A la
recherche de la nation corse
Il est plus confortable de
recouvrer une dimension nationale perdue que d’en
créer une à partir de rien.
C’est pourquoi les analyses corsistes décryptent
le passé historique de l’île
afin de trouver les traces archéologiques de la lutte
séculaire d’une nation
Corse introuvable autrement. Dans le triptyque traditionnel du discours
nationaliste — revendication historique et culturelle, lutte
contre les
conditions économiques de dépendance ou contre le
colonialisme, viabilité d’une
situation d’indépendance —,
l’invocation de la nation perdue veut contribuer à
en alimenter le premier volet.
La
question posée est, en
apparence, simple : la Corse fut-elle une Nation, et donc,
a-t-elle
vocation a en redevenir une ? La question revêt en
réalité trois
aspects plus complexes : la notion de Nation,
l’existence d’un Etat ou de
ses manifestations, la notion de peuple
corse.
La
Nation mono-étatique est une
rareté dans le monde et dans l’Histoire. Cela fut
le cas en France, où si l'État
précède la Nation, on a cherché
à y intégrer des éléments
précurseurs du
sentiment national dès l’Ancien régime
(politique de Philippe-Auguste,
édit de Villers-Cotterets). L’identification de
l’Etat à la Nation succède à
celle de l’Etat avec le Souverain et se renforce avec la mise
en place de
systèmes d’appartenance illustrés par
l’Ecole de la République, le service
national et la symbolique républicaine (hymne national,
indivisibilité,
devise). Parfois, comme aux Etats-Unis, certains peuples manifestent la
volonté
de vivre ensemble et cherchent à créer
l’Etat qui donnera la forme
juridique à cette nation.
Bien
évidemment, et quel que soit
le mode de formation de l’Etat, cela n’est
nullement synonyme d’unité du
peuplement. La chance de la France fut que la diversité des
populations pouvant
se reconnaître comme communauté se manifeste
surtout aux marges (Flandres,
Alsace-Lorraine, Bretagne, Corse, Pays Basque, Roussillon).
L’Occitanie,
elle-même n’est pas une, excepté dans
les reconstructions d’universitaires
toulousains ; en effet, quoi de véritablement
unifié entre Gascons et
Provençaux ? et la diversité des
dialectes en l’absence d’un Etat occitan
qui n’a jamais existé en tant que tel ne contribue
pas à rapprocher les pays et
parlers d’oc sans compter le positionnement original du
Nissart.
Dans tous
les cas, une nation est une
communauté le plus souvent insérée
dans des limites
géographiques (dans le cas contraire, les tsiganes
par exemple, il
faudrait sans doute parler de Peuples), et ayant conscience
d’appartenir à un
même groupe ou d’avoir une communauté de
destin. Les éléments distinctifs ne
sont pas à eux seuls significatifs, partout et tout le
temps. Ainsi la culture
et la langue ne suffisent pas à faire émerger ce
sentiment d’appartenance (les
Alsaciens ne se réduisent pas à la
germanité, et les Etats-Unis se sont
séparés
du Royaume-Uni). Et que dire de la religion… ?
Nous
n’esquiverons pas le problème, en renvoyant
le lecteur à la notion de Peuple français,
chère aux constitutionnalistes,
puisque cette notion unitaire et constitutionnelle n’est pas
une notion
ethnique et n’est donc pas, en soi,
opposable à un discours corsiste. L’exemple de la
revendication algérienne d’un
destin séparé du peuple français lors
du déclenchement de la révolte de la Toussaint
1954 suffit à montrer que les incantations autour de la
notion de peuple
français et de République
« une et indivisible » sont
insuffisantes.
Malgré tout, tordons immédiatement le cou
à cette référence
algérienne qui est
une constante du discours corsiste, mais qui, là comme
à d’autres endroits, est
inappropriée. En effet, les droits du sujet
algérien n’étaient pas ceux du citoyen
français, que ce dernier fût corse ou
non ! Les Algériens pouvaient à bon
droit rétorquer qu’étant seulement
sujets de droit français et non citoyens,
ils ne pouvaient être assimilés au peuple
français. Or l’indivisibilité de la
République va de pair avec l’unicité du
peuple français.
L’histoire
récente montre pourtant
que des citoyens peuvent se réclamer d’une Nation
différente (ou d’un peuple)
et entamer une démarche de séparation, alors
même qu’ils bénéficiaient des
mêmes droits, ainsi en est-il de l’ancienne
Tchécoslovaquie ou de l’ancienne
Yougoslavie, peut-être demain de la Belgique. Le
détonateur en même temps que la
raison profonde peut en être la différence de
statut social, l’appartenance à
un peuple jouant comme un marquage social difficilement surmontable, ou
bien
une différence religieuse ou culturelle marquée.
Des exemples contraires de
cohabitation pérenne peuvent être
trouvés (la Suisse, l’Italie, voire
l’Espagne
malgré le Pays Basque). Ce n’est donc pas
rédhibitoire, et il faut à la Corse,
un cumul de spécificités qui aillent un peu plus
loin que l’insularité même
associée à la pratique d’une langue
originale (encore faut-il réellement la
pratiquer !). Il lui faut montrer qu’elle avait
vocation depuis toujours à
être indépendante. Et pourtant, elle ne
l’a jamais vraiment été totalement,
même pendant la période paoliste. Le paradoxe est
donc frappant que celui d’une
Nation qui se veut telle depuis toujours et qui n’arrive
jamais à créer l’Etat
qui lui assurerait la légitimité internationale.
Mais
y a-t-il vraiment
paradoxe ? Ou plus exactement, la Corse s’est-elle
toujours voulue
telle ? Cette quête d’un Etat est-elle
historiquement vérifiée, ou
s’agit-il d’une analyse anachronique ? Et
quand cette quête aurait existé,
l’a-t-elle été pour elle-même
ou s’agit-il de la traduction d’une
révolte
contre l’accaparement des richesses, la pression fiscale ou
de la déstabilisation
des clans familiaux opérée par
l’occupant du moment, plutôt que d’un
véritable
sentiment national ? A cet égard, le rôle
de la banque de Saint-Georges
qui n’est pas un Etat ou bien la perception de la présence pisane mise en regard
de l’occupation
génoise par les Corses d’alors comme par ceux
d’aujourd’hui, tendent à montrer que
l’élément non corse n’est
perçu comme
attentatoire que lorsqu’il s’attaque à
des intérêts partisans ou claniques et
n’est jamais perçu comme une négation
d’une nation corse et encore moins d’un
Etat dont aucun Corse de ces époques n’a
idée.
Ainsi,
c’est vers le roi de France
que se tourne Sampieru Corsu, dont il est le condottiere ; il ne se
pose
nullement comme un champion de la nation corse. Ce n’est
qu’au XVIIIè siècle,
sous l’influence des Lumières que le discours
proprement dit nationaliste prend
quelque consistance.
Une
histoire antique modeste malgré tous les discours
Ce n’est
pas une période à fort enjeu aux yeux des
corsistes malgré quelques incursions.
La préhistoire de l’île reste modeste
avec une première occupation ne remontant
pas en-deçà du septième
millénaire. A cette population succèdent
l’installation
des premiers néolithiques qui sont
présentés comme les ancêtres des
Corses, les
descendants de la Dame de Bonifacio étant
réputés éteints, sans certitude.
Comme nulle certitude non plus n’accompagne le raccourci
identifiant les
premiers néolithiques aux ancêtres des Corses,
assertion que l’on trouve ici ou
là dans la bonne littérature corsiste.
Cependant,
une fois qu’on a parlé des Torréens
(1500 ans avant J-C) pour démontrer une
occupation humaine aux temps du bronze ancien et ainsi donner une
antiquité
vénérable qui ne le cède que de peu
aux Sardes, une fois qu’on a évoqué les
Lestrygons de l’Odyssée (pourtant
Sardes !), une fois qu’on a parlé
d’Aléria colonie massaliote (564 av. J-C) puis de
colonisations successives depuis
celle des Etrusques (aïe, déjà les
Toscans !) jusqu’à celle des Romains,
une fois qu’on a parlé du pauvre
Sénèque et de son exil sans trop insister sur
son appréciation péjorative des autochtones, et
une fois qu’on a évoqué
l’hypothétique séjour de Saint Paul,
tout est dit.
La
Corse tout au long de cette
période apparaît presque comme une terra
incognita, voire comme une terre quasi inhabitée
ou habitée par des sauvages .
Aucune cité ne se dote d’institution connue
au-delà des mers et la Corse ne surgit
vraiment dans l’Histoire que comme colonie massaliote,
carthaginoise puis
romaine (conquête en 259 av. J‑C et
fondation de Mariana en 93 av.
J-C par le consul Marius) ; elle est donc une terre qui
accueille des
occupants successifs contre qui elle ne se révolte pas,
parce qu’alors les
groupes humains en Corse ne se sont pas organisés
au-delà des liens familiaux.
La structure clanique est à peine émergente, et
nous en sommes à ce moment
indécis entre phratrie et tribu
où l’étape de la cité
n’est atteinte qu’avec la colonisation
phocéenne à
Aléria. Mais, dans ce cas il ne s’agit nullement
d’une évolution autochtone. Ce
n’est donc pas à cette époque que
l’on peut trouver les racines d’un sentiment
national ou patriotique : nul Vercingétorix
à l’horizon, aucun
Cincinnatus, pas de Solon ou de Périclès, que
cela soit comme héros mythique de
l’identité, comme défenseur de la
Cité ou comme législateur.
A la
chute de l’Empire, du Vè
siècle au VIIIè siècle, la Corse
change de mains sans cesse, Byzantins,
Vandales, Ostrogoths, Byzantins à nouveau.
L’île semble se dépeupler pour
passer de 100 000 habitants environ (estimation sur les feux
sans garantie) à
20 000 habitants. La Corse connut la
protection des empereurs francs avec la promesse de Pépin au
Pape Zacharie en
754 de garantir ses territoires contre les visées lombardes
(Donation de
Quierzy), promesse qui ne devint effective qu’en 774 lorsque
Charlemagne devint
roi des Lombards. L’île entre dans le patrimoine de
Rome mais par le bon
vouloir des Francs. Voilà déjà un
passé franc
de mauvais aloi !
A
compter de la fin de la
domination lombarde, la Corse se trouve en butte aux incursions
sarrasines
jusqu’au Xè siècle. Les Francs
échouent à débarrasser la Corse des
barbaresques
et, en 828, le pape nomme un protecteur de l’île,
le comte Boniface, pour
lutter contre les Maures. Néanmoins, des colonies sarrasines
s’installent
parfois profondément dans les terres, et cette occupation
maure permanente, en
tant que telle, aurait duré deux siècles. Le
terme de Maure laissera également
des traces dans la toponymie ou les patronymes, ce qui incite, parfois,
certains chantres de l’identité corse à
se représenter l’île en creuset
méditerranéen par excellence, selon un
schéma parfaitement mythique associant
de façon irénique, Rome, le Christianisme, et la
civilisation arabe, alors même
qu’aucune cohabitation organisée n’a
existé au rebours de ce qu’on a pu observer
en Sicile pendant la période normande.
Ce schéma mythique n’a, en
réalité, qu’une seule vocation qui est
d’ancrer
résolument la Corse très au large du Continent,
c’est-à-dire de la France.
Périodes
pisane et génoise, loin de l’obscurité
qu’on leur prête souvent
Il
n’empêche que la libération de
la Corse n’est pas le fait des Corses, eux-mêmes
(on a vu qu’il n’existait pas
de structure étatique ni même de ligue de
Cités permettant une action
coordonnée). La libération de la Corse est un
phénomène continu, conjuguant les
efforts des Francs, des papes, des Pisans et… des
Génois.
En
effet, en 1014, les Pisans,
alliés aux Génois, et à la demande du
Pape lancent une opération de protection
de leurs comptoirs commerciaux, et s’engagent dans une
reconquête systématique
de l’île. De façon transitoire, en 1077,
le Pape nomme vicaire pontifical de la
Corse, Landolf, évêque de Pise. Avec
l’arrivée de ce gouverneur,
l’île se voit
doter d’un embryon d’administration.
Mais
il ne sera pas dit que la
Corse est rétive à tout enrichissement venant du
continent. Ainsi, pendant
longtemps, les historiens, quelle que soit leur obédience,
s’accordaient à
reconnaître à la période pisane
beaucoup de qualités : construction de
belles églises, certes, mais surtout, absence de la part de
Pise d’une volonté
d’ingérence trop pesante. Si l’on
considère les conséquences économiques
et
sociales de la présence pisane, le bilan est plus
mitigé. L’activité
économique
est florissante mais elle repose sur un commerce inégal avec
la Toscane. Les
marchandises provenant de l’exploitation de richesses
naturelles de l’île sont
exportées par les marins du Cap qui transportent, dans
l’autre sens du sel, des
épices, mais surtout, des produits de la mine (fer) ou des
produits
manufacturés comme les étoffes. Cet
échange inégal n’est pas
compensé par une
activité économique dans
l’île même. Ainsi, les Pisans n'ont pas
tracé de
routes, ont bâti peu d’édifices civils
mais ont favorisé la monoculture
intensive, châtaigneraies en Castaniccia ou oliviers en
Balagne.
L’absence
d’enrichissement
économique de la population autochtone provoque le
délitement de la société
corse, et le développement du banditisme, de la piraterie,
et de ce qu’on
pourrait appeler le clientélisme des grandes familles corses
qui vont profiter
des ambitions de Gênes pour faire monter les
enchères de leur ralliement à
l’une ou l’autre cité.
Gênes,
enrichie par les croisades, s’est
érigée en grande rivale de Pise dans la
partie occidentale de la Méditerranée. Partant,
elle ne peut accepter longtemps
la position dominante de Pise en Italie comme en Corse. En 1133, le
Pape
partage les évêchés corses entre les
deux cités : Ajaccio, Aléria et Sagone,
pour Pise et Mariana, le Nebbio et le mont Accia, pour Gênes.
Durant les
quelques décennies de luttes d’influence
auprès du Pape comme de l’Empereur du
Saint-Empire, chacune des deux cités avance ses positions
stratégiques et ses
comptoirs. Bonifacio devient génoise en 1195, mais en 1248,
les seigneurs du
Cap Corse s'inféodent à Pise. Vingt ans plus
tard, Calvi est fondé par Gênes.
Après la victoire navale de Gênes sur Pise, en
1284, tous les seigneurs font
progressivement allégeance.
Si la
période génoise devait durer cinq
siècles, ce ne fut pas un long fleuve
tranquille, et, là encore, la lutte contre
« l’occupant » fut plus
le
résultat de stratégies extérieures
à la Corse qu’une lutte de libération
nationale, qui n’a aucun sens dans le contexte de
l’époque. Ainsi, c’est le
Pape, désireux de s'opposer à l'influence
génoise, qui investit du royaume de
Sardaigne et de Corse en 1297, le
roi d'Aragon. Cependant,
l'Aragon,
qui s’intéresse à la Sardaigne
relativement tôt (1326), laisse les Génois
continuer à gérer, de fait,
l’île voisine et en retirer le
bénéfice commercial,
au profit des grandes familles génoises et des quelques
familles corses
ralliées.
En 1348,
la grande peste décime près des deux tiers de la
population, avec son cortège de famine et de
pauvreté. La révolte populaire de 1358,
empreinte de religiosité
hérétique, avec le mouvement des giovanali,
est menée par des paysans
aisés, les caporali,
décidés à remettre en cause la mise en
coupe réglée
de l’île par les seigneurs féodaux. Il
ne faut pas s’y tromper, il s’agit d’une
révolte de Corses plutôt favorables à
Gênes contre des structures féodales
autochtones. Le mouvement des caporali va l’emporter dans le
nord de l’île, le
Sud restant terre des seigneurs. Gênes
promulgue alors un premier statut
de la Corse qui va marquer jusqu’aujourd’hui la
configuration de l’île, divisée
en deux régions, l'En-deçà-des-monts
et l'Au-delà des monts ,
placées sous l'autorité d'un gouverneur
assisté d'un conseil dont les membres
sont insulaires.
Après un
premier essai d’affermage à une
société commerciale privée, la
Maona,
en 1378, Gênes confie la gestion et le gouvernement de la
Corse à l'Office de
Saint-Georges en 1453 qui l'administre jusqu'en 1562. Cette compagnie
réussit
enfin à établir la paix civile en
écrasant les féodaux. Elle dote la Corse
d'une organisation administrative, juridique et économique
stable. L'Office de
Saint-Georges met la Corse sur la voie du développement
économique en
favorisant l'agriculture et le commerce.
Jusqu’à
ce point, le bilan génois est plus que
présentable, et si
des désordres vont
encore affecter la Corse, c’est soit le résultat
de luttes
intestines locales
ou la mise en œuvre de vengeances inexpiables soit
l’effet
de l’action
d’intérêts extérieurs
à
l’île. Ce n’est, en tout cas, pas
dû à
la tentation
d’une révolte anti-génoise, largement
reconstruite
après coup.
Un
mythe enflé : Sampiero Corso
La France, en guerre contre le
Saint-Empire, ne pouvait que s’intéresser
à une île si proche des côtes et
à
mi-chemin entre l'Espagne et l'Italie. Lorsque Gênes
s’allie à Charles-Quint,
le casus belli est patent, et, en 1553, Henri II envoie un corps
expéditionnaire menée par une flotte
franco-turque (!) auquel se rallient des
mercenaires corses menés par Sampiero Corso. L'île
entière est soumise à
l'exception de Calvi puis de Bastia. Ahime ! Voilà
de nouveau la Corse dans
l’orbite du royaume de France.
Le
traité
de Cateau-Cambresis restitue la Corse à Gênes en
1559. Mais Sampiero Corso,
violemment opposé aux intérêts
génois, continue à lutter jusqu'à son
assassinat
en 1567, assassinat qui est, d’ailleurs le fruit
d’une trahison au profit de ses
ennemis, épisode qui met à mal la
réputation de solidarité et de défense
contre
l’occupant. Les circonstances de cette trahison sont
d’ailleurs volontiers évoquées
très rapidement dans les textes « grand
public », tandis que la difficulté
pour Gênes de venir à bout des bandes de Sampiero,
est plus largement
commentée.
Comment
s’articule le discours
corsiste entre détestation anti-génoise et
souvenir pisan ému
Avec le
retour de l’administration génoise, qui succède
à l'Office de Saint-Georges en 1562 et dote la Corse de
"Statuts civils et criminels" et d'institutions en 1572,
la Corse connaît une période
d'ordre et de prospérité pendant un
siècle et demi. L'agriculture est
encouragée, ce qui favorise l'essor d'une
notabilité paysanne tandis que la
noblesse féodale achève de
dépérir. En même temps, la bourgeoisie
marchande
s'affirme dans les villes. La population connaît son premier
plateau de
stabilisation (120 000 personnes environ) malgré le
développement urbain de
Bastia et d'Ajaccio en raison d’une première
émigration corse vers Marseille
(déjà !) et l'Italie. L’art
monumental et religieux connaît lui-aussi un
essor comparable à la période pisane. Alors
quoi ? Cette paix génoise,
comment s’en débarrasser dans les discours pro
domo ?
En vertu
d’une loi commune, toute pièce a son revers, et
qui dit développer un secteur,
dit abandonner un autre. Passez muscade ! Ainsi
l’argumentation sera
simple : l’essor de l'agriculture se fait au
dépend de l'élevage puisque
les terres de pacage, y compris les estives, sont reprises pour la
culture
céréalière, ce faisant
l’agriculture appauvrit donc les bergers.
Le
glissement du discours est encore plus caricatural quand,
s’agissant de cette
époque de la Renaissance, on nous parle de
caractère tyrannique d’un régime
(quel régime est démocratique
en Europe à cette époque ?). Les mots
sont ceux d’aujourd’hui pour nous dire que
Gênes aurait été alors ce que la
France est supposée être aujourd’hui.
Néanmoins,
il y avait bien du ressentiment, mais ce ressentiment mettait en cause
la
cupidité et la corruption des édiles
génoises comme des édiles corses
inféodées. Le ressentiment est aussi celui
d’habitants en butte à la
perpétuation de guerres villageoises ou familiales,
état de guerre larvée qui ne
permet que la survie alimentaire au mieux. Au début du
XVIIè siècle, des
révoltes sporadiques éclatent dans le Nord,
notamment la fameuse guerre du
Niolo. Selon les sources génoises, pas moins de 30 000
victimes
seraient à dénombrer dans la première
moitié du XVIIè siècle. Pour un
corsiste,
ce n’est pas à mettre au compte d’une
quelconque responsabilité corse dans le
banditisme endémique et les guerres piévanes,
mais au contraire, c’est bien le
refus de Gènes d’exercer sa justice ou qui faillit
dans son application qui est
cause de la vendetta. On croit rêver :
Gênes est trop là ou pas assez,
c’est selon ! D’une certaine
manière, on y retrouve le même discours tenu
à l’égard de la France, tour
à tour accusée d’abandon et
d’ingérence.
En
réalité, le discours corsiste est
piégé par un autre mythe, à savoir que
la
lutte contre Gênes était
générale et unissait tous les Corses (on a vu
qu’il
n’en était rien) et surtout que cette lutte
était une forme de lutte nationale
contre une domination étrangère. Or, cette domination génoise
n’est qu’une des multiples guerres
internes à l’aire italique : Pise
conquise par Florence, et la République
de Bologne par les armées du Pape, sans compter Venise qui
annexe Brescia et
Bergame, ou Naples Amalfi. De façon permanente, toutes les
républiques
maritimes que ce soit Gênes, Pise, Amalfi ou Venise furent en
guerre, sur des
périodes plus ou moins longues. De ce point de vue,
Gênes n’est pas plus une
république étrangère à la
Corse que Florence ne le fut pour Pise, et la domination
génoise comme celle de toutes ces républiques se
réduit à une prise de
possession par une puissance économique et
financière des ressources de l’île
et ne peut s’analyser comme la domination d’une
nation (ce que n’est pas Gênes)
sur une autre nation (ce que la Corse n’a jamais
été).
Ainsi
se font les légendes :
pendant longtemps, la présence civilisatrice de Pise aura
été ainsi opposée à
la brutalité et à la
stérilité de la colonisation génoise,
parions que d’ici
quelques temps, les bienfaits génois seront à
nouveau magnifiés, pour mieux
souligner l’indifférence de la France, qui est
pourtant supposée ne pas tant
l’être, puisqu’elle est
supposée exploiter la colonie corse.
Comme
une annonce de la future
guerre d’indépendance américaine,
c’est une émeute fiscale qui va relancer la
donne en 1729. Que veulent-ils, ces insurgés ? La
Nation insaisissable
s’est-elle enfin
révélée ? En
réalité, les notables penchent plutôt
du
coté des Génois et se sont montré
réticents. Cependant, certains d’entre eux
comme Luigi Giafferi, Andrea Ceccaldi ou l’abbé
Rafaelli d’Orezza prennent fait
et cause pour la révolte, devant la détermination
de la répression génoise,
mais après des premiers succès en 1731. Cette
première jacquerie est matée
l’année suivante par Gênes qui a fait
appel aux troupes de l’empereur Charles
VI. Des concessions sont néanmoins accordées et
reçoivent des garanties de
l’empereur.
La
Corse
« matrice » du devenir
démocratique au siècle des
Lumières ?
A partir
de ce point, nous entrons dans plusieurs décennies de
soubresauts, deux
révoltes, plusieurs reprises en main génoises,
quatre interventions françaises
et un roitelet. Manifestement il se passe des choses en Corse, mais
c’est
surtout l’attention portée par
l’intelligentsia
européenne de l’époque à
cette petite île qui mérite
qu’on s’y arrête. En effet,
l’écart entre l’importance des
événements
politiques et militaires locaux et celle prêtée
par nos corsistes d’aujourd’hui
aux écrits de Voltaires ou de Rousseau sur le sujet est
véritablement sidérant.
Dès 1733,
après le départ des troupes
impériales, les révoltes reprennent dans le
Rustinu
dirigées par le père de Pascal Paoli, Ghjacintu.
L'événement politique majeur
de cette deuxième insurrection est la consulte nationale
d’Orezza en janvier
1735 et sa déclaration d’indépendance.
L'avocat Sebastiano Costa rédige la
Constitution Corse. Après le bref interlude du roi de Corse
Théodore, la
convention franco-génoise de 1737 permet à la
France de débarquer à Bastia en
février 1738. Après un premier revers
français à Borgo, les Corses se rendent
en juillet 1739 et leurs chefs sont exilés à
Naples, dont Paoli qui emmène son
fils Pascal. Mais en 1741, au départ des Français
de Corse, une troisième
insurrection corse éclate qui aboutit à
l’établissement d’une régence
pour le
royaume de Corse lors de la Consulte de Bozio, en mars 1743. Enfin, en
novembre
1745, une alliance austro-sarde aide les Corses à s'emparer
de Bastia,
cependant celle-ci est reprise par les Génois en 1746. Les
Français
interviennent pour la deuxième fois en Corse en mars 1748
jusqu'en 1753
laissant l'île entre les mains des insurgés dont
le chef, Gian Pietro Gaffori,
a été élu
Général de la Nation lors de la consulte d'Orezza
en 1751. Après
l’assassinat de Gaffori à Corte, le 3 octobre
1753, assassinat commandité par
Gênes, Clément Paoli, fils
aîné de Ghjacintu Paoli, est nommé
à la tête de la
régence.
Après
quelques hésitations et un début de
carrière dans le métier des armes à
Naples,
Pascal Paoli débarque le 29 avril 1755 à
Aléria et est élu difficilement
Général de la Nation le 14 juillet 1755. Il
n’est d’ailleurs nullement
accueilli comme un homme providentiel par les Corses et luttera
âprement
pendant deux ans contre des opposants déterminés,
héritiers de Gaffori, et
leurs partisans avant de s'imposer avec plus ou moins de
continuité dans les
pièves
de l’intérieur (en particulier dans le
Deçà, et les pièves de la rive droite
du
Golo) laissant les
villes côtières sous
contrôle génois et le Delà gardant une
relative autonomie.
Ainsi,
soyons net, les
insurrections corses touchent essentiellement
l’intérieur où se tiennent les
consultes, loin de l’autorité génoise.
Ainsi, les places et pièves fidèles à
Gènes ou qui ne peuvent être tenues de
façon permanente représentent environ
85000 habitants sur 116000.
En outre l’au-delà des monts est assez
hésitant, Paoli, lui-même, aura fort à
faire pour y porter la bonne parole nationale quelques
années plus tard. Les
incursions sur la côte ne réussissent
qu’avec l’appoint de troupes alliées
comme
lors de l’épisode austro-sarde, renfort qui
n’est qu’une conséquence du jeu des
alliances européennes lors de la guerre de succession
d’Autriche.
En
novembre 1755, Paoli fait voter la constitution nationale corse
à la consulte
de Corte. Cette constitution instaure un embryon de système
judiciaire proche
des populations et à même de contrer la justice
privée ; elle instaure
également un gouvernement représentatif et
établit la séparation des pouvoirs.
C’est dans cette optique, que tout un discours est
bâti sur une Corse qui fait
l'admiration de l'Europe des lumières, notamment
Jean-Jacques Rousseau, et de
Voltaire, plus tard. Pour faire bonne mesure, tous de noter que la
révolution
Corse a précédé la guerre
d’Indépendance américaine, et que la
constitution de
Corte a précédé celle de Philadelphie.
C’est indéniable mais cela a-t-il eu
véritablement un grand impact ? Ou, dit plus
crûment, qui a vraiment cru à
l’exemplarité de la Corse ? Ou bien
encore, l’Europe
des Lumières visitant la Corse pour
s’y ressourcer, n’est-ce pas également
un mythe par l’enflure ?
Osons
un recensement littéraire.
On nous cite un Ecossais bienveillant, et admiratif de la
révolution corse,
Boswell, mais ce n’est qu’un jeune aristocrate
enthousiaste pas un diplomate ou
un homme politique de premier plan, ni même de second rang.
Quant à son Account
of Corsica, Stevenson s’est bien promené
dans les Cévennes ! Plus
prestigieux, un Jean-Jacques Rousseau cite la Corse en exemple dans le
Contrat Social et écrit une constitution corse qui
n’a pas servi, les seuls
textes constitutionnels ayant eu un minimum d’application
furent la
constitution de 1755 (dix ans plus tôt) et la constitution
anglo-corse de 1794
pour l’éphémère vice-royaume
de Corse. Ces quelques lignes ne tiennent de place
dans l’œuvre de Rousseau que ce que les Corses
imaginent ; je vous laisse
comparer le poids de ces lignes à celle des lignes sur le
ruban volé qui font
encore les délices des professeurs de français de
classe de Première. Et
Voltaire ? Quoi, Voltaire ? Quelques
épigrammes, un chapitre de
dix-huit pages dans une œuvre mineure (le précis
du siècle de Louis XV) voilà
tout, d’ailleurs ne se préoccupait-il pas de ces
événements que dans le but de
rire aux dépens de Rousseau en prétendant
être l’auteur des demandes des Corses
d’un projet de constitution à ce dernier ? Tout
cela est bien maigre malgré
l’obstination des sites nationalistes de la Toile
à racler les fonds de
tiroirs.
En
réalité, les Européens du
XVIIIè siècle n’avaient bien conscience
que d’une chose : les affaires
corses se réduisent à une lutte de pouvoir
régional entre grandes puissances,
et l’indépendance de la Corse, n’est
qu’un miroir des espérances françaises
mais, en elle-même, ce n’est pas vraiment
important, c’est pour rire.
La
Corse de Paoli n’a
jamais été indépendante
Voilà
Paoli rentré en Corse, ayant regroupé les Corses
décidés à lutter contre
Gênes.
Il choisit Corte comme capitale de son gouvernement de la nation corse.
Il
souhaite également montrer qu’il
contrôle toute l’île. Or,
traditionnellement,
l’occupation génoise a toujours
été
une occupation du littoral et des grandes vallées. Et,
à ce moment, la République
de Gênes tient encore fermement les côtes, en
particulier, Calvi et Algajola
mais aussi Bastia, le littoral oriental, Ajaccio et Bonifacio. Pour
marquer
d’une empreinte corse le littoral, Pascal Paoli leur donne
une cité
concurrente, en fondant en 1758, Ile Rousse sur l'emplacement d'une
ancienne
cité romaine, située stratégiquement
entre les présides de Calvi et d'Algaiola.
La clef
du contrôle de l’île, c’est
aussi le contrôle de ses accès et de son commerce
outre-mer. Aussi, pour lutter contre le blocus maritime
génois, Paoli crée la
seule marine de guerre corse qui ait existé, forte
d’une flotte d'une quinzaine
d’esquifs qui arborent le pavillon à
tête de Maure. Autre mesure, celle-là
emblématique dans tous les sens du mot, l’adoption
comme drapeau national de la
tête de Maure en 1760 en remplacement de
l'Immaculée Conception de la Vierge se
pose comme un acte de naissance de la patrie corse, et est un signe de
reconnaissance pour tous ceux qui recherche
l’indépendance de l’île.
On
peut
également citer la création, en 1760,
d’une
imprimerie nationale à Campulori
qui publie les Ragguagli dell'Isola di Corsica (Rapports de
l'île
de Corse),
sorte de journal officiel. Enfin les premières monnaies
à
l'effigie de la tête
de Maure depuis l’épisode du roi
Théodore, sont
frappées en 1762 à Murato. Une
université
est créée à Corte, en janvier 1765.
Tous les
éléments d’un Etat et d’une
organisation indépendante de
l’économie, des
services et des structures administratives semblent ainsi se mettre en
place en
quelques années. Mais la Corse est-elle vraiment
indépendante ? Une
indépendance n’est concrète que
lorsqu’elle est reconnue et lorsque l’Etat
voulu par cette nation indépendante a effectivement le
contrôle de tous les
accès vers l’extérieur et vers
l’intérieur du territoire national. En Corse
entre 1755 et 1968, année de l’intervention
française, nous sommes loin du
compte.
Cette indépendance
est-elle reconnue ? Elle ne l’est pas de
Gênes, ni de la France ni d’aucun
protagoniste du parti français dans la guerre de succession
d’Autriche. Seuls
quelques messages de sympathie de la part de l’Angleterre et
l’envoi d’un nonce
par le Pape sont à porter au crédit
d’un début de reconnaissance. Cela n’est
pas inexistant mais cela reste maigre, et un gouvernement qui
n’est reconnu que
par quelques pays sans contrôler de façon
permanente l’intégralité d’un
territoire n’est qu’un gouvernement provisoire.
Tout au plus peut-on dire que, pour
la première fois de son histoire, la Corse était
alors sur le chemin de
l’indépendance, les révoltes du
passé n’ayant jamais dépassé
le stade de la
jacquerie ou de l’aventure condottière.
Y a-t-il
eu contrôle effectif du territoire ? Pour en juger,
faisons le point des
pièves tenues par les paolistes. La Balagne reste
fidèle à Gênes, à
l’exception
d’Ile Rousse fondée pour enfoncer un coin dans
cette partie du littoral
accessible par la mer. Le Cap Corse reste longtemps hostile, puisque ce
n’est
qu’en 1762, qu’il se rallie à la
consulte de Luri. Les pièves de
l’intérieur
sont tenues mais Bastia, une partie de la plaine orientale et
Bonifacio, on l’a
vu, échappent aux paolistes. C’est donc le
cinquième du territoire qui n’est
pas contrôlé mais ces territoires abritent les
deux tiers de la population et
la plus grande partie des richesses, notamment la
quasi-totalité des échanges
extérieurs.
Il
n’empêche, l’affaire n’a jamais
été aussi grave pour Gênes. La
République,
si
elle contrôle ce que Paoli ne contrôle pas, voit sa
position en Corse
sérieusement remise en question. En l’absence
d’allié de poids auprès de
Gênes,
il est probable que la Corse aurait fini par être totalement
indépendante. Le
serait-elle restée ? L’Histoire ne le dit
pas, mais,
tout de même, il est
remarquable que si, en 1764 après le traité de
Compiègne et l’arrivée en
novembre des troupes du Comte de Marbeuf, les paolistes font savoir
à la France
et à Gênes de se retirer, c’est en
échange
d’une reconnaissance par la nation
corse de Gênes comme souveraine en titre. La seconde occasion
de
rechercher un
minimum d’autonomie pour la Corse fut
l’épisode bien
connu du soi-disant
royaume anglo-corse. Il vaudrait mieux dire
« vice-royaume
de Corse »,
tant le véritable souverain est bien celui du Royaume-Uni,
représenté par un
gouverneur portant le titre de vice-roi. Il s’est alors agi
d’un statut plus
apparenté à celui de l’Australie des
commencements,
qu’à celui d’un royaume
véritablement anglo-corse,
et non d’une
indépendance réelle. Là encore, les
Corses retournaient à leurs vieux
démons : se trouver un protecteur.
La France
avance progressivement ses pions pendant quatre ans à
compter du traité de
Compiègne, dans un rôle officiel de
médiateur et, par le traité de Versailles
du 15 mai 1768, Gênes incapable de reprendre
définitivement l’initiative sur le
terrain, cède la souveraineté de la Corse
à la France pour dix ans en gage
d'une dette annuelle, charge pour elle de mater la révolte.
On se doute que ce
tour de passe-passe n’a pas rencontré
l’adhésion des paolistes. La conquête de
la Corse se fait en deux campagnes. L’occupation du Cap en
juillet 1768, se
conclut par une grave défaite des Français
à Borgo le 9 octobre 1768. Après la
trêve hivernale, la seconde ne dure que quatre jours et se
conclut par la
victoire définitive des Français à
Ponte Novo le 8 mai 1769. Pascal Paoli part
alors en exil en Angleterre, le 13 juin 1769.
Contrairement
à Gênes, la France, jusqu’alors, avait eu relativement bonne
presse en Corse, rappelons-nous l’épisode de
Sampiero Corso, et avait conservé une influence entretenue
par les contacts
entre militaires français et corses. Néanmoins,
après Ponte Novo et le départ
de Paoli, des actes de résistances voire des
révoltes comme dans le Niolo en
1774 ont perduré un temps. Un temps seulement, car de
nombreuses familles ont
fini par se rallier en renforçant le parti
français. Quatre-vingt six d’entre
elles devaient voir leur noblesse reconnue par Louis XV ou
être anoblies tout
simplement, en application de l’édit royal de
1770.
Il
est
patent que les mouvements de libération nationale ne sont
jamais
le fait des
peuples eux-mêmes mais d’une élite
intellectuelle
déclassée, souvent formée à
l’école de l’occupant. Il est tout aussi
patent que
les élites sociales, elles,
s’accommodent souvent de la situation de
dépendance
où elles trouvent pouvoir
et prébendes. L’opération
réussit là
où l’élite révolutionnaire
prend
directement le contrôle des populations en les encadrant ou
en
les terrorisant,
et coupe les liens de clientèle avec les familles ou les
clans
ralliés à
l’occupant. Mais, en Corse, les liens claniques restent trop
puissants, aussi,
le ralliement de quelques familles après la victoire
militaire
en entraîne
d’autres, et tous de courir après les honneurs et
l’agrégation à la noblesse de
France. Du ralliement des élites à la
Révolution
qui installe le parti français
dans ses meubles, qui met le paolisme en porte à faux et
redistribue les cartes
des alliances, de l’arrivée d’un Corse
à la
tête de l’Etat à une politique de
reprise de contrôle de l’île par la
politique de la
carotte (Miot) et du bâton
(Morand), l’enchaînement rapide des
événements pousse la Corse vers la
soumission d’abord puis un ralliement
généralisé tout au long du
XIXè
siècle.
Sous
la royauté, les grandes
familles corses obtiennent des concessions foncières et des
places d’officiers
royaux. Mais la Révolution Française va resserrer
encore les liens, en faisant
de la Corse un département et en la proclamant partie
intégrante de la Nation
en novembre 1789. S’en suivent des périodes de
troubles (insurrection de la
Petite Croix en 1798), des périodes de répression
sévère sous le règne du
Général Morand mais aussi des périodes
de calme et des avantages octroyés,
notamment fiscaux.
C’est
avec l’aventure coloniale,
plus tard, que les Corses vont se doter d’un Empire
Corse par France
interposée, et c’est avec l’entrisme des
Corses dans l’administration et le
monde politique, que la Corse va enfler sa position au sein de
l’ensemble
français. Ce faisant, les Corses (mais non la Corse en tant
que telle) vont
obtenir un partage de pouvoirs comme ils n’en avaient jamais
connu à une telle
échelle.
Bien
sûr, les nationalistes
d’aujourd’hui ne peuvent se satisfaire
d’un pouvoir par procuration qui s’est
payé par le renoncement à toute tentative suivie
de développement interne et le
renforcement des liens de clientèle, aussi entonnent-ils
parfois l’air de
l’Europe des Régions. Mais ce faisant, en voulant
se fondre dans un espace non
jacobin et plus lointain, ne rejouent-ils pas ce vieil air bien connu
tout au
long de l’histoire de l’île :
trouvons un maître qui nous aide et ne nous
demande rien ?
On l’a
vu tout
au long de ce chapitre, il est difficile de parler au passé
de vocation nationale
contrariée. Certes il eut beaucoup de luttes mais ce furent
des jacqueries ou
des luttes partisanes au sens premier du mot (pour ou contre telle ou
telle
puissance italienne). Les quatorze années de gouvernement
provisoire paoliste
ne doivent pas faire illusion. Qu’y a-t-il de vraiment de
différent en Corse,
sur ce point, comparé aux guerres entre les cités
italiennes ? Quant à
prétendre qu’une île doit être
indépendante pour des raisons culturelles,
n’est-ce pas faire le grand écart en direction
d’un irrédentisme honteux ?
Pourquoi, en effet, dans ce cas, ne pas rattacher la Corse à
l’Italie dont elle
est proche par la langue ? Mais nous verrons dans le chapitre
suivant, que
la question de la langue est également un terrain sur lequel
les contrevérités
veulent forcer l’histoire.
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