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Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
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La
Révolution
de Corse, phare des Lumières ?
Je
reviens sur ces événements des
« quarante ans de
révolution corse » qui se
succèdent presque sans discontinuer de 1729 à
1769 et que je n’ai que très brièvement
évoqués à propos de la question de la
nation corse. J’y reviens pour dévoiler un premier
mythe majeur et souligner où
sont les enflures et les déguisements historiques.
Toute
révolution commence par une ou plusieurs révoltes
parfois de
modeste ampleur mais qui se montrent à nous comme autant de
petits rus allant
grossissant. Si la préparation des esprits, et ce sera en
partie le cas dans
l’environnement intellectuel de l’Europe des
Lumières, accompagne ces
mouvements, ou si une classe sociale saisit l’occasion pour
s’emparer du
pouvoir, parce qu’elle se sent lésée
dans le partage des richesses ou est mal
représentée, alors la ou les révoltes
revêtent des habits neufs et mènent le
peuple au-delà de la jacquerie.
L’Histoire
propose des naissances somme toute peu variées aux
Révolutions. Trois motifs d’être
révolté existent,
l’intérêt de possédants
dépossédés, la jacquerie de paysans
sans terre ou d’artisans sans débouchés
après une période de disette et… le
fisc. Les révoltes de 1729 en Corse ont le
privilège de tous les réunir.
Plantons
le décor. Les Génois sont appelés en Corse en 1358 pour lutter contre les
seigneurs féodaux et,
après une période d’occupation purement
militaire, ils s’installent dans la
durée et encouragent la production
céréalière, Gênes manquant
cruellement de
blé. Les prêts consentis à cet effet,
permirent l’émergence d’une
première
vraie économie globale agricole et financière au
profit d’une élite insulaire
de propriétaires et de négociants, tôt
alliée aux nouveaux maîtres de
l’île, et
dont les fils fréquentèrent les
universités italiennes. Une nouvelle classe
apparaît, intellectuelle, cultivée,
toscanisée. Ces notables ont
bénéficié du
régime génois, mais le contrôle sur le
commerce restait détenu par Gênes qui
refusaient aux Corses l’accès aux fonctions
publiques importantes. Cette
situation pourrait être qualifiée de rapport de
force colonial qu’aggravait la
violence endémique d’une population qui, pour
obtenir justice, ne pouvait faire
confiance à des magistrats eux-mêmes souvent
corrompus.
La
terre, ensuite, fut pomme de discorde et notamment la situation
des terres communales, sur lesquelles les droits de pacages remontaient à des temps
immémoriaux. Or l’accaparement par les notables
des « communaux », et
la situation de blocage du développement de
l’économie insulaire cantonnée au
rôle de grenier de Gênes, ne pouvaient que rendre
tendue la situation et ne faire
dépendre l’accalmie que de la situation des
récoltes. Ainsi n’est-il pas
étonnant de constater précisément que
la révolte qui va éclater dans le Bozio a
suivi de près une année de mauvaise
récolte.
Enfin,
le fisc en rajoute alors que la mesure est comble, et nous
verrons que l’intrication de la lutte contre la violence, la
corruption des
magistrats, l’attachement des Corses à ses armes
signes de justice et de
liberté va constituer un mélange…
détonnant lorsque certains obtiendront le
droit de conserver des armes par le paiement d’une taxe qui
devint rapidement
l’objet de trafics et d’utilisations frauduleuses.
La
ou, plutôt, les révoltes de Corse qui commencent
en 1729 et
dureront quarante années font suite à une longue
période d’enrichissement des
propriétaires fonciers. Elles éclatent dans les
parties les plus avancées de
l’île sur une question de partage
équitable des richesses, de représentation
politique des classes privilégiés et de taxe,
comme plus tard ce sera le cas de
la révolution américaine, avec la bataille de la
taxe sur le thé (Boston Tea
Party, décembre 1773).
Ces
révoltes s’alimentent non seulement des tentatives
d’appropriation des communaux mais aussi des
règlements de compte entre pièves
ou entre clans, événements dans lesquels le
sentiment patriotique relève d’une
reconstruction d’une patrie fantasmée. En
réalité, le sentiment anti-génois est
un ressentiment contre l’autorité de ce qui est
perçu comme une Ferme Générale
plutôt qu’une résistance contre une
occupation étrangère. La Révolution de
Corse présente alors le paradoxe de
n’être ni une révolution de classe, ni
une
révolution nationaliste. Quelle est donc la nature de ces
événements
curieux ?
De la
jacquerie à la révolte
Dans les années 1728 et 1729, la
production de céréales fut presque nulle, et dans
certains endroits, la récolte
fut même déficitaire,
c’est-à-dire inférieure à la
quantité semée. A cette disette
vint s’ajouter la question fiscale liée au
détournement de l’interdiction des
armes, décidée en 1715, par le moyen
d’une patente de port d’armes qui était
devenu un droit coutumier alors que ce n’était,
à l’origine, qu’un système de
dérogation par le moyen d’une imposition de deux seini par foyer.
Cependant
on aurait tort de croire
que les jacqueries vont déboucher immédiatement
sur le terrain de la lutte générale
contre l’oppression génoise. Il s’agit
là d’une reconstruction à partir de ce
que nous apprend le déroulement postérieur des
événements. En effet, tout
démarre par des allers et retours entre des mesures de
police demandées par
certaines pièves, la question du port d’arme, la
question fiscale, et les
demandes d’aide alimentaire. Si le Magistrat
chargé des affaires corses auprès
du Sénat de Gênes fut bien sollicité,
en avril 1729, par l’un des notables
corses les plus en vue ,
pour convoquer le conseil des Nobles-Douze,
c’est d’abord et avant tout pour régler
les doléances des pièves
les plus touchées par les actions de rapines et de meurtres
des habitants de Nuceta. A cette demande touchant à
l’ordre public, le
gouverneur Pinelli
informe
le Magistrat de son impuissance, ne disposant pas de forces de
l’ordre
suffisantes ; en conséquence, il conseille
d’armer les plaignants ! Et
c’est seulement à l’occasion de la
réunion du conseil des Nobles-Douze en juin,
que la question du ravitaillement de secours en
céréales et la question de
l’abolition de l’interdiction des armes
à feu (et donc indirectement la
suppression de la taxe des deux seini) vont être enfin
abordées. Les secours en
céréales ne seront effectivement
demandés par le Gouverneur qu’en août,
et le
blé envoyé en novembre est de mauvaise
qualité, il est cher et, comble
d’ironie, doit être utilisé en
priorité pour l’armée.
Les
guerres privées qui
ensanglantent la Castagniccia pour des rivalités de pacage
ou de familles,
ajoutent à l’instabilité de ces
pièves qui vont du Nebbio à Casinca. Les
délégués de ces pièves
promettent au gouverneur de rétablir l’ordre.
Malgré
tout, un dialogue de sourd s’instaure entre d’une
part le Gouverneur et ses
lieutenants qui exigent le paiement de la taxe au port d’arme
alors qu’ils
n’assurent pas la paix publique, et certaines
pièves (Rostino, Bozio et le
Niolo) qui estiment que la taxe est désormais caduque,
arguant du délai limité
à 10 ans pour le dépôt des armes et non
renouvelé depuis 1725, ainsi que de l’obligation
de faire justice elles-mêmes. En janvier 1730, le gouverneur
envoie la troupe
pour mettre à la raison ces pièves montrant ainsi
de la fermeté là où il aurait
fallu de la conciliation, après avoir montré de
la faiblesse face aux actions
de rapines. Dès lors les décisions de refus de
l’impôt se succèdent, Aléria,
Tavagna, San Nicolao dès le mois de janvier 1730. En
février, le Gouverneur réunit
à nouveau le conseil des Nobles-Douze pour lui demander de
contribuer à
rétablir le calme, lequel conseil renvoie le Gouverneur
à la requête de l’année
précédente sur le même sujet de
l’abolition de l’interdiction des armes
à feu.
A
compter de ce moment, les
événements vont prendre une autre dimension. Du
refus de la taxe, certaines bandes
d’habitants de villages du Cap corse (il ne s’agit
nullement d’une armée corse
en marche !) investissent des dépôts
d’armes. Le Gouverneur cède et octroie la suspension de la taille mais non des seini pendant six mois.
Les
bandes s’avancent jusqu’à Bastia pour
faire pression et obtenir la satisfaction
de revendications qui désormais vont au-delà de
la question des deux
seini : restitution de toutes les armes
confisquées, réduction de la
taille et du prix du sel. La restitution de seulement 300 fusils, les
seuls
disponibles, sur les 12000 armes déjà
envoyées à Gènes, est jugée
inacceptable,
et les bandes qui se sont considérablement grossies, sans
doute plus d’un millier
de personnes armées, s’emparent de la citadelle.
D’autres points d’appui génois
sont assiégés, comme Patrimonio, Saint-Florent et
Algaiola, tandis que Rogliano
dans le Cap et Corte sont investis. Gènes commence alors
à mobiliser tout en
proposant aux Corses l’amnistie en cas de soumission.
Cependant
pendant toute cette
période, les actions des bandes corses restent non
coordonnées et sans
véritable suite. Les places sont tour à tour
assiégées, investies, abandonnées
puis réinvesties, mais surtout les attaques
règlent parfois de vieux comptes en
prenant prétexte de la fidélité
à Gènes, ainsi Vico qui attaque les Grecs de
Paomia, près de Cargèse, le Tavalo, Bocognano, la
Cinarca et le Sartenais
contre Ajaccio, Aullène contre Bonifacio.
Le
Gouverneur lance un ultimatum
pour le 25 mars qui a un effet certain puisque une dizaine de
pièves font leur
soumission sans compter celles qui avaient pris parti pour
Gènes dès le début.
Gènes envoie comme commissaire extraordinaire un ancien
Gouverneur, Girolamo
Veneroso, pour mater les récalcitrants. Ce dernier qui a une
interprétation
ouverte et équilibrée des raisons des jacqueries,
publie une amnistie générale
et obtient de Gènes des concessions, notamment sur le
recouvrement de la taille
confié à un percepteur élu par les
pièves. En revanche les autres requêtes sont
écartées notamment la limitation de la taille
limité à vingt sous par foyer,
l’autorisation du port d’armes assortie de
l’abolition des deux seini, la
diminution du prix du sel, des mesures de libéralisation des
échanges et du
commerce ainsi que les mesures concernant les
notables comme
l’admission aux évêchés et
abbayes ainsi qu’aux hautes fonctions civiles et
militaires ou les revendications spécifiques à la
noblesse corse.
Jusqu’à
la fin du mandat du gouverneur
Pinelli, les notables ont joué un rôle
d’intermédiaires entre les pièves et
Gênes, notamment au sein du conseil des Nobles-Douze,
certains se montrant plus
actifs et pressants que d’autres. Avec
l’arrivée en juin du nouveau Gouverneur
Giovanni Francesco Groppalo et du commissaire Camillo Doria en charge
du
maintien de l’ordre, Girolamo Veneroso est
écarté de la gestion des affaires
corses, jusqu’à son rappel en novembre. Les
notables vont peu à peu basculer
dans le camp de la révolte qui est
générale à la fin de
l’année 1730, face à
l’intransigeance
de Gênes qui estimait avoir déjà
suffisamment cédé avec la réduction
des
tailles de 25%, l’abolition de la taxe des Due Seini, ou la baisse du
prix du sel, toutes mesures
finalement accordées en juin. Ce ralliement des caporali
(notables) et
des nobles (principali) s’accélère
lorsqu’ils s’aperçoivent que leurs
propres
revendications ne sont nullement prises en compte.
La
consulte de Saint Pancrace de
Biguglia, convoquée en septembre par des
mystérieux « capi
della nazione corsa » se tient le 22
décembre et élit
généraux de la Nation, un
ecclésiastique Carlo Francesco Raffali, et deux
notables Luigi Giafferi et Andrea Ceccaldi. Mais qu’on ne
s’y trompe pas. Ce ne
sont que des notables mais tous les notables ne sont pas
représentés et ce ne
sont pas toutes les pièves qui ont basculé. Dire
que le centre de l’île dès
cette époque échappe à
l’autorité génoise force quelque peu le
trait : en
fait, les Génois n’ont jamais
véritablement occupé toutes les
pièves, ils n’intervenaient habituellement
dans le centre de l’île que pour la perception des
taxes, et les insurrections
de 1729 et 1730 qui commencèrent comme de simples jacqueries
antifiscales
rendirent, de fait, un peu plus autonomes des pièves qui
l’étaient déjà en
temps normal. Pendant les insurrections, la côte
s’est soigneusement tenue à
l’écart, tout comme les habitants du Cap corse ou
de l’au-delà des monts,
terres de seigneurs hostiles aux bouleversements affectant un mode de
partage
des richesses avec Gênes qui leur convenait. Enfin, les
rivalités familiales
étaient pour beaucoup dans le ralliement de tel ou tel.
Beaucoup de Corses ont
combattu d’autres Corses dans les rangs des
régiments génois. Parmi les
insurgés, peu avaient l’idée
d’une véritable indépendance, beaucoup
n’avaient
pour horizon que l’obtention de concessions majeures de la
part de Gènes ou, au
mieux, trouver un autre maître, et, d’ailleurs, y
compris sous Paoli, la
recherche d’un protectorat tiendra lieu de revendication
patriotique, au point,
et ce dès le début,
d’inquiéter la France qui ne souhaitait pas voir
la Corse
se transformer en plateforme méditerranéenne de
la couronne d’Espagne ou de
celle d’Angleterre comme on le verra bientôt.
De la
révolte à la Corse libre
Jusqu’à la fuite des principaux
notables meneurs dont Ghjacintu Paoli qui part pour Naples avec son
fils en
1739, après la première intervention
française, la première décennie fut
celle de
la recherche d’un cadre institutionnel propre à
permettre à la Corse d’exister,
libre des attaches génoise mais non réellement
indépendante. Les consultes se
multiplient durant le premier semestre 1731, de celle de
février à Corte à
celle du Bozio en mai, où l’on établit
des principes d’organisations militaire
et civil, un code de lois civiles et criminelles, une levée
d’un impôt de
guerre, le mode de fonctionnement d’un gouvernement et
l’organisation
territoriale.
Des
médiations pacifiques sont
demandées, tandis que Gênes reste sur ses
positions et que les chefs militaires
corses s’arment. Les puissances européennes, sous
la pression de Gênes,
interdisent le commerce des armes à destination de la Corse
et se voient
assigner une liste limitative de ports autorisés au trafic
maritime commercial.
Par ailleurs l’empereur d’Allemagne vole au secours
de Gênes par l’envoi d’un
corps de 3600 hommes et de fonds immédiatement disponibles
pour les frais de
maintien de l’ordre. Wachtendonck, commandant les troupes
allemandes, accepte
de négocier avec les deux généraux
corses, Giafferi et Ceccaldi, car il se rend
compte de l’insuffisance de ses effectifs. De leur
côté les Corses cherchent
encore un accord avec Gênes en échange de
l’acceptation de leurs revendications
par l’entremise de l’Empereur
d’Allemagne. Tant les réponses de
l’empereur que
l’intransigeance de Gênes transforment cette
année 1731 en année des dupes, ce
qui n’empêche nullement d’ultimes
tentatives des Généraux corses
d’obtenir un
accord négocié début 1732.
Les
principaux chefs de la
rébellion corse dont les deux Généraux
sont consignés après quelques jours de
négociation en mai de la même
année ; ils seront embarqués pour
Gênes en
juin, les autres otages seront emprisonnés à
Bastia. Pendant ces quelques mois,
Gênes a été invitée
à répondre aux doléances des Corses
par l’Empereur mais
recule sans cesse l’échéance et a pris
des mesures de rétorsions contre les
meneurs, ce qui finit par indisposer
l’Empereur qui exige, en
août, que Gênes satisfasse à ses
engagements de
recevoir et étudier les doléances, et de
libérer les prisonniers.
L’élargissement
de ces derniers ne sera effectif qu’en avril de
l’année suivante en application
des concessions génoises, données
parcimonieusement.
Le
film des événements de 1731 à
1733 est bien représentatif de la série
d’avancées et reculades de toutes les
parties en présence, de même de
l’ingérence plus ou moins
déterminée des
nations étrangères que l’on verra se
déployer tout au long des quatre décennies
de rébellion, jusqu’à ce que la France,
un peu Grippeminaud, mette d’accord les
plaideurs. Il est non moins clair que, tout au long de la
première décennie,
les Corses chercheront moins l’indépendance que la
redéfinition des liens avec
la République de Gênes, ou, au mieux, la
protection de puissances européennes.
Le
nouveau commissaire général
Paolo Geronimo Pallavicini développe une politique de
contrôle des armes et de
mesures policières qui va mettre le feu aux poudres. Et,
dès 1734, c’est
reparti ! En janvier 1734, la consulte du couvent
d’Orezza appelle à la
poursuite de la lutte, en portant un triumvirat à la
tête des insurgés. Il est
assez significatif que le premier mandat confié à
ce triumvirat se limite, dans
un premier temps, à fédérer les
révoltes qui restaient éclatées entre
certaines
pièves, certaines sont même divisées
contre elles-mêmes telle la Balagne dont
la moitié proclame son allégeance à
Gênes en proposant un système
confédéral. Puis
le triumvirat déploie un programme de conquête de
régions nouvelles pour les amener
à grossir les rangs de la révolte. Ainsi
Ghjacinto Paoli se voit confier la
conquête de Corte, Ambrosi doit soulever le Cap et Giovannoni
doit occuper une
partie du Rustinu pour empêcher le passage des troupes
génoises. En réalité,
les insurgés contrôlent très peu de
territoires. Il faudra attendre septembre
pour qu’une énième consulte, celle du
couvent d’Ornano, proclame l’adhésion de
l’au-delà des monts. Malgré tout, le
but réel de ces divers mouvements relève
de la gesticulation pour faire poids et entamer des
négociations avec de
meilleures chances de succès. Ainsi, en octobre,
débutent toute une série de
démarches, jusqu’à
l’épisode du Roi de Corse, Théodore de
Neuhoff, qui va
permettre à Gênes de parier sur le pourrissement
de la situation. Des
tentatives de négociations centrées sur la
liberté des armes sont menées par
Ghjuvan Petru Gaffori de Corte auprès des commissaires
génois, tandis que des
appuis sont recherchés par des
réfugiés corses auprès de
l’Espagne, sans vrai
succès, d’ailleurs. Si en janvier 1735, la
consulte d’Orezza proclame
l’indépendance dans une atmosphère
d’incertitude quant à la
fidélité de
plusieurs pièves à ce projet,
l’au-delà des monts fait volte-face, satisfait de
la politique du commissaire génois Grimaldi nommé
dans le sud de l’île et
plusieurs pièves, malgré certaines promesses
d’aide de la part de l’Espagne,
préconisent la soumission à la
République de Gênes.
Pendant
cette année 1735, deux
événements se produisent qui vont structurer pour
longtemps le paysage
politique corse. Tout d’abord la consulte de janvier a
également adopté un
dispositif de gouvernement, avec trois
« primats » et une junte de
douze membres qui forment l’exécutif, une
série d’offices (ou de ministères)
mais le législatif n’est pas nettement
défini, la consulte n’est pas encore une
véritable diète ou une assemblée
nationale, à ce stade. Cela dit, et
contrairement à ce que certains auteurs avancent,
il est exagéré de prétendre que ce
serait signe d’une conscience nationale
naissante, alors même que cette consulte n’est en
aucun cas représentative, la
suite des événements le montre, puisque le
principe de légitimité de
l’autorité
n’est pas réellement remis en cause dans beaucoup
de pièves, et que les
insurgés négocieront encore souvent avec
Gênes en proposant la soumission
contre la satisfaction des doléances. Le Rubicon du
désir d’indépendance, quel
qu’en soit le prix, est loin d’être
franchi.
Le
second événement est
l’entrée
de la France dans le jeu. Celle-ci, en effet,
s’inquiète des menées espagnoles
et du risque anglais. A compter de ce moment, tous les efforts du
cardinal de
Fleury, premier ministre du Roi, vont tendre à faire se
développer un
« parti français » et
à pousser les feux jusqu’à ce que la
proposition de la France de ramener l’ordre ne puisse pas
faire injure à la
fierté génoise. A la consulte de Zevaco
(au-delà des monts), une vingtaine de
notables vont au-delà des espoirs les plus fous en adressant
une supplique au
Roi pour que celui-ci conserve la Corse à Gênes et
intervienne militairement.
Dès lors, les négociations vont être
menées par la France, officiellement en
accord avec Gênes, en réalité, cela va
bien au-delà, et les Corses ne s’y
trompent pas.
L’épisode
du Roi Théodore a peu
d’importance d’un point de vue des rapports de
force, il fait néanmoins sens
dans la mesure où cette brève aventure qui va
durer sept mois, de mars à
novembre 1736 ,
agit
comme un symbole fédérateur qui manquait
jusqu’alors, et est l’occasion d’une
deuxième constitution de type « monarchie
parlementaire », qui
instaure une première véritable Diète
de vingt-quatre représentants des régions
de l’île. Militairement, cet épisode fut
assez désastreux, et se résume à
l’errance d’un petit roi sans cour, tandis que les
chefs de guerre corses
continuent leurs actions. Totalement désargenté,
abandonné dans les faits,
Théodore décide de partir de Corse pour chercher
des appuis, départ qui a lieu
le 10 novembre. Un conseil de régence est mis en place, et
la personne du roi
va servir d’étendard de temps à autre,
dans la décennie qui suit.
Début
1737, devant les bruits
insistants d’une possible cession de la Corse par
Gênes, la France avance son
avantage et se fait pressante auprès de ministre
plénipotentiaire de la République.
La cour de Turin manifeste son inquiétude des
visées françaises auprès de la
cour d’Angleterre tandis que l’Empereur
d’Allemagne donne son accord de
principe à l’intervention française. En
septembre, les insurgés sollicitent le
Roi de France de bien vouloir accueillir une
délégation lui présentant un
mémoire en défense concernant les
doléances des Corses et les raisons de leur
révolte. En février 1738, le corps
expéditionnaire français débarque. Le
commandant du corps souhaite dès l’abord entamer
des pourparlers avec les chefs
insurgés, les commissaires génois campant sur une
position d’affrontement. Les
généraux corses écrivent au commandant
français, le comte de Boissieux, pour
lui exprimer la volonté des Corses de se déclarer
sujets du Roi de France !
C’est clair, à ce moment, les Corses sont toujours
en recherche d’un régime de
protectorat, et souhaitent amener les Français à
partager leurs revendications
en se déclarant leur protecteur. Néanmoins, cette
bonne disposition des Corses
arrive trop tôt dans le jeu subtil qu’est contraint
de mener Fleury. Dès 1735,
celui-ci a formé le dessein de rattacher
l’île au royaume, mais il doit compter
avec Gênes, avec l’Empereur d’Allemagne,
avec l’Angleterre et l’Espagne, toutes
deux inquiètes d’une mainmise
française sur les routes maritimes de
Méditerranée occidentale. Il faut absolument que
l’intervention française
avance dans un premier temps sous le masque génois, puis il
faudra obtenir la cession comme un fruit mûr. En conséquence, la
réponse de Boissieux est
logiquement négative et
ambiguë. Il rappelle que sa mission est de
ramener la paix et d’obtenir que les Corses se soumettent
à leur légitime
souverain tout en abandonnant leur sort entre les mains du Roi de
France.
Ainsi, il demande aux insurgés de se soumettre à
Gênes, mais de garder
confiance car leur sort n’est pas vraiment entre les
mains du Doge. C’est
tout simplement un pari sur l’avenir qui est
proposé.
Tout
au
long de cette année décisive, la France va
naviguer à vue, mais la réponse des
généraux corses, en mars, laisse entendre que
beaucoup ont compris le message.
En juin, Fleury ordonne à Boissieux de proclamer le prochain
cessez-le-feu
génois, en échange d’otages qui seront
assignés à résidence à
Toulon mais
libres de leurs mouvements. La proclamation de ce cessez-le-feu par
Gênes
quelques jours plus tard montre le poids des Français,
désormais, dans les affaires
corses. Ceux-ci reviennent immédiatement à la
charge pour réclamer l’occupation
d’une forteresses génoise parmi les
cités les plus fidèles à la
République
(Ajaccio, Calvi ou Bonifacio) ainsi que la nomination d’un
commissaire français
en Corse et d’un représentant de la Corse
à la Cour de France. C’est tout
simplement demander la reconnaissance d’une entité
corse, et couper le plus
possible les liens avec Gênes en s’arrimant
à l’autorité française.
Un
nouveau Règlement du
gouvernement de l’île de Corse est
ratifié à Fontainebleau, en octobre. Il
constitue un net progrès, sans pour autant
répondre à toutes les aspirations,
mais le lieu de ratification est significatif. Le Règlement
est lu
solennellement place Saint-Nicolas à Bastia, en
présence des autorités
françaises. Néanmoins, certaines
pièves du centre de l’île, et
même celles du
delà des monts, refusent leur soumission. Le lieu de
dépôt des armes ayant été
changé par le commandant français, non plus
Bastia mais Borgo, la consulte
d’Orezza qui étudiait les propositions du nouveau
Règlement interprète
l’occupation de Borgo par les troupes françaises
comme un acte d’hostilité,
alors qu’il s’agissait de la
précipitation d’un homme malade,
ou au mieux d’un acte d’autorité.
C’est ainsi que la précipitation de Boissieux
rejoignant la versatilité des Corses qui
s’apprêtaient à accepter le
règlement,
la révolte reprit de l’élan, et les
Corses vont attaquer avec succès les
troupes françaises à Borgo le 14
décembre 1738. Mais c’est une victoire qui,
comme celle qui adviendra trente années plus tard au
même endroit, n’apporte
rien et ne change nullement le rapport de forces. Bien au contraire,
cela
n’aura pour effet que de provoquer un renforcement des forces
françaises dans
l’île.
Le
comportement des Corses méritait une explication qui fut
donnée dès le 1er
janvier 1739 dans un manifeste signé par les deux
généraux, Paoli et Giafferi,
manifeste un peu malhonnête puisqu’il
dénonce le caractère spécieux du
nouveau
Règlement qui, pourtant, aurait
pu
rallier la consulte d’Orezza. Il s’agit comme
souvent d’un plaidoyer pro
domo, qui finit par qualifier un coup de tête
d’action sinon mûrement
réfléchie au moins raisonnable et explicable.
Mais, même là, nous restons dans
l’ambiguïté la plus extrême,
puisque ce document revêt un but apologétique
à
destination des Cours européennes, et tout
particulièrement, … la Cour de
France.
La
France veut accélérer le
règlement des affaires de Corses, avant que
d’autres puissances n’interviennent
de façon trop offensive sur le terrain diplomatique, aussi
exige-t-elle de
Gênes des moyens tactiques adaptés et, notamment,
la mise à disposition de
Calvi et Ajaccio ainsi que quelques fortins pour y loger des
bataillons. Pour
contrôler le piémont calvais, le successeur de
Boissieux, Maillebois, organise
en Balagne des compagnies de volontaires corses, embryon du futur Royal
corse,
régiment créé en août de la
même année, et qui sera
l’élément militaire du
renforcement du parti français.
En
avril, les otages de Toulon,
depuis transférés à Marseille,
adressent une lettre aux insurgés pour leur
conseiller la soumission au roi de France. La réponse des
Généraux corses
temporise en développant un mémoire en
défense et en soumettant leur ralliement
à l’acceptation par le roi de France des
doléances des Corses. C’est ni plus ni
moins une reconnaissance du fait français. Entre-temps, les
renforts débarquent
à Bastia, portant la présence militaire
française à 11000 hommes. La Balagne
est bientôt intégralement soumise et les troupes
françaises opèrent leur
jonction sur tout le Nord de la Corse. Corte capitule le 21 juin, et
les
troupes françaises conquièrent le Niolo. En
juillet, les principaux chefs
corses dont Ghjacintu Paoli prennent le chemin de l’exil Fin
juillet, seules
quatre pièves du Delà des monts n’ont
pas encore fait leur soumission. En
octobre, tout est dit et, en novembre, les otages retenus à
Marseille rentrent
en Corse.
Période
patate chaude et grosses embrouilles
L’inter-révolution que va
connaître la Corse de 1740 à 1748 année
du retour des Français constitue un
entre-deux où les puissances
méditerranéennes, l’Angleterre,
l’Empereur d’Allemagne,
Gênes, la Corse, le pape et même Malte vont
développer des stratégies de
blocage les uns vis-à-vis des autres sans qu’une
orientation précise se dégage
vraiment. Dans le même temps, les insurgés, ou ce
qu’il en reste, vont déployer
une activité morcelée, hésitante, tout
en produisant à partir de 1743 et
presque chaque année des textes institutionnels lors de
plusieurs consultes.
Mais ces textes sont mineurs et ne présentent que des
variations de détail
tandis que l’essentiel est oublié. Ainsi,
n’y a-t-il rien sur le pouvoir
législatif, rien non plus sur les modalités de
renouvellement des institutions
ou des représentations. Les pouvoirs militaires et
judiciaires sont mêlés.
Aucune continuité dans les institutions n’est
prévue et les consultes
réinventent et nomment de nouveaux membres des offices ou
des commissions.
C’est là plutôt une
régression dans la prise de conscience nationale tandis que
l’unité de commandement est inexistante.
Du
côté des puissances et de
Gênes, rien ne décisif ne se joue, tout semble
jeux d’ombres, chacun
dissimulant ses projets dans le meilleur des cas, la plupart du temps
beaucoup
n’ont d’autres projets que
d’empêcher la Corse de cesser
d’être génoise pour
tomber dans l’escarcelle d’une autre puissance.
C’est, par exemple, la
politique de l’Angleterre qui finira même par
afficher une sérénité de
façade
en arguant du fait que personne n’osera prendre la Corse en
sachant que
l’Angleterre ne le veut pas ! Mais dans tous ces
allers et retours
diplomatiques, c’est le positionnement relatif de chacun en
Méditerranée qui
est au centre, personne n’envisage sérieusement
l’hypothèse d’une Corse
réellement indépendante.
Premier
pas de danse. Début 1740,
à peine remise de Borgo, la France produit un
mémoire à destination de Gênes
qui pose le principe de l’hostilité
définitive des Corses envers la République
et qu’il convient seulement d’éviter que
la Corse tombe entre d’autres mains. En
reprenant des arguments déjà
présentés l’année
d’avant, les Français propose à
Gênes de retirer ses troupes et de confier
l’administration, la justice et la
levée de l’impôt au Roi de France,
contre la promesse d’une restitution
ultérieure ; c’est le système
qui sera finalement adopté 30 années plus
tard, et qui n’est qu’une annexion
déguisée. Gênes refuse et se tourne
vers
l’Angleterre pour obtenir sa garantie. Devant les risques
d’une extension du
conflit avec l’entrée en lice de
l’Angleterre et de l’Espagne, la France et
l’Empire d’Autriche envisagent une occupation
conjointe de la Corse. En 1741,
deux évêques corses sont nommés
à Sagone et dans le Nebbio ; c’est une
première depuis longtemps et le mérite en est
attribué à la France qui
bénéficie
alors d’un engouement certain auprès des
populations. Néanmoins, dans le même
temps, la France agite la menace de son retrait, retrait qui risquerait
de
relancer la révolte, afin d’obtenir de
Gênes que celle-ci accepte ses
propositions. Ces menaces n’obtiennent pas l’effet
désiré, et, dès lors, les
Français organisent leur retrait qui sera complet et
effectif en septembre de
la même année, non sans avoir
cédé des armes aux Corses.
Deuxième
pas de danse. Gênes fait
des concessions dans un nouveau Règlement de gouvernement
à l’assemblée des
Nobles-Douze, enfin renouvelée en mars 1742, concessions qui
sont repoussées
par les mandants des représentants corses. Dans le
même temps, Gênes envoie des
renforts pour se prémunir d’un nouveau
départ de feu de la révolte corse. Ce
Règlement, finalement publié en novembre,
prévoit le pardon pour les faits
commis jusqu’en 1741, une remise d’impôt,
l’officialisation d’une patente de
port d’armes et l’abolition de la fameuse taxe des
deux seini si les troubles cessent.
Comme quoi, le
principe de l’arrêt de la violence comme condition
préalable n’est pas une
invention récente… !
Troisième
pas de danse, ou
Théodore, le retour. L’année 1743 voit
le retour bref et sans débarquement du
Roi Théodore, arrivé à bord de navires
anglais. Ce retour excite les tentations
de révolte, notamment lors de l’épisode
du blocus d’Ajaccio qui tourna court,
le Roi Théodore quittant finalement la partie au dernier
moment. Dans le même
temps, l’Angleterre dément avoir
organisé l’expédition de
Théodore mais souligne
quelques temps plus tard être résolument
opposée à toute cession de
l’île, en
particulier à l’Espagne ou à la France.
Quatrième
pas de danse. Les
assemblées génoises donnent mandat à
l’exécutif et au Sénat
d’envisager toutes
les hypothèses quant à l’avenir de
l’île. Gênes envoie un autre message aux
Corses dans une adresse en huit points qui lève les
dernières réticences pour
discuter des points litigieux et
accepte, de fait, leurs principales revendications. Les Corses
répondent par un
mémorandum très détaillé
qui ne ferme pas la porte mais repousse toute
acceptation formelle. Gênes envisage comme solution ultime,
la cession de l’île
au Roi de Sardaigne, voire à la reine de Hongrie !
Et
l’on continue comme cela, en
1744, avec l’affirmation lors de la consulte de Corte de la
fidélité des Corses
à… Théodore, tandis que les
concessions génoises n’intéressent plus
personne ; cela continue, en 1745, avec
l’intérêt porté par le roi de
Sardaigne à la question Corse qui promet aide et protection
aux Corses au nom
d’une coalition anglo-austro-sarde. Cette
déclaration de guerre de fait à
l’encontre de Gênes est suivie d’une
série d’opérations sur terre et sur mer
qui vise plus à encercler Gênes
qu’à résoudre les questions
corses ; Gênes
capitulera en septembre 1746 avant de se libérer en
décembre de l’occupation
autrichienne. Dans ce même temps, la vacance du pouvoir tant
génois que corse
du côté des insurgés laisse libre court
à la justice privée,
tandis que, de leur côté les chefs corses se
déchirent et prennent des
décisions tactiques étonnantes comme
l’évacuation de Bastia, sans mettre à
profit l’affaiblissement de Gênes.
En
juillet 1746, une consulte
cortenaise proclame l’indépendance ce qui confirme
que la déclaration
d’indépendance précédente
n’avait pas de contenu concret. Cette dernière
n’en
aura pas plus. Et la même année, certains notables
prennent des contacts avec
Malte mais cette démarche n’aura pas de suite,
elle illustre seulement que les
Corses agissent comme l’abeille contre la vitre. Y a-t-il
jamais eu véritable
envie d’indépendance ? Le mot semble
être utilisé comme une muleta pour
exciter la charge et arracher de nouvelles concessions. La
série des consultes
de l’année 1747 le montre : celle
d’Orezza, en avril, cherche une illusion
d’unité nationale, en proposant à
toutes les régions rétives des
aménagements
dans leur engagement (comme pour le Cap Corse) ou l’oubli
pour les
« traîtres » (les
pro-génois) sans compter un appel à
l’adresse de
l’au-delà des monts ; celle de mai
à Ornano, où les partisans de Gênes
sont absents, mais où on ne parvient pas à
trancher entre modérés et
« nationaux ».
Dans
le cadre du déroulement de la
guerre de succession d’Autriche, les Espagnols et les
Français tiennent les
Autrichiens et les Piémontais à distance de
Gênes durant cette même année. La
France veut soulager Gênes de la pression des Corses en
incitant fermement
ceux-ci à la négociation, ce qui est
reçu favorablement par certains. Les
Anglais commençant à
s’intéresser plus nettement à
l’avenir de l’île, la France
prépare une seconde
intervention. Le débarquement des
Autrichiens et des Piémontais à Saint-Florent en
mai 1747 précipite la
décision.
Les
Français, des « grands
frères » un peu trop
protecteurs
L’esprit
de la seconde
intervention est mieux affirmé qu’en
1738 ; ainsi, trois objectifs sont
assignés au marquis de Cursay chargé
d’investir Bastia. Le premier objectif est
purement militaire tout en constituant un message
déterminé à destination de la
République de Gênes, il s’agit de
conserver au Roi les principales places
maritimes. Le second et le troisième objectif sont
politiques et sont à
l’adresse des Corses, il s’agit alors de mobiliser
le parti pro-Génois et le
parti pro-Français tout en faisant une
démonstration de force vis-à-vis des
insurgés, cependant sans parler de soumission à
la République. La proclamation
de juin 1748 confirme cette orientation en soulignant le rôle
protecteur et
médiateur que les Français entendent jouer. Si
les « nationaux » restent
sur leur quant-à-soi, des scènes de
fraternisation entre les troupes françaises
et la population corse ont lieu.
C’est
alors que le traité
d’Aix-la-Chapelle met fin à la guerre de
succession d’Autriche et stipule une
amnistie générale ainsi que le retour de la Corse
à la république génoise. Les
chefs corses acceptent les conditions de l’armistice en
souhaitant néanmoins
garder la main sur l’administration de la justice. La fin de
l’année est
assombrie par la révélation de faits de
concussion affectant l’un des trois
chefs corses, Matra, ce dernier s’enfuyant. En
décembre, affaiblis par le
scandale Matra, les « nationaux »
déclarent officiellement être prêts
à recevoir la loi du Roi de France, et une
assemblée générale de Corse sous
présidence française est prévue
à Corte pour le 14 janvier 1749. Cette consulte
adopte avec enthousiasme l’embryon de constitution qui lui
est proposée :
reconnaissance de l’autorité du Roi de France qui
commande et légifère avec
quinze représentants qualifiés des
communautés des pièves. Néanmoins,
très
rapidement, la conformité au traité
d’Aix la Chapelle du statut de l’île est
réaffirmée par Cursay. Ce n’est donc
pas l’annexion au Royaume mais un
protectorat au profit du maintien de l’île dans la
république de Gênes avec un
Règlement le plus avantageux possible. Les Corses sont
déçus mais acceptent en
sollicitant le maintien pour au moins dix années des troupes
françaises dans
l’île. Pendant la négociation du
Règlement de gouvernement avec Gênes, la
consulte d’Orezza de juin 1751 vote une constitution pour un
gouvernement
indépendant (et de trois !) après le
départ des Français.
Après
de nombreux incidents entre
Génois et Français, l’attitude par trop
favorable aux Corses de Cursay est désavouée par
la France et ce dernier
arrêté. Les Français finissent par
évacuer l’île en février
1753, Entre-temps
la consulte d’Orezza de janvier a élu Ghjuvan
Petru Gaffori général, mais rien
n’est véritablement sous contrôle, les
consultes se succèdent proclamant
adhésion à la République de
Gênes, interdisant l’administration de la justice
aux Corses de l’intérieur de
l’île, tentant des réconciliations entre
familles,
tandis que les députés
désignés par la consulte d’Alisgiani
chargés de trouver
des accommodements avec Gênes transmettent des propositions
en réalité
inacceptables pour la République. En outre, les institutions
mises en place
aggravent les défauts de la représentation
nationale avec confusion des
pouvoirs exécutif et judiciaire, ou l’institution
d’une autorité suprême de…
trois cents membres ! Cette année très
embrouillée est marquée, en outre,
par l’assassinat sordide de Gaffori. Devant le
désordre qui règne dans le camp
des insurgés et le
désintérêt des puissances
européennes, et alors qu’un
nouveau commissaire génois est nommé ,
nanti d’instructions modérées, pour la
première fois, des voix
s’élèvent pour
solliciter le retour de Pascal Paoli, fils de Ghjacintu.
C’est
d’ailleurs à compter de ce
moment que les mouvements affectant l’île vont se
précipiter au sens chimique
du terme et regrouper un parti de l’indépendance
plus crédible que tout ce qui
a pu se présenter jusqu’alors.
Déjà la consulte de Sant-Antone di a Casabianca
en juillet 1755 qui élit Paoli général
en chef de la révolte, écarte Matra
partisan d’un arrangement avec Gênes. Ce dernier
s’oppose militairement à Paoli
et se jette dans les bras génois, continuant ainsi la valse
hésitante mais
habituelle des clans corses. Du côté paoliste, la
consulte de Corte de novembre
constitue la première véritable constitution
corse consacrant la séparation des
pouvoirs et manifestement inspirée par Montesquieu. Il reste
assez exagéré,
toutefois, de prétendre que la Corse a totalement
innové, le Rikstag suédois
ayant déjà présenté
dès 1719 des caractères similaires à
ceux de la Diète corse
créée par Paoli, sans parler du Parlement
anglais, même si dans ce dernier cas
le monarque conservait le privilège de nommer le premier
ministre.
Pendant
cinq ans, les positions
militaires vont rester équilibrées, situation que
Paoli va mettre à profit pour
compléter les structures institutionnelles et
développer l’activité
économique.
A compter de 1760, les indices de souveraineté se
multiplient y compris sur mer
où la Corse déclare la guerre maritime
à Gênes. Mais ne nous y trompons pas, il
ne s’agit pas d’une réelle
indépendance mais plutôt d’un pays
soumis à deux
autorités où Gênes est de plus en plus
acculée d’autant que la France
s’apprête
à remettre le pied sur l’île pour la
quatrième fois,
ce qui se réalisera en décembre 1764. En 1767,
Gênes, de guerre… lasse, offre
la pleine suzeraineté de l’île au
royaume de France, ce que Choiseul signifie à
Buttafuoco, l’envoyé de Paoli, en janvier
1768 .
Que
retenir de cette aventure,
sinon que la longue révolte armée contre
Gênes ne fut ni constante, ni générale
dans toutes les pièves et que de nombreux Corses
restèrent hésitants ou
fermement attachés à la République.
Jusqu’en 1755, les révoltes se cantonnaient
dans une attitude de rejet de Gênes, et encore, insistons, ce
fut loin d’être
partagé par tous les Corses, mais sans véritable
projet national alors que les
projets constituants se limitaient à des questions
d’organisation, de
rapatriement des ressources dans l’île ou
d’administration de la justice. Les
doléances corses restaient centrées sur les
questions économiques et fiscales
et sur la question des moyens de la justice, et donc, en
l’absence d’une
véritable équité dans
l’administration génoise de la justice, les
doléances
renouvelaient à l’envi les revendications sur la
suppression des deux seini et
la liberté de port d’armes. Cette absence de
véritable perspective conduisait
tout naturellement les Corses à rechercher un nouveau
maître plutôt qu’à
être
maîtres d’eux-mêmes.
Ce
fut sans doute l’apport majeur
de Paoli que de proposer une perspective plus large. Cependant peut-on
affirmer
pour autant que les Corses ont connu un moment
d’indépendance dans les quelques
années qui ont précédé le
transfert de souveraineté ? Et Paoli,
lui-même
a-t-il toujours recherché
l’indépendance ?
Perspectives ?
La révolution de Corse, qui
ne
mérite son nom que sur la fin, nous est
présentée par beaucoup comme ayant
fortement influencé les autres révolutions,
à commencer par l’américaine. Sans
doute, les institutions paolines n’eurent pas de suite en
Europe, ni au plan politique,
ni au plan des idées, l’essentiel ayant
déjà été écrit
par Montesquieu et
Rousseau qui d’ailleurs les inspirèrent. Il ne
faut pas davantage se fier à la
célébrité soudaine de
l’île de Corse dans les salons des
lumières. La
propagande de Voltaire vise plus à fustiger le pouvoir
absolu qu’à porter une
petite nation sur les fonds baptismaux, et Rousseau n’eut
guère de suite dans
les idées. Les corsistes promènent volontiers la
figure de ce dernier qui,
pourtant, ne donna pas plus de suite à ses
échanges avec Buttafuoco sur le
sujet, en mettant en avant la place centrale de la Corse dans ses
réflexions du
chapitre 10 du livre 2 du Contrat social : sept lignes dans
l’édition de
1762.
Par
ailleurs, s’il semble
bien que le régime de Paoli a été
connu des Américains, notamment de la loge
bostonienne des " Fils de la
Liberté " et si Paoli
ou la Corse connurent une certaine postérité
américaine dont témoignent
quelques noms de villes, il est parfaitement hasardeux de penser, et
beaucoup
de Corses en sont, à tort, persuadés
qu’ils soient ou non nationalistes, que la
Constitution des Etats-Unis en est issue.
Dans une conférence
déjà citée, Dorothy Carrington indique
qu’ayant
épluché le procès-verbal de la
Convention de Philadelphie de 1787, connu sous
le nom de "Madison’s Debates" elle n’y a rien
trouvé, lié de près ou
de loin à la Révolution de Corse, à
Paoli, à l’île de Corse. En
ayant vérifié
moi-même,
je
peux ajouter que l’Angleterre et la France font
l’objet d’analyses comparées,
notamment sur la forme de gouvernement, le poids de
l’exécutif ou la vénalité
des charges (journée du 2 juin), de même les
Pays-Bas (journée du 4 juin) mais
rien sur l’exemple corse ; en outre d’autres
délégués comme Rufus King ou
Alexander Hamilton ont écrit leurs propres compte rendus là encore sans
rien dire de la Corse. Mieux
encore, strictement aucun des textes et débats
constitutionnels ne fait mention
de la Corse et de son histoire ! Désolé,
mais s’il y a des ressemblances,
elles sont la conséquence d’être issue
d’une même source, Montesquieu encore et
toujours.
De ces
quarante années de Révolution, il nous faut
retenir quinze années seulement de
tentative révolutionnaire. Ces années largement
dominées par la figure de Paoli
ne furent pas pour autant des années où se
fédérèrent les énergies des
populations de l’île. Beaucoup
s’opposaient à Paoli ; ce dernier, on le
verra, n’était pas exempt de tendances
autoritaires, les vendettas sévissaient
à un tel point que l’essentiel de
l’œuvre institutionnelle relève, en
réalité,
du droit pénal et de l’établissement de
procédures pénales, enfin le parti
français se renforça très vite et
très fortement.
Après une
brève incursion de novembre 1756 à avril
1759, destinée à contrer les visées
britanniques
|
C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
|
|
Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
|
|
La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
|
|
La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
|
|
Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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