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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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La
contamination des mythes
Enfermé dans une dialectique de la dette, notre homo corsicus ne peut ou ne veut pas
sortir de l’alternative du don contre le dû, le don
de la Corse, ses
sacrifices, son exploitation
« coloniale » historique,
élevé au rang
de mythe fondateur de son devenir. En conséquence, de la
même manière que les
anciennes colonies, la Corse ne semble vouloir trouver son avenir
qu’en
scrutant le passé et en exigeant de la Métropole
que celle-ci prenne en charge
toutes les demandes présentées comme autant de
justes revendications. C’est
indéniablement une réussite
idéologique à porter au crédit (sic) du mouvement nationaliste, lequel
est arrivé en peu d’années à
imposer sa façon de penser le problème corse aux
pouvoirs publics, ainsi qu’à la
société civile, voire même exercer un
magistère
subtil dans les représentations culturelles ou simplement
courantes de la Corse.
Il
s’est agi d’une véritable
stratégie de contamination qui
s’est construite peu à peu à partir de
discours réitérés et incantatoires.
Ainsi en est-il de la « spécificité »
corse, de la nécessité de défendre sa
culture et son identité, de l’abandon de
l’île, des responsabilité de
l’Etat, toutes affirmations qui forment désormais
la trame visible des discours publics sur la Corse. Le
problème corse est ramené quasi exclusivement
à sa spécificité et à
l’inadaptation des réponses étatiques,
par vocation, jacobines. Si la pente
naturelle française est bien celle du jacobinisme, la
caricature est acceptée
sans précaution, or les réformes
adoptées à partir de 1982 ont toutes pris en
compte cette spécificité et ont toutes
affirmé que c’est
précisément la prise
en compte de cette spécificité qui constitue un
facteur incontournable de
réussite. Cet aspect semble inaudible parce que le souvenir
d’une réaction
jacobine entretenue par les notables politiques corses ne
s’estompe pas :
les corsistes s’appliquent à minorer les
avancées successives des propositions
étatiques, surtout lorsque ces avancées veulent
être rattachées à un mouvement plus
large de décentralisation, ce qui aurait pour effet
d’inscrire toute évolution
institutionnelle affectant l’île dans un cadre qui
bien que girondin n’en
resterait pas moins français.
Valse des
statuts sur
un air de spécificité
Dès 1982 devant
l’assemblée de Corse, Gaston Deferre, artisan du
premier statut particulier, le
présentait comme tenant compte des
spécificités de la Corse dans le droit fil
de la décentralisation en cours. Ce statut avait pour
ambition d’affirmer l’identité
culturelle et de permettre aux Corses de s’administrer
librement. L’assemblée
est élue au suffrage universel proportionnel
intégral, dans une
circonscription unique et possède déjà
la capacité de proposer au Premier
ministre des modifications du règlement ou de la loi dans un
domaine certes
limité (culture et développement local). Pour
le reste, un droit d’avis et de suggestion est reconnu au
Conseil exécutif de
l’Assemblée. Dès adoption de cette loi,
les nationalistes ont d’ailleurs fait
connaître leur désir d’aller plus loin
en fêtant l’avancée avec quelques
pétards. Cette
réforme avorte en raison du mode de
scrutin qui rend l’Assemblée inopérante
et en 1985, la Corse réintègre le droit
commun électoral. Pas moins de trois statuts ou projets de
statut vont suivre.
Pour
réformer le statut Deferre,
Pierre Joxe va devoir régler la question de la
stabilité des majorités à
l’Assemblée. Pour un nombre de sièges
réduits à cinquante et un, le scrutin
proportionnel est corrigé pour permettre à la
liste gagnante de dégager une
majorité. Le nouveau statut bénéficie
de l’expérience de la Polynésie et
prévoit des compétences plus étendues,
infrastructures routières, lycées et
collèges, en sus du domaine culturel et du
développement économique, ce qui a
vertu d’obligation faite au Premier ministre de consulter la
Collectivité
territoriale "sur les projets de loi ou de décret comportant
des
dispositions spécifiques à la Corse".
Néanmoins la notion de peuple corse
est invalidée par le
Conseil constitutionnel (Déc. 9 mai 1991). Ce qui reste
remarquable est la
reproduction presque mot à mot de la présentation
du projet Defferre dans celui
de Joxe. On y parle en effet à nouveau de « reconnaissance du
caractère original des intérêts de la
région Corse » et de son «
identité culturelle et sociale ».
Après
l’assassinat du Préfet Erignac,
l’épisode Bonnet, et une réponse
spectaculaire
des clandestins
au préalable de l’arrêt de la violence
exigé par Lionel Jospin, premier
ministre, une négociation associant tous les élus
de l’île, sans exclusive, et
donc comprenant les nationalistes est engagée fin 1999. Le Processus
de Matignon aboutit à l’adoption de la
loi du 22
janvier 2002 qui intègre l'enseignement du corse dans
l'enseignement primaire et élémentaire,
prévoit d'importants transferts de
compétence à l'Assemblée de Corse
comme la fiscalité et le développement des
infrastructures ; en revanche, le Conseil Constitutionnel
censure tout
partage même très encadré du pouvoir
législatif. Il est patent que ce plan
Jospin confirme la tentation de reconnaître politiquement le mouvement
nationaliste, en espérant intégrer
ce dernier au jeu
démocratique alors que
ce qui est attendu par la mouvance nationaliste n’est pas
cela mais bien de
pouvoir jouer aux marges afin d’obtenir avantages et
liberté de manœuvres dans des
activités bien éloignées des
proclamations habituelles. Rappelons que ce jeu
aux marges est souvent un jeu aux marges de la
légalité, et que, comme le
notait la Commission d’enquête sur le
fonctionnement des forces de sécurité, dans
certains milieux nationalistes, les jeunes n'ont jamais vu leurs
parents
travailler, non parce qu’ils
étaient au
chômage mais parce que leurs revenus avaient peu à
voir avec la notion de
rémunération d’un travail.
Il
n’en
reste pas moins que le projet Jospin s’il se situe dans la
continuité des
statuts antérieurs est le premier à
être proposé en renonçant explicitement
au
préalable du respect de la légalité et
du renoncement à la violence. En clair,
la France accepte de s’adapter à la
spécificité corse et l’on comprend
dès lors
l’hostilité des élus, corses ou non,
opposés à tout renoncement de ce type.
Cela étant les élus en question, dans
l’île, au quotidien,
n’hésitent pas à
pratiquer le compromis historique en s’alliant avec des
représentants du
nationalisme, en souhaitant sans doute entraîner ces derniers
dans un projet
commun d’autonomie dans le cadre de la république.
Mais là encore on ne prend
pas la mesure du caractère marginal au sens premier de la
mouvance nationaliste
qui finit par laisser s’exprimer des groupes qui utilisent la
violence pour
contrôler une partie de l’économie
locale.
Et
c’est
là que le bât blesse, l’enjeu du
« processus de Matignon » est moins
d’augmenter l’autonomie de gestion d’une
région (ce qui ne crispe que les
jacobins invétérés, mais il y en
a…) que de s’assurer de la capacité
qu’aurait
l’Etat à éviter que les nouvelles
institutions servent de levier à des milieux
affairistes manipulant le discours nationaliste. Dans ce cas, la
revendication
de la « spécificité »,
reviendrait à échanger de nouveaux notables
contre les
anciens en rééditant
l’échange au XIXè siècle
entre notabilité terrienne
d’essence bonapartiste et notabilité
républicaine de distribution des emplois
mais, cette fois, avec une implication criminelle affirmée.
L’échec de Lionel
Jospin à l’élection
présidentielle et le changement de majorité qui
s’en suivit
a relancé le débat sur la statut de
l’île pour lequel le projet Sarkozy,
au-delà de la suppression des deux départements,
avait pour but de transférer
les prérogatives départementales à une
collectivité unique qui aurait
la personnalité morale, lèverait seule
l'impôt et voterait le budget. Cela
revenait à confier des leviers d’action beaucoup
plus importants aux élus
nationalistes, représentés à
l’Assemblée en raison du mode de scrutin alors
qu’ils sont absents dans les Conseils
généraux. L’échec du
référendum local a
enterré ce projet qui, lui aussi insistait sur la
nécessité de la
reconnaissance de la spécificité.
La
fortune de la notion de spécificité est
décidément exemplaire.
Lionel Jospin n’en définissait-il pas les contours
d’une façon péremptoire et
dont le caractère fantaisiste, inachevé et pour
tout dire simplificateur ne fut
presque pas relevé. Ecoutons-le lorsqu’il en parle
dans une tribune libre du
Nouvel Observateur.
Ce qui
ne veut pas dire évidemment qu'il
soit possible, comme je l'entends bien légèrement
prétendre ici ou là,
d'assimiler à la situation singulière de la Corse
celle d'autres régions
françaises comme la Bretagne, l'Alsace ou encore le Pays
basque.
[…] il
sera largement reconnu que
l'unité
n'est pas forcément l'uniformité, que
l'insularité et la spécificité corses
peuvent justifier d'explorer de nouvelles voies permettant de conjuguer
unité
et diversité. Faut-il rappeler d'ailleurs que la plupart des
îles importantes
bénéficient, au sein de nos nations d'Europe,
d'un statut d'autonomie bien plus
marqué que les évolutions envisagées
pour la Corse ?
Tout
y est. La Corse présente des caractères qui la
distinguent des autres régions même celles
à caractéristique culturelle ou
linguistique forte. En conséquence, ce qui sera fait pour la
Corse ne le sera
pas pour les autres (ceci afin de rassurer ceux qui craignent un effet
de
domino) mais cela signifie aussi qu’on considère
qu’il faut aller très loin en ce
qui concerne la Corse, sous-entendue parce qu’elle est plus
spécifique encore
que d’autres régions ou qu’elle groupe
plusieurs caractéristiques qui la
distingue. Et, en effet, le premier ministre ajoute
l’insularité à la
spécificité. L’aunis-saintongeais
n’étant ni véritablement
pratiqué ni
considéré comme une langue (pourquoi pas
d’ailleurs, il est tout autant fils du
latin que le corse), l’île
d’Oléron ne peut exciper que de son
insularité, et
l’Alsace, pourtant linguistiquement plus
éloignée et, qui plus est, pratiquant
vraiment sa langue, ne peut cultiver qu’un peu de
spécificité linguistique sans
l’argument de l’insularité ;
enfin l’on tiendra pour négligeable l’insularité
linguistique du basque ! C’est donc le
cumul qui justifierait le
traitement particulier, d’autant que c’est le lot
de beaucoup d’îles
méditerranéennes. Mais que retirent-elles
vraiment de plus que ce qui peut être
envisagé pour la Corse ? Pas le niveau du revenu
par tête, ni le taux de
chômage !
Là encore, le premier
ministre (ou ses conseillers) est victime du mirage sarde et de la
stratégie de
la contamination idéologique qui opère par
affirmations jamais passées au
crible de la critique.
La
stratégie de la
contamination
Parlons du syndrome sarde ou maltais. Sous cette expression
il faut entendre à la fois les mirages
économiques du développement des îles
méditerranéennes qui échapperaient
à la baléarisation, qui pourraient renouer
avec leur passé tout en gardant le cap vers
l’avenir des nouvelles
technologies, par exemple. C’est le mariage du mythe de
l’authenticité et du
développement high tech. Dans cette optique l’on
évoque tour à tour Monaco,
Hong Kong (évitons Macao !), Singapour, donc des
villes-Etat ne possédant
pas d’arrière-pays productif, ou bien encore le
développement exemplaire de
Malte ou le sort de la Sardaigne dont beaucoup de
caractéristiques rapprochent
de la Corse mis à part la densité ou le
développement. L’effet de contamination
agit sans analyse sérieuse. Ainsi, les planificateurs
régionaux reprennent
cette approche sous d’autres vocables, en parlant de
dynamique d’ouverture et
d’innovation (nouvelles technologies, promotion des
échanges avec l’extérieur,
mise en place de pôles technologiques,…), tout en
valorisant le potentiel de
développement apporté par le patrimoine culturel
et naturel de l’île.
C’est bien une communauté de vue qui
émerge sur le pari d’une synthèse
possible
entre industries prestigieuses mais coûteuses en subventions
et développement
d’activités respectueuses des exigences du
développement durable. Ce pari même
bien habillé est un miroir aux alouettes
en l’absence d’une vision
plus sectorielle des choses. Comparé au
contrat de plan de 1985, celui de 2000 semble à cet
égard, plus prudent. La
contamination faiblit peut-être au sein de la
technostructure, mais elle a de
beaux jours dans les cercles de la communication politique, sociale et
culturelle.
Le
mythe sarde c’est aussi la réputation qui est
faite aux
îles non indépendantes de la
méditerranée, et au premier chef la Sardaigne,
d’avoir un statut d’autonomie très fort
sans remettre en cause l’unité des
nations mères. Outre qu’il est cocasse
d’entendre des indépendantistes jurer
leurs grands dieux que l’autonomie est compatible avec le
maintien des liens de
dépendance, c’est prêter beaucoup plus
que ce qui est. Certes
le statut sarde permet ce que le
projet Jospin ou le projet Sarkozy promettait, mais les
prérogatives de l’Etat
central reste néanmoins très fortes.
Autre
moyen de contamination, l’impact de l’internet. Et
ce
de deux façons. Les nationalistes existent surtout sur la
Toile, leurs sites
relaient des analyses, des chiffres qui sont
référencés lorsqu’ils sont
vrais
et qui deviennent autant d’affirmations
péremptoires sans mention de sources
dès lors qu’ils sont purement fantasmatiques.
Ainsi, il est souvent difficile
de séparer le grain de l’ivraie. La
quantité proprement phénoménale
d’informations décourage le lecteur attentif et
éblouit le lecteur pressé.
Ainsi, rien ne vient remettre en cause les différents mythes
qui y sont exposés,
d’autant que certains détails sont vrais. Oui, il
est vrai que des Corses sont
rentrées dans l’île avec des
épouses légitimes indigènes mais
s’agit-il d’une
caractéristique de l’ethnie corse que
d’être ainsi un truchement entre le
colonialiste français et le colonisé ?
Le même glissement entre anecdote
et principe général s’observe dans tous
les domaines. De la même façon,
l’interprétation des faits, purement
idéologique, ne fait jamais référence
à
des travaux circonstanciés et reconnus ; les
auteurs des sites se citent
les uns les autres, se recopient, un peu à la
manière de la stratégie des sites
négationnistes où il s’agit bien de
construire mythes sur mythes. La seconde
manière de contaminer est l’usage des forums,
où l’on cherche à faire sortir du
cercle magique des mythomanes des affirmations tendancieuses
à destination de
l’extérieur, à savoir les internautes
non corsistes égarés sur ces forums. Un
internaute ébranlé par des
références apparemment documentées (on
a vu plus
haut qu’il n’en était rien) se transmue
alors, à son corps défendant, en un
vecteur de contamination très prisé, fort
au-delà du corsisme. Les forums
agissent aussi en direction des militants de base dont ils dopent la
conviction. On ne dénoncera jamais assez l’impact
incontrôlé et
délétère de ces
forums sur les jeunes corses que l’on conforte dans la mise
en cause d’un
pouvoir étatique responsable de tout et de son contraire, y
compris d’une
marginalisation pourtant cultivée et pensionnée et que
l’on enferme dans le déni des
réalités. Pourquoi s’étonner
lorsque
certains jeunes Corses, parfois très jeunes, ayant ainsi
intériorisé une
oppression largement mythique et fantasmatique soient tentés
d’accomplir des
actes dangereux pour eux-mêmes ?
Les relais
d’opinion sont une
voie très prisée par les chantres
autoproclamés de la spécificité ou du
corsisme, notamment les hommes politiques qui développent
une vision mal
documentée du problème corse.
La
contamination est réussie lorsqu’un homme
politique de premier plan (un ancien
premier ministre, par exemple) développe un argumentaire
confortant les thèses
nationalistes. C’est arrivé avec Michel Rocard qui, dans une
tribune libre du Monde en date du 31
août 2000 s’est fendu d’un texte au titre
évocateur [ Corse : Jacobins, ne
tuez pas la paix ! ] et qui reprenait une
grande partie des thèses corsistes. Bien
évidemment, ce texte est l’un des plus
en vue sur la Toile nationaliste et même au-delà
de ses frontières.
Ce
texte est dangereux car il donne une caution à des
thèses dont on a vu qu’elles
sont éminemment discutables. Non seulement cela conforte les
Corses, et en
particulier la nouvelle génération, dans une
perception mythifiée du passé qui
dispense de toute réflexion sur l’avenir
mais les décideurs (et les
négociateurs) eux-mêmes s’y laissent
prendre,
notamment à l’occasion du processus de Matignon
que ce texte est censé appuyer.
Michel
Rocard présente la question
corse comme le produit d’un rejet par la France. Et
d’ajouter que le processus
en cours (celui de Matignon) vise à tarir le recrutement
d’une délinquance du
désespoir. Bizarrement, il affirme également que
les mafieux, « pour
maintenir leur ligne de violence
démente, sont de plus en plus obligés de se
couper des troncs principaux du
nationalisme corse », niant ainsi toute
imbrication entre le
nationalisme et les dérives vers le grand banditisme,
à rebours de tout ce qui
peut être observé. On ne voit pas en quoi le
recrutement des jeunes générations
par des groupes de plus en plus violents devrait
s’arrêter si les promoteurs de
cette violence mafieuse sont tenus pour être de plus en plus
distincts de la
mouvance clandestine et, par conséquent, sont inaccessibles
à un accord quel
qu’il soit.
Dans la
suite du texte, il
énumère ce
qu’il tient pour des
mensonges (« je n'ai pas
une goutte
de sang corse mais je n'aime pas que l'on me raconte des histoires,
fût-ce au
nom de mon pays »), ou l’oubli
du passé dommageable à la
réconciliation puisque « il
y a une
révolte corse. On ne peut espérer la traiter sans
la comprendre ». En
d’autres termes, cet article martèle les mythes en
ayant en arrière plan la
notion de colonialisme intérieur. Il n’est
d’ailleurs pas surprenant que Michel
Rocard ait été, à son corps
défendant, sensible à cette notion puisque
lui-même
l’avait développée dès 1966,
en faisant la fortune d’une formule qui, dans
l’environnement des événement de mai 68,
fut alors interprétée selon un modèle
centre/périphérie inspiré de la
description néo-marxiste du tiers-monde.
Que
dit Michel Rocard dans cet article du Monde ?
Tout
d’abord il rappelle que la
Corse fut achetée mais oublie de préciser
qu’il s’agissait d’une pratique
habituelle des Monarchies. Il précise qu’il fallut
une guerre, mais nous avons
vu que cela ne souligne aucune spécificité corse,
demandez aux Francs-Comtois !
il y affirme que la France y perdit plus d’hommes que pendant
la guerre
d’Algérie, n’y revenons pas, nous en
avons mesuré le caractère douteux dans un
précédent chapitre. Enfin, pour faire bonne
mesure, il nous dit que la Corse est
restée « Gouvernement
militaire jusque tard dans le XIXè siècle avec
tout ce que cela implique en
termes de légalité
républicaine ». Outre
l’ambiguïté savamment entretenue sur la
notion
de gouvernement militaire (circonscriptions militaires), on ignore que
la Corse
fut l’objet d’une départementalisation
immédiate, où seule la mise en place
d’un Administrateur général
superposé aux Préfets pendant le Premier Empire
fait exception, la réunion des deux départements
du Golo et du Liamone étant
chose acquise dès 1811. Le tout est habilement (ou par
ignorance, on ne sait)
mêlé aux opérations d’ordre
public confiées aux voltigeurs (corps de
supplétifs
corses) et aux gendarmes dans la lutte contre le banditisme.
Plus
loin, bien sûr, Michel Rocard
prend la carte forcée du mythe du sacrifice et du
colonialisme intérieur
illustré par la guerre de 1914-1918, dont on a vu ce
qu’il fallait en penser.
S’en suit une erreur fréquente
d’interprétation reliant la
désertification des
villages à l’absence d’hommes valides,
alors que l’émigration hors de Corse
précède nettement le conflit et que la cassure de
la courbe des naissances date
de la fin du Second Empire. Comme on l’a vu,
l’entrée dans l’administration est
antérieure au XXè siècle et la
référence aux douanes
qu’évoque Michel Rocard
étonne lorsqu’on oublie
l’Armée et la gendarmerie, quant à la
référence aux PTT
on se demande s’il ne confond pas la Corse avec le Sud-Ouest.
Bien évidemment,
l’économie assistée de la Corse est
mise au débit de l’Etat qui, horresco referens, a permis aux Corses
d’avoir des emplois de
substitution à la déprise agricole et des
responsabilités parfois dominantes
dans l’appareil d’Etat. Ce raisonnement participe
de cette schizophrénie
insulaire consistant à refuser mentalement les
conséquences de l’entrée de la Corse
dans un ensemble économique plus vaste mais en gardant
jalousement présent à
l’esprit la conscience d’un droit aux avantages de
cette évolution économique
et sociale, le droit aux prébendes. Enfin, et contrairement
à ce que Michel
Rocard affirme, les plaisanteries ou le reproche parfois hargneux fait
à la
paresse corse ne date pas du conflit de la guerre de 14 et son
supposé impact
sur l’abandon des terres. Dire qu’on n’en
trouve pas trace avant est purement
fantaisiste. Il n’est pas besoin de rechercher
très loin : dans l’un des
nombreux sites corsistes qui mettent en ligne l’article de
Michel Rocard, on y
trouve sur la page consacré au racisme
anti-corse les démentis les plus clairs dans les quelques
citations proposées,
toutes antérieures au premier conflit mondial.
Bien
entendu la question foncière
est évoquée bien que de façon
elliptique en accusant les métropolitains non
corses (mais aussi corses, bizarrement puisque le droit successoral ne
pouvait
en aucune manière les exclure) de s’être
approprié injustement
les terres ancestrales. C'est
aussi la raison principale pour laquelle beaucoup d'agriculteurs corses
traditionnels n'ont pas de titres de propriété
leur permettant d'obtenir du
crédit.
Sur la
question de la tuerie
d’Aleria (je reprend l’expression
utilisée par Michel Rocard), l’ancien premier
ministre affirme « qu’elle a
donné le signal du recours à la violence, parce que tous les Corses, je crois sans
exception, ont très bien compris que jamais une riposte
pareille à une
occupation de ferme n'aurait pu avoir lieu dans l'Hexagone ».
Voilà
une affirmation purement gratuite, où il adopte le discours
justificateur de la
violence. En réalité, si une telle
démonstration de force fut un gâchis et une
bourde sanglante, ce que personne ne nie, elle ne constitue nullement
un
traitement particulier, réservé aux Corses.
Rappelons que la crise de la
mévente viticole atteint son période en 1907.
Cette année-là, la forte
productivité des ceps américains
aggravée par l’utilisation abusive de la
chaptalisation (déjà !) provoque une
chute des prix. Les manifestations
qui se développent investissent les villes pour protester
contre la fraude à la
chaptalisation. Le mouvement se politise et culmine à
Montpellier (600 000
manifestants). A compter du 10 juin, presque toutes les
municipalités des
départements touchés démissionnent.
Clemenceau fustige alors les discours à
connotations autonomistes des meneurs et fait donner la troupe,
c’est-à-dire
l’armée. Bilan : 6 morts parmi les
manifestants. Rappelons qu’à Aleria
puis à Bastia, les morts furent
déplorés dans les rangs des forces de
l’ordre.
Où est la spécificité ?
Les
péchés de la Somivac sont
également évoqués avec le rachat par
cette société d’économie
mixte de lots à
viabiliser. Le rachat touchait des terres disponibles, le plus souvent
en
déshérence, pour les remembrer, les doter de
voies et chemins, et de les
irriguer. Les 400 premiers lots devaient être revendus
à des paysans
corses ; ceux-ci
manifestant un intérêt limité
et le retour des Pieds-Noirs étant inévitable, le
Gouvernement en réserva la
quasi-totalité à ces derniers. Mais comment se
manifeste la mobilisation des paysans corses ? Elle ne se
manifeste
pas ; ceux-ci attendent de constater que l’affaire
était intéressante pour
commencer à s’y porter candidats.
Entre temps, les grands propriétaires corses ont vendu,
à bon prix (le prix de
l’hectare est passé en quelques mois de 800 F
à 1200 F en plaine orientale),
aux acheteurs pieds-noirs, trop contents de se débarrasser
de terres depuis
longtemps gelées par les contrats traditionnels de pacage.
Dans la plaine
d’Aléria, les petits propriétaires
vendent eux aussi des lots inexploitables
parce qu’ils sont morcelées ou en indivision.
Pour
terminer le long exposé des
injustices (coloniales ?)
faites
à la Corse, quoi de plus parlant que de dénoncer
l’échange inégal qui se
présente comme une réédition des
mesures douanières de 1818, alors qu’elles ne
furent que maladresse, absence de courage, concussion ? Il
n’empêche
l’impression reste sans autre preuve que
l’affirmation.
Pour
terminer la longue revue des
errements de la France, Michel Rocard met en exergue la politique
maritime que
l’Etat a mené en imposant « un
monopole de pavillon maritime […] avec les
conséquences asphyxiantes que l'on
devine ». Bien sûr il n’est rien
dit de
ces conséquences asphyxiantes et pourtant que de choses
erronées ou
approximatives sont véhiculées sur le sujet.
Sans
doute, l’ancien premier
ministre prend-il la peine de nier que cela constitue la marque du
colonialisme
mais en indiquant que « le débat
sémantique est sans intérêt, car il est
sans conclusion », ce qui est contradictoire, car si
l’on considère qu’il
n’y a pas de trace de colonialisme, c’est
qu’on apporte bien une conclusion au
débat sémantique ou bien, au contraire, si on
tient vraiment pour impossible de
conclure le débat sémantique c’est que
l’on reconnaît que le doute subsiste
quant à la nature colonial du lien entre le Corse et la
France. A moins que le
message réel soit de laisser entendre que ce
colonialisme-là ne peut se dire.
Pourtant Michel Rocard insiste à nouveau sur
« l'imbrication profonde de
la population corse dans la population
française » et son histoire. Tout cela
pour faire accroire la notion d’oppression particulière
dont on a vu pourtant
qu’elle fut subie par de nombreuses autres provinces.
Que
retenir de ce texte, si ce
n’est la manifestation de la contamination soit indirecte
(lecture de certains
journaux complaisants, de livres corsistes qui semblent illustrer ce
colonialisme intérieur que Michel Rocard
dénonçait en son temps) soit directe
par l’influence de conseillers qui ne fournissent aucune
information sur leurs
sources, mais dont le discours décapant est tentant. Cela
étant, il ne
faut pas oublier que ce texte est un texte de circonstance ;
il visait à
appuyer la démarche des accords de Matignon. Il lui fallait
bien donner une
justification à des négociations entreprises avec
des élus dont certains ne
rejettent pas, voire justifient le recours à la violence.
Pour justifier
l’abandon du préalable de
l’arrêt de la violence, il faut bien affirmer
qu’il y
avait matière à violence, qu’il y avait
donc oppression, et que l’Etat doit faire
amende honorable. Cet article était bien sûr un
texte de circonstance mais l’ennui
est que cet aspect est occulté, le temps passant, et
c’est sans recul qu’il est
désormais reçu à longueur de sites
nationalistes sur l’internet, très
goûté
dans l’île.
Les
palinodies de
Matignon et leurs suites
A
l’issue du processus de Matignon,
le texte du Gouvernement remis
aux élus
corses le 20 juillet 2000 a fait l’objet d’une
publication destinée au grand
public par le journal Le Monde dans son édition du 6 et 7
août. Le chapeau
introductif du quotidien reprend la thématique habituelle de
la spécificité
alliée à l’insularité,
c’est désormais une vérité
qui ne se discute plus. Dès
le début du texte gouvernemental, la territorialisation de
l’île est à l’ordre
du jour avec la suppression des départements et
l’érection de l’île en
collectivité unique. Les uns interprètent ce
texte dans le sens d’un
approfondissement de la décentralisation, mais
c’est surtout le transfert de
compétences particulières relatives à
l’adaptation des normes qui irrite les
autres. Il faut être juste, il ne s’agit nullement
d’un pouvoir législatif intégral,
en réalité il se réduit à
un pouvoir de dérogation à certaines dispositions
de
la loi sous la réserve de l’approbation du
Parlement. Le pouvoir d’initiative
est réservé au domaine réglementaire
qui peut faire l’objet de dispositions
adoptées par délibération de
l’Assemblée de Corse. Le débat
s’est focalisé sur
l’autonomie législative et
réglementaire ainsi octroyée mais qui, pourtant,
ne
va pas plus loin que ce qui est pratiqué ailleurs, hors de
France.
En fait,
c’est, sous-jacent, la
notion de Peuple corse qui fait problème plus que
l’autonomie de décision
elle-même, voyez le débat sur
l’enseignement de la langue corse. Il est vrai
qu’à cette occasion, apparaît la notion
d’obligation facultative,
l’enseignement de la langue corse prenant place dans
l’horaire scolaire sauf volonté contraire des
parents, droit qu’on imagine
devoir être peu souvent exercé. Sans doute on
pourrait craindre que l’autonomie
de décision fût dévoyée
compte tenu des pratiques déjà peu claires de la
société insulaire, mais l’essentiel est
ailleurs. Ce qui est en cause est que
chacun des négociateurs n’attend pas la
même chose de cet accord. Chaque partie
en attend des avantages inconciliables, des avantages qui
s’excluent les uns
des autres. Ce qui est attendu de cette réforme est
pour les uns une
facilité de gestion, et pour les autres un pas de plus vers
le large. La
comparaison avec les autres îles de la
méditerranée qui
bénéficient de statuts
particuliers ne vaut pas car la relation à
l’ensemble national n’est pas remis
en cause, le séparatisme n’y a pas droit de
cité : la Crète a lutté pour
son rattachement à la Grèce, les
Baléares s’inscrivent dans un ensemble
déjà
très ouvert à l’autonomie de ses
parties, la Sardaigne ne connaît pas de
tension séparatiste forte, la Sicile qui en a connu
bénéficie d’un régime qui
semble la satisfaire.
L’absence
de vraie réflexion sur la notion de
spécificité
devait amener d’autres déconvenues.
N’oublions pas que la démarche fut reprise
par Nicolas Sarkozy, avec l’échec que
l’on sait au référendum sur
l’évolution
institutionnelle de la Corse le 6 juillet 2003. Mais la tactique de la
contamination par affirmations répétitives sur la
spécificité ne s’arrête pas
à
la sphère politique et au débat constitutionnel On peut noter
sans trop tendre l’oreille
que la spécificité entre dans les
mentalités parce qu’elle répond
à un à priori
continental ancré dans l’inconscient collectif,
celui de la spécificité des
régions à substrat culturel aux marges de la
francité, comme le pays basque, la
Bretagne bretonnante, l’Alsace et bien sûr la
Corse, quand bien même cette
spécificité n’est pas reçue
comme expression de peuples opprimés mais comme
partie typée de la
communauté
nationale.
Un long
dimanche de
fiançailles, un exemple de contamination de la
société civile
Pour prendre un exemple marquant de cette perception, il
nous faut revenir sur un scandale corso-corse, celui de la
scène où Ange Bassignano,
l’un des cinq sacrifiés pour l’exemple
du film « un long dimanche de
fiançailles », pour sauver sa peau, clame
à l’adresse des lignes
allemandes qu’il n’est
pas Français.
Cet épisode a été vécu
comme une insulte puisqu’il met en exergue la
manifestation d’une lâcheté (bien
compréhensible, au demeurant) mais qui a
été
reçue comme un camouflet jeté à la
face des combattants corses dont le
sacrifice est honoré comme pacte de sang pour les uns et
dette de sang pour les
autres. Pourtant, ce qui s’y lit est plus subtil et plus
significatif : le
réalisateur du film fait sienne, au fond,
l’idée que les Corses ne sont pas
Français, puisqu’il apparaît naturel
qu’un soldat corse puisse avoir un tel
cri, qu’on n’imagine pas venant d’un
soldat d’une autre région. Le scandale
est, en réalité, bien là,
d’autant que cette scène est écrite
tout à fait
différemment dans le roman qui a inspiré le film.
Le roman éponyme de Sébastien
Japrisot, anagramme de Jean-Baptiste Rossi (je vous laisse deviner
l’origine),
décrit non un soldat corse mais un soldat de parents italiens. Le cri de
dénégation y est, par conséquent,
beaucoup plus
naturel. Comment accepter de mourir pour une patrie qui vous condamne
pour
lâcheté devant l’ennemi et vous balance
entre les premières lignes, alors que
l’on n’est Français que depuis si peu de
temps, le temps que le droit du sol
fasse de vous de la chair à canon ? Eh bien, pas
même cela dans le roman
où le personnage n’a qu’un cri assez
neutre sous ce rapport : « je me
rends ! ».
Ce
contexte très particulier, très clair dans le
roman, reste totalement occulté tandis qu'
une autre interprétation est proposée en changeant
l’origine du personnage, pour
en faire, en pleine guerre de 14, où les Corses ont fait
assaut de volontariat,
comme une anticipation du séparatisme.
Affirmations
gratuites
et contamination comme symptôme de l’absence de
projet
Ce à quoi on assiste depuis plusieurs années est
une
litanie séparatiste sans vrai projet. Le discours
tiers-mondiste des années
soixante-dix tient lieu de refrain et les nationalistes se sont ainsi
réfugiés
dans une pensée qui s’élève
contre la légitimité du don des talents et des
hommes
que l’île a consenti par force d’abord,
par tromperie ensuite, par fascination
aussi, par habitude enfin. Cette diffusion d’une
idéologie du don et du dû
tourne sur elle-même, en ânonnant la chanson de la
dette. Bien sûr, le dû (à la
Corse par sa marâtre patrie) peut, dans un premier temps, se
révéler payant en
ces temps de devoir de mémoire. Suffit-il alors
d’inventer une mémoire,
d’inventer un passé pour investir un
avenir ?
Pas
si simple….
Même des
interventions
fort policées se voulant
éclairer des instances respectables comme les Conseils
économiques et sociaux
régionaux, reprennent sans inventaires des thèses
dont on vient de montrer le
caractère approximatif voire purement et simplement
erroné, venant des
meilleures feuilles corsistes (voir à ce propos,
l’intervention de Raymond
Ceccaldi, le
16 novembre 2000 devant
l'Assemblée des CES Régionaux
de France)
« L'Arabe au
pied du palmier, le corse au pied du châtaignier / La
châtaigneraie corse est
la belle fainéantise de ses paysans »
Jean
Lorrain, Heures de
corses-1905
« Les
guerres ont laissé dans le coeur des
habitants de vieilles querelles à vider et le
dégoût du travail. Comme chez
tous les peuples ignorants, l'ennui, la paresse et la vanité
entravent
l'industrie. » Joly
Delavaulignon, Voyages
pittoresques en Corse-1821
« Leur esprit
est naturellement léger. La paresse est un de leurs vices
ordinaires » Jaussin,
Mémoires historiques- 1758
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C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
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Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
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La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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