir à bout des bandes de Sampiero, est plus largement commentée.

 

Comment s’articule le discours corsiste entre détestation anti-génoise et souvenir pisan ému

 
Avec le retour de l’administration génoise, qui  succède à l'Office de Saint-Georges en 1562 et dote la Corse de "Statuts civils et criminels" et d'institutions en 1572, la Corse connaît une période d'ordre et de prospérité pendant un siècle et demi. L'agriculture est encouragée, ce qui favorise l'essor d'une notabilité paysanne tandis que la noblesse féodale achève de dépérir. En même temps, la bourgeoisie marchande s'affirme dans les villes. La population connaît son premier plateau de stabilisation (120 000 personnes environ) malgré le développement urbain de Bastia et d'Ajaccio en raison d’une première émigration corse vers Marseille (déjà !) et l'Italie. L’art monumental et religieux connaît lui-aussi un essor comparable à la période pisane. Alors quoi ? Cette paix génoise, comment s’en débarrasser dans les discours pro domo ? 

 

En vertu d’une loi commune, toute pièce a son revers, et qui dit développer un secteur, dit abandonner un autre. Passez muscade ! Ainsi l’argumentation sera simple : l’essor de l'agriculture se fait au dépend de l'élevage puisque les terres de pacage, y compris les estives, sont reprises pour la culture céréalière, ce faisant l’agriculture appauvrit donc les bergers.

 

Le glissement du discours est encore plus caricatural quand, s’agissant de cette époque de la Renaissance, on nous parle de caractère tyrannique d’un régime (quel régime est démocratique en Europe à cette époque ?). Les mots sont ceux d’aujourd’hui pour nous dire que Gênes aurait été alors ce que la France est supposée être aujourd’hui.

 

Néanmoins, il y avait bien du ressentiment, mais ce ressentiment mettait en cause la cupidité et la corruption des édiles génoises comme des édiles corses inféodées. Le ressentiment est aussi celui d’habitants en butte à la perpétuation de guerres villageoises ou familiales, état de guerre larvée qui ne permet que la survie alimentaire au mieux. Au début du XVIIè siècle, des révoltes sporadiques éclatent dans le Nord, notamment la fameuse guerre du Niolo. Selon les sources génoises, pas moins de 30 000 victimes [7] seraient à dénombrer dans la première moitié du XVIIè siècle. Pour un corsiste, ce n’est pas à mettre au compte d’une quelconque responsabilité corse dans le banditisme endémique et les guerres piévanes, mais au contraire, c’est bien le refus de Gènes d’exercer sa justice ou qui faillit dans son application qui est cause de la vendetta. On croit rêver : Gênes est trop là ou pas assez, c’est selon ! D’une certaine manière, on y retrouve le même discours tenu à l’égard de la France, tour à tour accusée d’abandon et d’ingérence.

 

En réalité, le discours corsiste est piégé par un autre mythe, à savoir que la lutte contre Gênes était générale et unissait tous les Corses (on a vu qu’il n’en était rien) et surtout que cette lutte était une forme de lutte nationale contre une domination étrangère. Or, cette domination génoise n’est qu’une des multiples guerres internes à l’aire italique : Pise conquise par Florence, et la République de Bologne par les armées du Pape, sans compter Venise qui annexe Brescia et Bergame, ou Naples Amalfi. De façon permanente, toutes les républiques maritimes que ce soit Gênes, Pise, Amalfi ou Venise furent en guerre, sur des périodes plus ou moins longues. De ce point de vue, Gênes n’est pas plus une république étrangère à la Corse que Florence ne le fut pour Pise, et la domination génoise comme celle de toutes ces républiques se réduit à une prise de possession par une puissance économique et financière des ressources de l’île et ne peut s’analyser comme la domination d’une nation (ce que n’est pas Gênes) sur une autre nation (ce que la Corse n’a jamais été).

 Ainsi se font les légendes : pendant longtemps, la présence civilisatrice de Pise aura été ainsi opposée à la brutalité et à la stérilité de la colonisation génoise, parions que d’ici quelques temps, les bienfaits génois seront à nouveau magnifiés, pour mieux souligner l’indifférence de la France, qui est pourtant supposée ne pas tant l’être, puisqu’elle est supposée exploiter la colonie corse.

 Comme une annonce de la future guerre d’indépendance américaine, c’est une émeute fiscale qui va relancer la donne en 1729. Que veulent-ils, ces insurgés ? La Nation insaisissable s’est-elle enfin révélée ? En réalité, les notables penchent plutôt du coté des Génois et se sont montré réticents. Cependant, certains d’entre eux comme Luigi Giafferi, Andrea Ceccaldi ou l’abbé Rafaelli d’Orezza prennent fait et cause pour la révolte, devant la détermination de la répression génoise, mais après des premiers succès en 1731. Cette première jacquerie est matée l’année suivante par Gênes qui a fait appel aux troupes de l’empereur Charles VI. Des concessions sont néanmoins accordées et reçoivent des garanties de l’empereur.

La Corse « matrice » du devenir démocratique au siècle des Lumières ?

 

A partir de ce point, nous entrons dans plusieurs décennies de soubresauts, deux révoltes, plusieurs reprises en main génoises, quatre interventions françaises et un roitelet. Manifestement il se passe des choses en Corse, mais c’est surtout l’attention portée par  l’intelligentsia européenne de l’époque à cette petite île qui mérite qu’on s’y arrête. En effet, l’écart entre l’importance des événements politiques et militaires locaux et celle prêtée par nos corsistes d’aujourd’hui aux écrits de Voltaires ou de Rousseau sur le sujet est véritablement sidérant.

 

Dès 1733, après le départ des troupes impériales, les révoltes reprennent dans le Rustinu dirigées par le père de Pascal Paoli, Ghjacintu. L'événement politique majeur de cette deuxième insurrection est la consulte nationale d’Orezza en janvier 1735 et sa déclaration d’indépendance. L'avocat Sebastiano Costa rédige la Constitution Corse. Après le bref interlude du roi de Corse Théodore, la convention franco-génoise de 1737 permet à la France de débarquer à Bastia en février 1738. Après un premier revers français à Borgo, les Corses se rendent en juillet 1739 et leurs chefs sont exilés à Naples, dont Paoli qui emmène son fils Pascal. Mais en 1741, au départ des Français de Corse, une troisième insurrection corse éclate qui aboutit à l’établissement d’une régence pour le royaume de Corse lors de la Consulte de Bozio, en mars 1743. Enfin, en novembre 1745, une alliance austro-sarde aide les Corses à s'emparer de Bastia, cependant celle-ci est reprise par les Génois en 1746. Les Français interviennent pour la deuxième fois en Corse en mars 1748 jusqu'en 1753 laissant l'île entre les mains des insurgés dont le chef, Gian Pietro Gaffori, a été élu Général de la Nation lors de la consulte d'Orezza en 1751. Après l’assassinat de Gaffori à Corte, le 3 octobre 1753, assassinat commandité par Gênes, Clément Paoli, fils aîné de Ghjacintu Paoli, est nommé à la tête de la régence.

 

Après quelques hésitations et un début de carrière dans le métier des armes à Naples, Pascal Paoli débarque le 29 avril 1755 à Aléria et est élu difficilement Général de la Nation le 14 juillet 1755. Il n’est d’ailleurs nullement accueilli comme un homme providentiel par les Corses et luttera âprement pendant deux ans contre des opposants déterminés, héritiers de Gaffori, et leurs partisans avant de s'imposer avec plus ou moins de continuité dans les pièves [8] de l’intérieur (en particulier dans le Deçà, et les pièves de la rive droite du Golo)  laissant les villes côtières sous contrôle génois et le Delà gardant une relative autonomie.

 Ainsi, soyons net, les insurrections corses touchent essentiellement l’intérieur où se tiennent les consultes, loin de l’autorité génoise. Ainsi, les places et pièves fidèles à Gènes ou qui ne peuvent être tenues de façon permanente représentent environ 85000 habitants sur 116000[9]. En outre l’au-delà des monts est assez hésitant, Paoli, lui-même, aura fort à faire pour y porter la bonne parole nationale quelques années plus tard. Les incursions sur la côte ne réussissent qu’avec l’appoint de troupes alliées comme lors de l’épisode austro-sarde, renfort qui n’est qu’une conséquence du jeu des alliances européennes lors de la guerre de succession d’Autriche.

 En novembre 1755, Paoli fait voter la constitution nationale corse à la consulte de Corte. Cette constitution instaure un embryon de système judiciaire proche des populations et à même de contrer la justice privée ; elle instaure également un gouvernement représentatif et établit la séparation des pouvoirs. C’est dans cette optique, que tout un discours est bâti sur une Corse qui fait l'admiration de l'Europe des lumières, notamment Jean-Jacques Rousseau, et de Voltaire, plus tard. Pour faire bonne mesure, tous de noter que la révolution Corse a précédé la guerre d’Indépendance américaine, et que la constitution de Corte a précédé celle de Philadelphie. C’est indéniable mais cela a-t-il eu véritablement un grand impact ? Ou, dit plus crûment, qui a vraiment cru à l’exemplarité de la Corse ? Ou bien encore,  l’Europe des Lumières visitant la Corse pour s’y ressourcer, n’est-ce pas également un mythe par l’enflure ?

 Osons un recensement littéraire. On nous cite un Ecossais bienveillant, et admiratif de la révolution corse, Boswell, mais ce n’est qu’un jeune aristocrate enthousiaste pas un diplomate ou un homme politique de premier plan, ni même de second rang. Quant à son Account of Corsica, Stevenson s’est bien promené dans les Cévennes ! Plus prestigieux, un Jean-Jacques Rousseau cite la Corse en exemple dans le Contrat Social et écrit une constitution corse qui n’a pas servi, les seuls textes constitutionnels ayant eu un minimum d’application furent la constitution de 1755 (dix ans plus tôt) et la constitution anglo-corse de 1794 pour l’éphémère vice-royaume de Corse. Ces quelques lignes ne tiennent de place dans l’œuvre de Rousseau que ce que les Corses imaginent ; je vous laisse comparer le poids de ces lignes à celle des lignes sur le ruban volé qui font encore les délices des professeurs de français de classe de Première. Et Voltaire ? Quoi, Voltaire ? Quelques épigrammes, un chapitre de dix-huit pages dans une œuvre mineure (le précis du siècle de Louis XV) voilà tout, d’ailleurs ne se préoccupait-il pas de ces événements que dans le but de rire aux dépens de Rousseau en prétendant être l’auteur des demandes des Corses d’un projet de constitution à ce dernier ? Tout cela est bien maigre malgré l’obstination des sites nationalistes de la Toile à racler les fonds de tiroirs.

 En réalité, les Européens du XVIIIè siècle n’avaient bien conscience que d’une chose : les affaires corses se réduisent à une lutte de pouvoir régional entre grandes puissances, et l’indépendance de la Corse, n’est qu’un miroir des espérances françaises mais, en elle-même, ce n’est pas vraiment important, c’est pour rire.

La Corse de Paoli n’a jamais été indépendante

 
Voilà Paoli rentré en Corse, ayant regroupé les Corses décidés à lutter contre Gênes. Il choisit Corte comme capitale de son gouvernement de la nation corse. Il souhaite également montrer qu’il contrôle toute l’île. Or, traditionnellement, l’occupation génoise a toujours été une occupation du littoral et des grandes vallées. Et, à ce moment, la République de Gênes tient encore fermement les côtes, en particulier, Calvi et Algajola mais aussi Bastia, le littoral oriental, Ajaccio et Bonifacio. Pour marquer d’une empreinte corse le littoral, Pascal Paoli leur donne une cité concurrente, en fondant en 1758, Ile Rousse sur l'emplacement d'une ancienne cité romaine, située stratégiquement entre les présides de Calvi et d'Algaiola.

 

La clef du contrôle de l’île, c’est aussi le contrôle de ses accès et de son commerce outre-mer. Aussi, pour lutter contre le blocus maritime génois, Paoli crée la seule marine de guerre corse qui ait existé, forte d’une flotte d'une quinzaine d’esquifs qui arborent le pavillon à tête de Maure. Autre mesure, celle-là emblématique dans tous les sens du mot, l’adoption comme drapeau national de la tête de Maure en 1760 en remplacement de l'Immaculée Conception de la Vierge se pose comme un acte de naissance de la patrie corse, et est un signe de reconnaissance pour tous ceux qui recherche l’indépendance de l’île.

 

On peut également citer la création, en 1760, d’une imprimerie nationale à Campulori qui publie les Ragguagli dell'Isola di Corsica (Rapports de l'île de Corse), sorte de journal officiel. Enfin les premières monnaies à l'effigie de la tête de Maure depuis l’épisode du roi Théodore, sont frappées en 1762 à Murato. Une université est créée à Corte, en janvier 1765.

 

Tous les éléments d’un Etat et d’une organisation indépendante de l’économie, des services et des structures administratives semblent ainsi se mettre en place en quelques années. Mais la Corse est-elle vraiment indépendante ? Une indépendance n’est concrète que lorsqu’elle est reconnue et lorsque l’Etat voulu par cette nation indépendante a effectivement le contrôle de tous les accès vers l’extérieur et vers l’intérieur du territoire national. En Corse entre 1755 et 1968, année de l’intervention française, nous sommes loin du compte.

 

Cette indépendance est-elle reconnue ? Elle ne l’est pas de Gênes, ni de la France ni d’aucun protagoniste du parti français dans la guerre de succession d’Autriche. Seuls quelques messages de sympathie de la part de l’Angleterre et l’envoi d’un nonce par le Pape sont à porter au crédit d’un début de reconnaissance. Cela n’est pas inexistant mais cela reste maigre, et un gouvernement qui n’est reconnu que par quelques pays sans contrôler de façon permanente l’intégralité d’un territoire n’est qu’un gouvernement provisoire. Tout au plus peut-on dire que, pour la première fois de son histoire, la Corse était alors sur le chemin de l’indépendance, les révoltes du passé n’ayant jamais dépassé le stade de la jacquerie ou de l’aventure condottière.

 

Y a-t-il eu contrôle effectif du territoire ? Pour en juger, faisons le point des pièves tenues par les paolistes. La Balagne reste fidèle à Gênes, à l’exception d’Ile Rousse fondée pour enfoncer un coin dans cette partie du littoral accessible par la mer. Le Cap Corse reste longtemps hostile, puisque ce n’est qu’en 1762, qu’il se rallie à la consulte de Luri. Les pièves de l’intérieur sont tenues mais Bastia, une partie de la plaine orientale et Bonifacio, on l’a vu, échappent aux paolistes. C’est donc le cinquième du territoire qui n’est pas contrôlé mais ces territoires abritent les deux tiers de la population et la plus grande partie des richesses, notamment la quasi-totalité des échanges extérieurs.

 

Il n’empêche, l’affaire n’a jamais été aussi grave pour Gênes. La République, si elle contrôle ce que Paoli ne contrôle pas, voit sa position en Corse sérieusement remise en question. En l’absence d’allié de poids auprès de Gênes, il est probable que la Corse aurait fini par être totalement indépendante. Le serait-elle restée ? L’Histoire ne le dit pas, mais, tout de même, il est remarquable que si, en 1764 après le traité de Compiègne et l’arrivée en novembre des troupes du Comte de Marbeuf, les paolistes font savoir à la France et à Gênes de se retirer, c’est en échange d’une reconnaissance par la nation corse de Gênes comme souveraine en titre. La seconde occasion de rechercher un minimum d’autonomie pour la Corse fut l’épisode bien connu du soi-disant royaume anglo-corse. Il vaudrait mieux dire « vice-royaume de Corse », tant le véritable souverain est bien celui du Royaume-Uni, représenté par un gouverneur portant le titre de vice-roi. Il s’est alors agi d’un statut plus apparenté à celui de l’Australie des commencements, qu’à celui d’un royaume véritablement anglo-corse, et non d’une indépendance réelle. Là encore, les Corses retournaient à leurs vieux démons : se trouver un protecteur.

 

La France avance progressivement ses pions pendant quatre ans à compter du traité de Compiègne, dans un rôle officiel de médiateur et, par le traité de Versailles du 15 mai 1768, Gênes incapable de reprendre définitivement l’initiative sur le terrain, cède la souveraineté de la Corse à la France pour dix ans en gage d'une dette annuelle, charge pour elle de mater la révolte. On se doute que ce tour de passe-passe n’a pas rencontré l’adhésion des paolistes. La conquête de la Corse se fait en deux campagnes. L’occupation du Cap en juillet 1768, se conclut par une grave défaite des Français à Borgo le 9 octobre 1768. Après la trêve hivernale, la seconde ne dure que quatre jours et se conclut par la victoire définitive des Français à Ponte Novo le 8 mai 1769. Pascal Paoli part alors en exil en Angleterre, le 13 juin 1769.

 
Contrairement à Gênes, la France, jusqu’alors, avait  eu relativement bonne presse en Corse, rappelons-nous l’épisode de Sampiero Corso, et avait conservé une influence entretenue par les contacts entre militaires français et corses. Néanmoins, après Ponte Novo et le départ de Paoli, des actes de résistances voire des révoltes comme dans le Niolo en 1774 ont perduré un temps. Un temps seulement, car de nombreuses familles ont fini par se rallier en renforçant le parti français. Quatre-vingt six d’entre elles devaient voir leur noblesse reconnue par Louis XV ou être anoblies tout simplement, en application de l’édit royal de 1770.

 

Il est patent que les mouvements de libération nationale ne sont jamais le fait des peuples eux-mêmes mais d’une élite intellectuelle déclassée, souvent formée à l’école de l’occupant. Il est tout aussi patent que les élites sociales, elles, s’accommodent souvent de la situation de dépendance où elles trouvent pouvoir et prébendes. L’opération réussit là où l’élite révolutionnaire prend directement le contrôle des populations en les encadrant ou en les terrorisant, et coupe les liens de clientèle avec les familles ou les clans ralliés à l’occupant. Mais, en Corse, les liens claniques restent trop puissants, aussi, le ralliement de quelques familles après la victoire militaire en entraîne d’autres, et tous de courir après les honneurs et l’agrégation à la noblesse de France. Du ralliement des élites à la Révolution qui installe le parti français dans ses meubles, qui met le paolisme en porte à faux et redistribue les cartes des alliances, de l’arrivée d’un Corse à la tête de l’Etat à une politique de reprise de contrôle de l’île par la politique de la carotte (Miot) et du bâton (Morand), l’enchaînement rapide des événements pousse la Corse vers la soumission d’abord puis un ralliement généralisé tout au long du XIXè siècle.

 Sous la royauté, les grandes familles corses obtiennent des concessions foncières et des places d’officiers royaux. Mais la Révolution Française va resserrer encore les liens, en faisant de la Corse un département et en la proclamant partie intégrante de la Nation en novembre 1789. S’en suivent des périodes de troubles (insurrection de la Petite Croix en 1798), des périodes de répression sévère sous le règne du Général Morand mais aussi des périodes de calme et des avantages octroyés, notamment fiscaux.

 C’est avec l’aventure coloniale, plus tard, que les Corses vont se doter d’un Empire Corse par France interposée, et c’est avec l’entrisme des Corses dans l’administration et le monde politique, que la Corse va enfler sa position au sein de l’ensemble français. Ce faisant, les Corses (mais non la Corse en tant que telle) vont obtenir un partage de pouvoirs comme ils n’en avaient jamais connu à une telle échelle.

 Bien sûr, les nationalistes d’aujourd’hui ne peuvent se satisfaire d’un pouvoir par procuration qui s’est payé par le renoncement à toute tentative suivie de développement interne et le renforcement des liens de clientèle, aussi entonnent-ils parfois l’air de l’Europe des Régions. Mais ce faisant, en voulant se fondre dans un espace non jacobin et plus lointain, ne rejouent-ils pas ce vieil air bien connu tout au long de l’histoire de l’île : trouvons un maître qui nous aide et ne nous demande rien ?

 On l’a vu tout au long de ce chapitre, il est difficile de parler au passé de vocation nationale contrariée. Certes il eut beaucoup de luttes mais ce furent des jacqueries ou des luttes partisanes au sens premier du mot (pour ou contre telle ou telle puissance italienne). Les quatorze années de gouvernement provisoire paoliste ne doivent pas faire illusion. Qu’y a-t-il de vraiment de différent en Corse, sur ce point, comparé aux guerres entre les cités italiennes ? Quant à prétendre qu’une île doit être indépendante pour des raisons culturelles, n’est-ce pas faire le grand écart en direction d’un irrédentisme honteux ? Pourquoi, en effet, dans ce cas, ne pas rattacher la Corse à l’Italie dont elle est proche par la langue ? Mais nous verrons dans le chapitre suivant, que la question de la langue est également un terrain sur lequel les contrevérités veulent forcer l’histoire.

 



[1] Début de centralisation administrative, lutte contre les seigneurs féodaux, affirmation de l’identité française face au Roi d’Angleterre vassal du Roi de France, conseillers issus de la bourgeoisie et surtout utilisation par la Chancellerie à compter de 1190 de l’expression REX FRANCIÆ (Roi de France) au lieu de REX FRANCORUM (Roi des Francs)

[2] A noter toutefois que l’interprétation de  la décision du Conseil constitutionnel n° 91-290 DC du 9/05/1991 "Statut de la Corse", censurant l'invocation du peuple corse comme composante du peuple français, peut être fondée non plus seulement ni même essentiellement sur l'indivisibilité de la République, mais plutôt sur l'unicité de la notion de peuple, unicité qui a valeur constitutionnelle puisqu’elle fonde la non discrimination entre les citoyens français. Voir à ce propos l’article de TURPIN (D.), "République et démocratie aujourd'hui : le juridique et le po­litique", Les Petites Affiches., 19 février 1993.

[3] Aussi bien le bon sauvage près de l’état de nature (Tacite) que l’être non civilisé, le barbare destructeur (Sénèque).

[4] Voir à ce propos les catégories étudiées dans « La Cité antique, étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome », Fustel de Coulanges, 1864

[5] Un certain nombre de monographies parues il y a quelques années (1998) proposent une lecture critique de la présence maure (Diunisu Luciani, a Corsica lli sarragini, ; réédition de la chronique de Della Grossa avec deux introductions d’Antoine Casanova et Mathée Giacomo Marcellesi, La Marge ; Fernand Ettori, La maison de La Rocca, Ed. Alain Piazzola). L’hypothèse de Corses demeurés ou redevenus païens et non maures doit sans doute être approfondie.

[6] Approximativement les départements modernes de Haute-Corse et Corse du Sud

[7] Soit 600 victimes par an en moyenne. Bien évidemment, le chiffre est difficilement vérifiable mais il n’est pas absolument invraisemblable. Au XIXè siècle encore, certaines années, les vengeances privées couchaient plus de 200 âmes dans les fosses des cimetières.

[8] Subdivision d’une juridiction dont l’emprise territoriale n’est guère éloignée de nos cantons.

[9] Comptage effectué à partir des données disponibles dans « storia veridica della Corsica », Francesco Maria Accinelli, , ms 1738 ?, Milan

 
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C’est une histoire de mythes et d’identité : la question corse qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout grâce à la
réécriture de l’Histoire de l’île et à la mythologisation de la langue


Allons plus loin déshabillons le paon pour découvrir le poulet qui est dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il eu une Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous Paoli ?


La Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse eut-elle un comportement si différent des autres provinces de la République française ? Le ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un destin ?


La petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle imaginé un Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des leçons à donner ?

Une fois l’Empire colonial effondré, que devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner à son passé glorieux mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les vendre à l'encan ?


Les mythes se portent bien, ils se sont même diffusés partout. Faut-il en rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou bien, au contraire, est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la réalité du monde moderne ?