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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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La
guerre de 14 18, un mythe Janus !
La
guerre de 14-18 possède une aura mythique
particulièrement
puissante, illustrant le rôle particulier qu’y
auraient tenu les Corses,
faisant d'eux des citoyens à part. Cet avis rencontre
l'unanimité dans la
société corse quelle que soit l'orientation
politique de celui qu'on interroge.
Il s'agit bien d'un sacrifice que l'on évoque, à
ceci près que ce terme revêt
deux acceptions, le sacrifice consenti voire recherché ou
bien, à l’inverse, le
sacrifice imposé. Toute la différence est
là.
Longtemps,
et mon enfance en fut nourrie, les Corses ont vanté le
"pacte de
sang" qui liait définitivement la Corse à la
mère Patrie (entendez ici la
France). Preuves en étaient les villages vidés,
la présence des Corses sur les
théâtres les plus exposés, ou bien
encore un taux de mortalité record. La Corse,
pourtant située aux marges de l'Empire, avait ainsi
payé le prix du sang le
plus élevé loin devant toutes les autres
provinces. En outre, ce pacte s'est
doublé d'un autre pacte, celui liant la Corse à
l'Armée et à l'Empire colonial.
Sans doute, les Corses étaient-ils
déjà bien représentés dans
l'armée
coloniale, et les emplois les plus prisés des
expatriés étaient ceux de
l'administration. Si, au tournant du siècle, les Corses
continuaient encore, pour
une grande part, à vivre et travailler en Corse
malgré les premiers effets de
la crise agricole, ils le pouvaient grâce au
développement de l’emploi public
dans l’île. Ainsi, au recensement de 1911 on
comptabilise près de 1800 membres
du corps enseignant et plus d’un millier de fonctionnaires
Douanes-Police-Contributions. Si l’emploi agricole reste
très pesant, 65555
individus soit les deux tiers de la population active de
l’époque, le secteur
public commence à prendre de l’importance pour
combler le déficit d’emplois des
hommes adultes qui vont chercher hors de l’île
leurs moyens de subsistance avec
la confirmation de la déprise agraire et la fin de
l’économie
d’auto-subsistance et alors même qu’aucun
décollage industriel n’a véritablement
eu lieu.
Les
lacunes des données statistiques ne permettent pas de
distinguer les emplois
coloniaux, ni même la part des emplois administratifs
occupés par les Corses
sur le Continent, mais sur ce dernier point on peut conjecturer
sans risque de se
tromper que le nombre d'emplois pour le service des seules
administrations départementales
reste négligeable, l'essentiel des offres se situant sur
l'autre rive de la
Méditerranée. Notons que la tentation de
régler la question de l’emploi civil
perdure jusqu’à nos jours et il ne faut pas
chercher plus loin l’origine de la
création des deux départements et de la
région en 1975, laquelle a pour effet
et pour principal motif de tripler les emplois administratifs, compte
tenu du
développement des services extérieurs de l'Etat
depuis le début des années
Soixante, et donc de
« rapatrier » les emplois publics
sur l’île
accentuant par là l’effet
d’éviction du marché de
l’emploi
« privé »,
ce qui était le but recherché.
De
leur
côté, les nationalistes ont repris ce
thème du sacrifice, mais cette fois, en
lui donnant une acception passive, celle du sacrifice imposé
par l'Etat colonial
français. En effet, une
comptabilité morbide des morts au champ d'honneur n'a que la
signification
qu'on veut bien lui prêter. Et le pacte de sang devient la
dette de sang, dette
que la France a contracté vis-à-vis de la Corse,
en envoyant sur les théâtres
les plus exposés, des mobilisables de 17 ans ou des
pères de six enfants. Bref,
le soldat corse ne fut pas traité en citoyen mais en sujet
colonial. Et il ne
faut pas s'étonner du taux de mortalité
effroyablement élevé qui en a
résulté.
Pour
commencer, de quel taux de mortalité parlons-nous ? Ici,
dans l’île, beaucoup
tiennent pour acquis que 40 à 50 000 soldats sont morts aux
combats et tout le
monde est d'accord pour considérer qu’un minimum
de 20000 à 25000 tués est un
ordre de grandeur non négociable.
Ce discours est accepté
par tous, qu’il provienne des parangons du pacte de sang ou
qu’il soit le
refrain de ceux qui se reconnaissent une sensibilité
nationaliste. Ce n’est pas
sans convaincre certain ancien premier ministre de la
Cinquième République
qui reprend ce thème (toutefois sans donner le chiffre en
question,
scrupules… ?) dans un article donné au
journal le Monde, le 31 août 2000.
Comment
ces chiffres sont-ils obtenus ? Dans tout mythe louangeur ou
accusatoire, les
chiffres sont toujours "ronds" et "gros", c'est la loi du
genre. Mais il y a souvent un essai de justification : ici on sommera
tués et
blessés, là on incorpore les familles
déplacées, ou bien on y ajoute comme pour
la guerre d'Algérie les orphelins sous un vocable
générique (martyrs, par
exemple) qui a surtout la vertu de permettre à son sens de
glisser : le lecteur
interprète ainsi le terme volontairement flou, le martyr
qu’est tout opprimé [puisqu'il est témoin vivant de l'oppression, au sens étymologique du mot],
dans son sens le plus radical, tout martyr est mort. En Corse, le
chiffrage du
martyrologe est probablement issu de deux manières
d’évaluer : l'addition de
pertes de diverses origines quel que soit le degré de
gravité ou bien encore un
calcul indirect comparant la population avant guerre selon le
recensement de
1911 (population présente) sans correctif et sans tenir
compte des mouvements
naturels ou migratoires avec le décrochage
supposé (hypothèses INSEE et
Damiani) et daté des années vingt. Or de nombreux
travaux montrent que ce
décrochage fut antérieur.
C’est ainsi que l’on
conforte des chiffres qui servent à marquer les esprits et
à fixer
définitivement les mémoires.
Tentons
une évaluation au risque de remettre en cause bien des
certitudes
Le
recensement de 1911 relève que la population
(légale) corse insulaire
s'établissait à 289 000 habitants. Le
premier recensement de l'après
guerre (1921) indique 282 000 habitants soit une perte de 7000
habitants
seulement, à comparer au déficit de 15000
individus sur le fondement de la
notion de population présente.
Le
tableau donné dans le cartouche "mystères de la
démographie" nous propose beaucoup
d'indications et, en particulier, il nous dit que de recensements en
recensements, le
chiffre
officiel de la population de l'île reste stable autour de 290
000 entre 1890 et
1910, il augmente même un peu en 1900 (295 000 habitants)
pour frôler la barre
des 300 000 habitants. Or nous savons que le nombre
d'engagés corses dans
l'Armée ne cesse de croître pour se maintenir
à un étiage constant de 5000
unités à la veille du conflit. La même
constatation peut être faite pour
les emplois sur le Continent avec les effets
de la crise agricole à partir de 1890. C'est pourquoi nous
avons considéré les
chiffres des
« présents » pour
tenir compte de ces phénomènes, sauf à
considérer que la population insulaire pouvait
croître de façon naturelle de
15000 unités entre 1869 et 1912, soit un taux
d'accroissement naturel de 5 %
pour équilibrer les migrations vers le Continent ou
l'Armée. Hypothèse irrecevable
à une époque où la population
française dans son ensemble stagnait. Notons que
divers redressements (notamment ceux de Renucci et Kolodny donnent une
fourchette de 245 000 à 270 000 habitants en 1911).
Ainsi
donc, il faudrait retenir non pas 289000 habitants en 1911 mais au
mieux 270000
habitants, selon le travail d’évaluation
à partir des données de population
présente dans les recensements (Kolodny). Le calcul
d’évolution théorique de la
population présente (si le conflit n’avait pas eu
lieu) doit prendre en compte
le solde migratoire cumulé propre (expatriation nette des
résidents), le solde
des mouvements migratoires affectant les étrangers ainsi que
le solde naturel.
Le calcul ainsi établi propose une population
théorique de 262000 habitants comparés
aux 255000 habitants recensés sur la base de la population
présente soit une
population manquante d’environ
7000
âmes
qui n’est pas
méthodologiquement reliée à la
population manquante des deux recensements
« population légale »,
sauf à considérer que le critère de
population
légale garde la mémoire des Corses où
qu’ils se trouvent…
Néanmoins,
pendant la période de l’immédiat
après-guerre, eut lieu un « Grand
Dérangement » à la Corse,
à savoir que se sont produits deux
phénomènes
migratoires d’importance : le maintien sous les drapeaux de
Corses optant pour
la carrière militaire renforcés par des
arrivées des nouvelles classes d'âges
sur ce marché de l'emploi militaire et une
envolée des flux migratoires vers le
littoral et le Continent en raison de la déprise agricole.
C'est au total, plusieurs
milliers d’emplois supplémentaires hors de Corse
qui seront tenus par des insulaires
au début des années Vingt, accentuant par
là même l’impression d’un
déficit
exceptionnel, sans équivalent ailleurs.
Dès
la
fin de la guerre, toutes les communes de France ont voulu mesurer la
profondeur
de la blessure quitte à faire feu de tout bois pour montrer
son patriotisme,
forcément plus intense que celui du voisin. Ainsi, le
recensement des Maires de
France effectué à partir de 1920 sur l'ensemble
des communes de France en vue
de l'érection des monuments aux morts a-t-il souvent
comptabilisé les enfants
du pays même ceux partis depuis longtemps,
et même les enfants des
enfants, les malades, les accidents, la grippe espagnole, la Guerre du
Rif.
Pour la Corse nous obtenons un chiffre de 9800 tués ou
disparus, chiffre qui
reste encore relativement raisonnable. En revanche, pour
l’érection du monument
aux morts d’Ajaccio, en 1926, c’est le chiffre de
10380 morts qui est proposé à
la mémoire des hommes.
Le recensement terminé en
1923 propose in fine le chiffre
actuellement
retenu par la Préfecture de Région, qui avance le
chiffre de 11325 tués.
Aujourd’hui encore, le relevé nominatif des
monuments aux morts en 2006 par des
bénévoles pour le compte d’associations
généalogiques confirme
l’évaluation
traditionnelle avec des données extrapolées
à 11700 décès.
Mais en 1933, le discours
d’inauguration de la borne sacrée des Sanguinaires
à Vignola (mais pas la borne elle-même) fait
mention de
48000 morts. Le chiffre n’a aucun sens pour une île
qui a mobilisé 44098
soldats et même si l’on prend en compte les
engagés, soit plus de 52000
soldats, aussi n’est-il repris que dans des sites de
l’internet malheureusement
très visités. Une dernière recension
engagée en 1998 nous propose 9689 morts
d’août 1914 à novembre 1918
(d’après la Direction départementale
des anciens
combattants) ce qui montre une inflexion par rapport au
« vieux chiffre »
de la préfecture même en défalquant les
décès de 1919 dans les hôpitaux.
Alors,
face à cette avalanche de chiffres, entre 10000 et
48000 morts, quel est le bon chiffre ? On a vu que les calculs
théoriques
tendent à plus de modérations. Qu’en
est-il de la réalité, celle au moins
que l’on peut détecter dans les archives
dès lors que la mémoire est trompeuse
? Ainsi, en prenant la peine de compulser les archives
départementales et de
dépouiller l’ensemble des livrets matricules,
c’est un chiffre
beaucoup plus bas qui se découvre : 8007 morts par
le fait de la guerre de
14-18 ! Voilà qui renforce l’impression d’exagération
des chiffres que nous venons de dénoncer,
exagération qui trotte pourtant encore
aujourd’hui dans les esprits. Comment passer de
l’un à l’autre ? En fait, les
recensements en vue de l’érection des monuments
aux morts repose en partie sur
le témoignage des familles et incluent des
décès qui n’ont pas ou peu de
rapport avec le conflit ou bien qui sont comptés deux fois.
Citons
pêle-mêle :
- des
décès dus aux maladies contractées
hors période de guerre
- des
accidents pendant le transport
- des
décès datés de 1919, 1920 et
au-delà alors que l’administration
n’acceptait
d’enregistrer que jusqu’en juin 1919 les
décès des suites des blessures ou du
gaz
- des
décès lors de Campagnes
de répression de
soulèvements, en Tunisie ou au Maroc avec un record absolu
dans la guerre du Rif
marocain (1921 – 1926)
- les
doubles comptes, savoir l’inscription au titre de la commune
de naissance et au
titre de la commune d’incorporation sur
l’île
- les
expatriés, mobilisés dans d’autres
départements
Essayerai-je
de bâtir un pont arithmétique en imaginant ce que
pourrait donner l'addition
des tués et blessés avec les
décès dus à d’autres causes
comme la grippe
espagnole, ou l’anticipation des
phénomènes migratoires ou l’oubli des
soldats
qui ont rempilé. Je
pourrais alors
ajouter des chiffres, sommer des colonnes et retrouver des chiffres
mythiques
mais l’opération est sans aucun
intérêt car elle revient à vouloir
expliquer un
écart qui n’existe que dans l’imaginaire
collectif. Le péché originel de la
plupart des sites
« d’opinion » sur
l’internet, à savoir l’absence de
mention des sources, vient relayer le vieil impact de la tradition
orale très
en honneur sur l’île. Même les auteurs
les plus critiques vis-à-vis des mythes
corses se laissent parfois emporter, tel Nicolas Giudici qui accepte le
chiffre
de 20 000 tués sans autre inventaire.
Les monuments aux morts
sont des bornes sacrées de la mémoire mais ils ne
présentent strictement aucune
garantie de fiabilité, ni en Corse ni ailleurs sur le
Continent où là aussi les
errements dénoncés se sont produits.
Une Corse
dans le lot commun
A ce
point de notre analyse, il nous faut revenir encore une fois sur
l'opinion
commune, cette fois sous l’angle la place de la Corse dans le
martyrologe de la
Grande Guerre. Les données issues de la comparaison
des
recensements qui
encadrent le premier conflit mondial, ceux de 1911 et de 1921,
placent la Corse au 75è
rang des départements français au
regard du déficit démographique,
toutes causes confondues. Même en tenant compte des chiffres
redressés, ce
rang, dans l’hypothèse la plus pessimiste, ne peut
être rehaussé au-delà de la
66è place, ce qui signifie que 65 départements
continentaux au moins ont connu
un effondrement démographique plus intense que celui de la
Corse. Pour un
certain nombre, l’explication par la fuite des
réfugiés pendant le conflit est
pertinente ; c’est le cas pour les
départements du Front, ainsi la Meuse
qui perd un quart de sa population, l’Aisne qui en perd un
cinquième ou bien
encore la Marne, et ce au profit de la Seine et de la Seine et Oise qui
« gagnent » 360000 habitants. Mais d’autres
régions
connaissent, elles aussi, de véritables saignées
qui ne peuvent pas être expliquées par le
phénomène des réfugiés
(elles sont
éloignées des combats) et l’impact de
la déprise agricole est insuffisante
s’agissant d’une seule année entre la
fin des combats et la date du recensement
d’après-guerre. Parmi ces régions,
citons la Bretagne, la Savoie, le Massif
Central, certains départements du Sud-Ouest et du Midi. La
Corse n’est donc pas
un cas exceptionnel, elle n’a rien de spécifique
et se positionne, à peu de
chose près, dans la moyenne nationale.
Pour
assurer notre propos, examinons maintenant les statistiques des
populations
manquantes au recensement de 1921 après prise en compte de
tous les mouvements
démographiques. Là encore la situation des dix
départements du front est
typique en ce que les populations concernées ne sont pas
encore revenues, et de
toute manière, la tenue des registres
d’état-civil ne permet pas une approche
suffisamment documentée.
De même certains
départements présentent des résultats
excédentaires, notamment en région
parisienne, signe d’un afflux de
réfugiés, de démobilisés,
de soldats
hospitalisés qui n’a pas encore eu le temps de se
résorber. En revanche, si
l’on considère les départements ruraux
et montagnards, force est de constater
que la population manquante (qui est corrélée aux
pertes militaires) n’atteint
pas les plus hauts sommets en Corse. Dans l’île, et
sur la base du calcul de
population présente reconstituée, plus de 7100
individus manquent à quoi il
faut ajouter 250 décès de militaires
rapatriés ce qui n’est pas
éloigné des
8007 décès évalués par
ailleurs, compte tenu d’un niveau d’expatriation
sans
doute légèrement surévalué.
Pour affiner
l’analyse et prendre en compte la stabilisation des
mouvements migratoires sur
le long terme, il faudrait prolonger le calcul jusqu’au
recensement de 1926
avec un risque d’incertitude accru.
Le
taux
de mortalité habituellement retenu est celui des
décès rapportés aux engagés
(nombre de morts ou disparus aux combats / classes d'âge
engagées comprenant
les mobilisés et les volontaires). A noter qu’un
taux excluant les volontaires
(décès rapportés aux effectifs
masculins des classes d'âge mobilisable hors
volontaires) s’il était possible de
l’évaluer pour l’ensemble des
départements
nous renseignerait sur l’impact spécifique du fort
volontariat qui fut constaté
lors des opérations d’appel des classes en Corse.
Pour l’ensemble des
départements, aucune statistique à ce jour
n’a été établie
et nous ne disposons que
d’une évaluation par région militaire
qui doit être maniée avec précaution.
Dans
le
cas de la Corse, le travail de dépouillement ayant
été fait, nous pouvons retenir
le chiffre de 8007 ; dans ce cas, le taux de
mortalité de situe à 15,2 %
(sur la base de 52441 engagés et mobilisés hors
service auxiliaire) ou 19,5 %
sur la base des seuls mobilisés, en bref un taux comparable
voire légèrement inférieur
à la moyenne française qui
varie selon les hypothèses et l’inclusion ou non
des pertes de l’Empire colonial
entre 16 % et 17,3 %. Nous sommes loin des chiffres habituellement
cités mais
qui incluent d’autres morts que ceux des mobilisés
en Corse.
On
observe que la Corse ne présente pas un taux lui permettant
de revendiquer sans
discussion la première et sinistre marche du podium, et
d’autres régions
pourraient se plaindre d'avoir plus été
exposées par l'Etat colonial
français que les Corses !
D’ailleurs, les autres provinces ne se privent pas de
développer des discours
qui ressemblent à la litanie du martyrologe corse. Ainsi,
prenons le cas de la
Bretagne où l’on évoque
240 000 morts d’après le
député du Morbihan Joseph
Cadic (1927) voire 300 000 selon certains chiffres
donnés en 1971. Le
recensement des monuments aux morts vérifie près
de 119 000 tués, mais
curieusement ce chiffre est lui-même mis en doute sans
préciser véritablement
la source
au profit d’un chiffre
« raisonnable » de
150 000 morts soit 22
% des mobilisés. Décidément le chiffre
de 22 % plaît partout (on a vu
qu’il est souvent repris pour le comparer aux 16-17 % de la
moyenne nationale
pour traiter du cas de la Corse).
Pour
finir, la Corse se distingue peu de la moyenne nationale si l'on
rapporte le
nombre de décès à la population totale
soit 3 % à comparer aux 3,2 % France
entière. Même
en tenant compte du
chiffre habituellement reçu de 11325
décès, le taux est porté à
4,2 %. Dans ce
dernier taux, l’écart à la moyenne est
plus faible que lorsque le chiffre est
rapporté à la population militaire
mobilisée. En effet, dans ce cas les
spécificités corses comme le contingent colonial
et le volontariat ont un
impact amoindri, le dénominateur étant nettement
moins spécifique. En outre, la
structure des pyramides des âges est défavorable
à la Corse sur ce plan, avec
une proportion de femmes plus importante qu'ailleurs (1023 femmes pour
1000
hommes contre 1014 pour l’ensemble des départements)
alors que ce n’était pas
le cas dix ans plus tôt, et où une proportion de
population non engagée se
révèle plus importante lorsqu’on
compare les pyramides des âges de la Corse et
de la France entière pour les moins de quinze ans
ou l’on observe un net creux
démographique des classes d’âge entre 25
et 60 ans comparé à la pyramide France
entière. En bref, la proportion de non engagés
(classes jeunes ou âgées, ainsi
que les femmes) « aplatit » le
différentiel de taux lorsque celui-ci
incorpore au dénominateur la population entière.
Il
subsiste deux biais. Le premier qui est commun à
l’ensemble des départements
consiste en ce que les Corses résidant sur le Continent sont
comptabilisés
parmi les mobilisables de leur département de
résidence, ce qui est normal,
mais lorsqu’ils sont tués au combat, sont
enregistrés au titre du département
Corse et figurent en bonne place sur les monuments aux morts des
villages de
l’île. En d’autres termes, le biais du
comptage errant, bien connu dans les
recensements effectués sur l’île
jusqu’en 1982, fait ici des ravages. A ce
compte, le taux de mortalité est nécessairement
surestimé.
J’ai
longtemps cherché un lien entre le caractère
rural et l’exposition au danger
des départements concernés, ou bien encore le
caractère
« montagnard ». Hormis l'impact conjoncturel du
rapatriement de nombreux ouvriers des industries d'armement fin 1914, par définition en faveur
des régions urbaines et industrielles, tout
cela n’avait pas de sens au vu du bilan global du conflit; en revanche
lorsqu’on analyse la situation des Landes, des
départements bretons, de la
Corse puis de l’ensemble des départements des
régions militaires en mettant en
regard taux de mortalité et taux de migration (solde
migratoire masculin /
population active masculine) à la veille du conflit, selon
les chiffres du
recensement de 1911, on observe une corrélation troublante.
Et l’on comprend
pourquoi, dès lors que le numérateur prend en
compte les migrants tandis que le
dénominateur les ignore : les
départements d’émigration vont
connaître une
sur-évaluation du numérateur tandis que,
symétriquement, les départements
d’immigration comme la Seine ou la Seine et Oise vont
connaître une
sous-évaluation. Si l’on met en relation taux
d’expatriation nette et taux de
mortalité, le coefficient de corrélation (R=76%)
est statistiquement
significatif.
Pour
redresser ce chiffre, il faudrait soit ajouter au
dénominateur les mobilisés
corses enrôlés au titre des
départements du Continent soit, de façon plus
rigoureuse, défalquer le nombre des Corses du continent
tués au combat du
nombre des tués enregistrés dans les recensions
de l’après-guerre. Aucune
discrimination n'étant opérée sur
l'origine puisque les Corses sont citoyens
français et non sujets français comme pouvaient
l'être les Musulmans d'Algérie
qui n'avaient pas été naturalisés,
tout naturellement il n’est guère possible
de défalquer des listes des monuments aux Morts les noms des
Corses du
continent. Le rapprochement des noms pourrait, à la rigueur,
le permettre mais
ce travail n’est pas fait, il n’est pas
sûr qu’il puisse l’être.
En fait, nous rabattre
sur la solution du dénominateur augmenté des
mobilisés du Continent présente
des difficultés symétriques de
repérage de la population à
« rajouter » cette fois. Aussi
nous nous contenterons d’une approche
par la notion de taux d’expatriation nette des
« mobilisables ». Les
évaluations créditent la diaspora corse au
début du siècle (1911) d’environ 52
500 individus sur le Continent. Les données relatives
à la population
professionnelle masculine présente sur le continent au
recensement de 1911 nous
donne une première approche de la population mobilisable
à peu de chose près
hors contingent de l'armée d’active et de
l’armée coloniale, soit un total de
22 000 hommes environ, le reste étant constitué
par les enfants, et… une marge
d’incertitude acceptable dès lors qu’on
raisonne en taux. En effet, la même
marge inexpliquée se retrouve au numérateur des
expatriés nets comme au
dénominateur des
« résidents ». Si
l’on retient ces hypothèses, on
peut estimer un coefficient correcteur du taux de mortalité
des mobilisés qui
n’est plus que de 16,6 %, à quoi il
faudrait, pour être complet,
retrancher les autres facteurs (double compte, accidents, maladies,
etc.).
Le
raisonnement par
les taux a l’avantage d’être facilement
applicable à l’ensemble des
départements et donc des régions militaires. De
fait, la correction effectuée
sur les statistiques des régions militaires donnent un
résultat encourageant
avec un écart-type qui chute de 2,5 points à 1,7
points (la somme des écarts en
valeur absolue est, elle, presque divisée par deux !).
D’une certaine façon, il y a donc bien un lien
structurel entre ruralité et taux de
mortalité mais ce lien est une illusion d’optique,
un biais statistique opéré
par le contingent de migrants.
Dans
le
cas spécifique de la Corse, un second biais demeure, celui
des Corses engagés
dans l’Armée, notamment
l’Armée coloniale, et qui, de ce fait, sont
comptabilisés comme tués au combat, certes, mais
non parmi les mobilisés de
l’île, si leur cantonnement n’y
était pas. Le nombre d’engagés
étant d’environ
3000 hommes,
le taux de mortalité descendrait même en
deçà de la moyenne nationale, rendant
ainsi définitivement non lisible le chiffre du martyrologe
corse.
Cependant,
et malgré tous ces correctifs, y a t-il eu une politique
spécifique de l'Etat à
l'égard des Corses, malgré un effet somme toute
modéré voire nul ?
Les
Corses ont-ils
été traités en sujets et non en
citoyens
à part
entière ?
Examinons
tout d'abord la question des âges d'incorporation. Les
nationalistes soulignent
dans leurs publications ou leurs sites Internet, la
réglementation particulière
qui fut appliquée à la Corse tant sur
l'âge de mobilisation avancée à 17 ans
que sur l'incorporation des pères de six enfants. La nature
juridique des actes
qui auraient permis un traitement différent des Corses n'est
d'ailleurs pas du
tout établie dans ces affirmations. En outre, on assimile
volontiers ce
traitement à celui en vigueur dans les colonies. Il y a
là deux erreurs
majeures.
S'agissant
de l'assimilation
à un sort de colonisé, qu'il suffise de savoir
que seuls les citoyens français
des colonies étaient assujettis à l'ordre de
mobilisation et qu'en revanche le
statut de l'indigénat imposait soit le volontariat soit
l'engagement dans les
troupes coloniales en temps de paix pour participer aux combats. Devant
l’importance des pertes et l’allongement
d’une guerre que l’on avait crue
courte, on recourut au recrutement forcé, surtout
en 1916, ce qui a pour effet
d’entraîner des soulèvements comme au
Soudan. Ce n’est qu’en 1917, que la
conscription est décidée dans tout
l’Empire. Mais, en tout état de cause, il
n'y a pas eu de décret de mobilisation à
l'adresse des "sujets de droit
français" ; pour
« bénéficier »
de textes spécifiques, il faudrait donc que les Corses aient
été encore plus
maltraités que les populations des colonies. Qui peut croire
cela ?
Mais
allons plus loin, et examinons les documents en
cause.
La loi
du 7 août 1913
modifiant les lois des
cadres de l'infanterie, de la cavalerie, de l'artillerie et du
génie, en ce qui
concerne l'effectif des unités et fixant les conditions du
recrutement de
l'armée active et la durée du service dans
l'armée active et ses réserves,
précise
dans son article 3 le vivier de recrutement (appels annuels du
contingent et
engagements volontaires et rengagements). L'âge
d'incorporation est de 19 ans
révolus dans l'année
précédente (20è anniversaire dans
l'année de la classe),
cet âge sera abaissé au 18è
anniversaire pour la classe 18, c'est-à-dire la
dernière année de la guerre. Cette loi s'applique
à l'ensemble des citoyens
français sans distinction.
Le
décret du président de la république,
Raymond Poincaré, en date du 1er août
1914,
portant ordre de
mobilisation générale, est applicable sur le
territoire français (donc la
Corse), l'Algérie, les autres colonies, les pays de
protectorat (article 1er).
Le décret ne prévoit aucune mesure
spécifique pour la Corse.
Le
décret du 6 août 1914 spécifie en outre
que l'âge d'incorporation des
volontaires est de 17 années au moins, en application de
l’article 52 de la loi
du 21 mars 1905 sur
le recrutement de
l’armée.
L’article 25 de la loi
de 1913 parlant du devancement de l’appel en temps de paix
sous certaines
conditions dont l’âge est fixé
à 18 ans révolus et
l’appréciation du
volontariat en temps de guerre s’effectuant
l’année précédant
l’incorporation
soit l'âge de 18 ans, de là provient sans doute le
mythe de l’abaissement de
l’âge de la mobilisation dès le
début de la guerre. Cette confusion est
renforcée par les tricheries patriotiques de certains
candidats au devancement
d’appel qui, dans tous les départements,
n’ont pas hésité parfois à
falsifier
leurs papiers sur l’âge ou
l’état de santé. Bien
évidemment dans toute cette période,
il n’est nullement question d’un traitement
particulier réservé aux Corses.
Il est
vrai, toutefois, que la guerre se prolongeant, les besoins
de recrutement se firent pressants et c’est ainsi que
très vite, les décrets se
succédèrent pour autoriser
l’anticipation des incorporations. Dès
l’hiver
1914-1915, la classe 1915 est appelée en décembre
1914 au lieu d’octobre 1915,
la classe 1916 en avril 1915 et cela se poursuivit tout au long du
conflit
jusqu’à des mesures plus drastiques comme
l’avancement de l’âge même
d’incorporation à 18 ans au lieu 20 pour
l’année 1918. Des mesures
complémentaires comme la réduction des
délais de recensement et d’examen des
jeunes conscrits, de six mois normalement à trois mois
permettent d’accélérer
la procédure des incorporations. Par ailleurs,
l’obsession des
« embusqués » a
parfois enflammé certains gradés qui, au nom de
l’égalité dans
l’impôt du sang, selon l’expression de
l’époque, ont développé
une politique de réaffectation systématique dans
l’active d’hommes retenus dans
la Territoriale et qui plus est, dans certains cas sans examen physique.
Cette consommation
effrénée d’homme a, en fait,
débuté dès les premiers mois de la
Guerre ;
on pensait faire vite, boucler l’affaire avant les
vendanges ! Et puis,
les premières offensives meurtrières, mal
pensées, mal exécutées,
l’hécatombe
qui s’en est suivie, tout cela a probablement conduit
certaines
circonscriptions militaires à se montrer très
« lestes » dans
l’application des règles.
Le
conflit
s’est installé et toute une logique de guerre a
pris le dessus. Le ministère de
la Guerre, par sa politique de récupération des
exemptés, réformés et
ajournés
renforce le principe d’universalité et
d’égalité de la conscription qui se
mesure pleinement dans le fonctionnement des conseils de
révision. Gardons à
l’esprit qu’il s’agit de
l’application d’une politique volontariste de
garantie
de l’égalité de traitement au niveau
gouvernemental et aucune directive
spécifique n’affecte telle ou telle
circonscription. Dans cet esprit, des
décrets et des lois, comme les lois Dalbiez du 17
août 1915 et du 20 février
1917, permettent d’examiner une nouvelle fois des hommes qui
avaient été
écartés, parfois quinze ou vingt ans auparavant,
de leurs obligations militaires.
Certains exemptés ou réformés de la
classe 1914 sont rappelés devant le conseil
jusqu’à cinq fois entre 1914 et 1918 !
Pour autant le caractère égalitaire
de cette politique fut battu en brèche localement en raison
du fonctionnement
réel des Conseils de révision. Ainsi, au dessous
d’une ligne Nantes-Belfort et
singulièrement dans les régions de montagne ou
d’accès difficile, on note
beaucoup d’absences de Conseillers
généraux, membres de droit de ces Conseils,
ce qui a eu pour effet de laisser des militaires et des
médecins militaires
décider en petit comité.
Tordons
le cou enfin au mythe de l’incorporation des pères
de six enfants. Tout d’abord
les ordres de mobilisation retenaient la possibilité de
l’incorporation des
pères de plus de trois enfants vivants dans tous les
départements. Il s’est trouvé que
certains pères de famille nombreuse se sont
trouvés incorporés, soit par
dissimulation de leur situation réelle, essentiellement au
début du conflit,
soit par l’effet de l’application sans discernement
des mesures
d’incorporation, et très
régulièrement les séances de questions
écrites à
l’Assemblées permettent à
l’autorité ministérielle
d’annoncer des mesures de
régularisation. La circulaire du 16 mars
1916 vient regrouper
et établir officiellement les mesures permettant notamment
de maintenir ou de renvoyer les
pères de six enfants
vivants dans leurs foyers qui avaient été prises pendant
le conflit jusqu’à cette date.
On comprendra néanmoins que ces mesures ne sont pas
applicables aux hommes engagés
dans l’armée d’active.
Les rappels à l’ordre
des députés sont parfois devancés par
l’autorité militaire elle-même qui
renvoie dans ses foyers les soldats qu’elle identifie comme
remplissant les
conditions pour y être renvoyés. Enfin, dans la mémoire collective la notion d'enfants vivants
s'est perdue ; c'est pourquoi des pères de six enfants et plus
ont pu être mobilisés (et pas seulement en Corse mais...
partout) si certains parmi ces enfants étaient morts. La chose
n'était pas rare et c'est bien pourquoi la circulaire impose
cette condition.
Pour
clore le débat sur une population militaire corse
sollicitée jusqu’à la corde,
malgré le fort volontariat qu’on a pu constater,
rien n’indique que ce
département se distingue particulièrement des
autres départements à fort
volontariat tels les départements bretons, ceux de la
région parisienne, du
Nord-Est ou d’autres départements du pourtour
méditerranéen. Mieux, le
rendement de l’incorporation est plus remarquable dans les
départements du Nord
et de l’Est que partout ailleurs. La Corse fut
sollicitée, sans doute, mais pas
plus et parfois moins que d’autres et
l’insoumission n’y fut pas plus rare
!
Continuons
notre enquête. Les Corses auraient-ils
été envoyés
délibérément dans les
sections du front les plus meurtrières ou bien auraient ils
été victimes
désignées d’une politique de diminution
du nombre de rotations entre le front
et l’arrière comme semblent le suggérer
ceux qui avancent l’exemple du 173è RI
basé à Bastia, régiment
« corse » par excellence
et qui connaissait une
rotation tous les six mois au lieu de trois fois par an partout
ailleurs,
exposant ainsi les conscrits plus longuement au risque ?
Là
encore, rien ne vient corroborer une telle pratique ni pour les Corses
ni pour
d’autres contingents (les troupes coloniales souffrirent
autant si ce n’est
plus de la période d’adaptation lors de
l’hiver rigoureux 1914-1915).
S’agissant de l’envoi
délibéré des Corses dans les secteurs
les plus exposés,
un élément perturbateur entre en jeu. La
présence des Corses dans les troupes
coloniales fausse la comparaison. Les sous-officiers et caporaux corses
suivirent tout simplement le sort de ces troupes, engagées
dans les opérations
meurtrières alors qu’elles
n’étaient pas préparées au
début du conflit. Et je
ne voudrais pas insister mais que dit-on de l’envoi des
Bretons en première
ligne ? Exactement la même chose
en rappelant plus
modestement que c’était le lot des ruraux, encore
qu’être envoyé en première
ligne est après tout le triste de lot de beaucoup de ceux
qui sont envoyés… au
front !
Pour
ce
qui est des Corses n’appartenant pas à
l’active ou à la Coloniale, il est
difficile d'en juger, aucune statistique disponible
nous permet d'identifier des soldats corses
à
tel ou tel poste. En revanche, prenons le cas de la campagne de
Lorraine du 10
au 24 août 1914, qui se solde par une retraite
précipitée et est à
l’origine
des accusations de lâcheté lancées
contre le Midi. Le
bilan des pertes subies
est de 168 tués
pour le 173è RI soit 4 % des 4157 tués
côté français, et si on le
compare aux 624 tués du 58è RI (15 % des
effectifs), le 173è RI se trouve
même nettement moins touché. L'écart est encore
plus grand si l'on considère le taux de mortalité du
régiment, soit 5,2 % pour le 173è RI et 19,5 % pour le
58è !
Considérons maintenant l’origine des soldats selon
leur lieu de naissance. 258 Corses tombent sur le champ de bataille
contre 581
soldats nés dans les Bouches du Rhône.
Rapporté à l’effectif total
engagé des
six classes de soldats nés entre 1888 et 1893, cela
représente un taux de
mortalité de 3,4%, loin derrière le Var ou
l’Ardèche (Approfondir " Un sort différent
... ?"). Il apparaît donc que le Corses
ne furent pas plus exposés
que leurs camarades. Mais ce n’est pas fini !
Saviez-vous que le 11è corps
(des Bretons et des Vendéens) perdit 1650 hommes en
vingt-quatre heures sur le
chemin des Dames en avril 1917, voilà qui concurrence
sérieusement le 173è RI. Quant
à la composition du 173è RI, n’est-il
pas étonnant de découvrir que beaucoup de
ses soldats n’étaient tout simplement pas corses
et que, dès 1915, la
proportion de Corses diminue fortement au fur et à mesure du
comblement des
pertes par des recrues originaires du centre de la France. Ainsi, sur
la base du
chiffre des tués, 57 parmi les 168 tués du
173è étaient nés sur le Continent. Pour soutenir que la
proportion des tués
n’est pas représentative de la présence
des non-corses dans l’effectif du
régiment, il faudrait tenir pour acquis que les non Corses
s’exposaient plus
que les Corses ! ce qui entre en contradiction avec le
présupposé d’une
exposition au danger délibérée
à l’encontre des Corses. Enfin, comme il y eut
258 tués venant de Corse, cela ne peut vouloir dire
qu’une seule chose, 147
Corses furent tués dans d’autres
régiments et les Corses ne furent donc pas
spécialement repérés en tant que tels.
Comment, dans ces conditions, continuer
à soutenir l’idée d’un tri
anti-corse ?
S’agissant
du problème des rotations, la question fut rapidement
évoquée par les députés
lors des séances de questions écrites
à l’Assemblée mais pas
spécialement pour la Corse. Il est
d’ailleurs répondu par le Ministère de
la Guerre que des instructions sont
rappelées pour assurer le plus juste taux de rotation sous
la réserve qu’on ne
peut distinguer entre première et deuxième ligne
du front, aussi certains
poilus ont pu connaître des rotations successives sur des
premières lignes. Par
ailleurs, les militaires de carrière ont les mêmes
droits que les mobilisés et
seules des mesures discriminatoires en faveur des pères de
quatre et cinq
enfants sont prévues. Tout cela, rappelons-le,
relève du régime commun
applicable à tous les mobilisés.
Lorsqu’on souligne la durée exceptionnellement
longue de la présence du 173è RI à
Verdun — c’est l’origine du
thème lancinant
du traitement discriminatoire envers les Corses au regard du
système des
rotations— on méconnaît plusieurs
dispositions prises
tout autant que la
contrainte de l’éloignement du
département d’origine du Poilu. Tout
d’abord
cette durée d’engagement au front fut
entrecoupée de cantonnements et de
relèves totalisant près de six mois. Sans doute
le cantonnement et la relève
restait à proximité du
théâtre des opérations mais, et
j’en viens au second
point, c’est toute la tragédie de
Verdun ou de la bataille de la Somme :
la crispation sur cette position et son caractère
emblématique tout autant que
stratégique aboutit à fixer dans les environs
immédiats de la bataille le
maximum de forces pendant une durée très longue
avec néanmoins des rotations
rapides entre 8 et 15 jours, décidées par
Pétain, pour, en économisant les
forces de la troupe, mieux tenir les positions (ce fut tout le sens de
la noria
de la Voie Sacrée). Malheureusement Joffre y substituera la
rotation front / repos
à proximité.
Quant à la durée totale
de
présence dans le secteur, tous les régiments sont
touchés et certains subirent
un étirement de leur présence au moins aussi
grand que celui du 173è RI .
Enfin, les Corses furent
défavorisés par
l’éloignement. Ainsi, le
député Henri Pierangeli, cité par
Olivier Maestrati,
s’adresse au Général
Gallieni, ministre de la Guerre, le 17 février 1916, en lui
démontrant que,
dans certains cas, le permissionnaire a juste le temps d’un
voyage aller et
retour. Pour dire vrai ce délai de route qui ampute les
permissions est commun
à beaucoup de destinations lointaines (Massif Central, Alpes du Sud,
etc.) et la Corse est
simplement encore un peu plus loin. En ce début 1916,
l’autorité militaire en
est toujours à une conception étroite
d’une égalité
générale de traitement de
la durée des permissions calculée en nombre de
jours, transport compris.
Néanmoins celle-ci condescend finalement à
adapter la mesure en 1917 de façon
favorable lorsque le torpillage du Balkan réduit de
30 % les capacités de
transport des troupes vers la Corse ! C’est vraiment
jouer de malchance
d’autant que les rappels définitifs du front sont
rares, comme dans la majorité
des régions rurales au rebours des régions
industrielles où, le conflit durant,
on renvoie des ouvriers spécialisés et des
ingénieurs pour concevoir et
produire de nouveaux types d’armes.
Pour
faire bonne mesure, le
discours corsiste évoque également
l’accusation de lâcheté
adressée aux Corses
du 173è (curieux pour un régiment cité
quatre fois), et l’opprobre teinté de
racisme qu’ils eurent à subir, telles les
pratiques de refus de soins dans les
hôpitaux de campagne ou les renvois au front des
blessés avant leur
rétablissement complet. Recherche faite, il semble que
l’on fait ici allusion à
la retraite du 21 octobre 1914, devant Sarrebourg mais cela affectait
le XVè CA
et pas uniquement le 173è qui, il est vrai, s’est
accroché par erreur avec le
55è RI dans la forêt de la Bride. Par ailleurs, il
semblerait que ce sont des
éléments de la 1è Armée qui
ont fléchi (ce qui exonérerait le bataillon du
173è
RI). Enfin, l’accusation de lâcheté
repris dans l’article du sénateur de la
Seine, Auguste Gervais, met en cause des contingents
d’Antibes, de Toulon, de
Marseille et d’Aix ce qui désignerait des
éléments de la 29è division (et non
la 30è, celle du 173è), savoir la 57è
BI et la 58è BI, en visant explicitement
la Provence et nullement la Corse. Les Corses
s’obstineraient-ils à revendiquer pour
eux-mêmes et
eux-seuls les
insultes adressées à d’autres (les
Provençaux) toujours dans une logique de
victimisation ?
La
mythologie du colonisé, au regard de l'engagement des Corses
dans les combats
de la Grande Guerre, ne tient plus. Les Corses n'ont pas
significativement plus
souffert des combats que les autres. Ils n'ont pas
été envoyés
délibérément
dans les combats les plus meurtriers. Et si des soldats corses se sont
trouvés
engagés dans les secteurs les plus durs, ce fut à
l’occasion de batailles
symboles où toutes les forces étaient
jetées dans la fournaise. A cette
occasion, les troupes coloniales furent mises à contribution
et les officiers
et sous-officiers corses moururent non comme colonisés mais
en menant ces
troupes au combat, en encadrant les indigènes des colonies.
Ils sont morts non
en colonisés mais en colonisateurs.
Décimation
ou dépopulation
?
Un
dernier point reste à éclaircir, celui de la
dépopulation des villages de
l'île. En effet, pour "prouver" la
réalité d'une saignée plus
importante en Corse qu'ailleurs, tous, en Corse, de montrer les jardins
abandonnés, les aires de battage de blé en haut
des estives elles aussi
abandonnées, parfois des hameaux en ruines. Or ce qu'on nous
montre là n'est
autre que le signe d'une déprise agricole due en partie aux
pertes de la Grande
Guerre mais encore plus à l'absence des hommes en
âge de travailler la terre,
absence qui dura quatre années entières mais qui
avait commencé dès la fin du
XIXè siècle.
La
structure foncière de l'activité agro-pastorale
corse à la veille du conflit
était celle de micropropriétés
où le gain de productivité par échange
de main
d'œuvre n'était pas possible en raison des longs
parcours haut-le-pied entre
les propriétés (certains jardins sont
à cinq heures de marche du village). En
outre, la petitesse des exploitations et la persistance de
l’indivision ne
permettent aucun début de mécanisation. Lorsque
celle-ci démarrera vraiment
dans la France entière, dans les années
cinquante, la Corse de l'intérieur ne
la connaîtra que dans la plaine orientale et les
piémonts de Balagne ou le grand
Sud (Figari), même là aussi avec retard.
Cette
déprise agricole sera le lot partagé par toutes
les régions de moyenne montagne
(Aveyron, Cantal, mais aussi Drôme dans une moindre mesure) à des degrés
variant selon la configuration du terrain. Il y a correspondance
parfaite entre
la structure foncière et la configuration
géographique d'une part et
l'importance de la déprise agricole avant et
après la Guerre d'autre part.
Pendant la centaine d’années qui
précédèrent le conflit, la population
de la Corse
a doublé tandis que la surface cultivable
nécessaire augmente considérablement.
Mais cela atteint vite ses limites. L’outillage de ces
régions de moyenne
montagne reste rustique
et son rendement ne
permet plus de traiter la surface à cultiver
nécessaire pour une population en
croissance. Le développement des revenus salariaux de
l’administration et de
l’armée vient à pic pour se substituer
aux débouchés industriels eux-aussi en
rétraction. La configuration foncière, les
terrains difficiles à travailler, le
rendement faible de l’équipement agricole, tout
cela empêche les gains de
productivité qui, seuls, auraient pu enrayer
l’abandon des exploitations.
Ainsi, les surfaces céréalières
cultivées chutent de 56000 hectares à 36000
hectares entre 1855 et 1913 au profit, dans un premier temps,
d’autres cultures
comme les agrumes ou bien encore la culture fourragère ainsi
que la vigne qui
bénéficiait d’une demande croissante en
provenance du Continent. Mais très
rapidement, la crise du phylloxera aidant, la viticulture
s’effondre dans les
années 1880 après un développement
spectaculaire tout au long du XIXè siècle
tandis que la concurrence des huiles tunisiennes se
développe et que le
déboisement de la châtaigneraie
s’accentue en raison de l’exploitation du tanin.
Tout cela ne permet pas à l’agriculture de se
diversifier suffisamment pour
éviter la déprise agricole continue, et qui, dans
certains secteurs comme celui
de la châtaigne, commence dès 1870.
Au
lendemain de la Grande Guerre, le manque de bras en Corse a donc eu un
effet
démultiplié par la résistance de la
structure foncière à toute compensation
productiviste. Les villages se sont vidés en faveur du
littoral mais aussi, et
surtout, du Continent dans les emplois administratifs et les emplois
coloniaux de
l'Empire avec un doublement des effectifs corses entre 1920 et 1930,
tant dans
les armées d'Afrique qu'au Levant. En clair, les
agriculteurs corses ont
abandonné la charrue par nécessité
dès la fin du XIXè siècle puis par
force
pendant les quatre ans de guerre et les survivants du conflit,
n’ayant pu
bénéficier de conditions productives favorables,
n'avaient pas les moyens de la
reprendre au retour.
F pour
1000 H
|
1891
|
1901
|
1911
|
France
|
1035
|
1033
|
1014
|
Corse
|
1010
|
999
|
1023
|
|
C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
|
|
Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
|
|
La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
|
|
La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
|
|
Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
|
|
Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
|
|
|