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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Ah !
Le bon temps des colonies !
Ici,
il n’agit nullement
d’entrer dans le débat des aspects positifs ou non
de la colonisation mais
seulement de présenter le rôle
spécifique des Corses dans l’aventure coloniale
française qui leur permit de projeter au dehors une Nation
corse qui ne se
trouvait pas au-dedans, en étant les héros
d’une aventure qui fut la leur
autant que celle de la République. Nous le verrons dans un
chapitre sur la
révision de l’Histoire
opérée par les mouvements nationalistes, mais
c’est un
aspect de l’histoire de la Corse qui veut être
oublié aujourd’hui par certains,
ou plus exactement, qui est réécrit, pour
accréditer l’idée que le colonisateur
corse eut un comportement différent des
autres, plus proches des
colonisés, colonisé lui-même sans
s’en rendre compte.
On
verra, bien au contraire,
que la politique suivie par les administrateurs corses est conforme
à ce qui
était attendu par la Métropole, que le
comportement des petits chefs corses ne
se distingua nullement de celui des autres petits chefs, que les
comportements
courageux et équitables n’étaient pas
une caractéristique des seuls Corses pas
plus que le comportement brutal et raciste et que si certains
n’ont pas
dédaigné les unions avec les filles des colonies,
elles ne furent pas nécessairement
définitives et que pour quelques mariages exotiques combien
se sont comportés
en satrapes en leur harem. Enfin, les colons corses n’ont pas
non plus ignoré
leur intérêt bien compris. Sans doute peut-on
citer quelques engagements
anticolonialistes ou, au moins, respectueux de
l’indigène, mais ils
n’étaient
pas si nombreux et ne se démarquaient nullement de
l’engagement d’autres
Français. Il y a quelque malséance à
se couvrir de lauriers d’une conscience
tiers-mondiste bien anachronique et c’est proprement
insultant pour les
ressortissants des colonies authentiques. Mais avant tout, furent-ils
les
fourriers de l’Empire, lancés dans une aventure
à leur corps défendant,
l’épée
dans les reins comme le proclame une certaine vulgate?
L’épée
dans les reins,
vraiment ?
Les
colonies furent
exploitées pour leurs ressources que ces ressources
consistent en terres
arables sans limitation dans l’espace ou
l’utilisation d’une main
d’œuvre bon
marché sinon gratuite dans le cadre de grandes
propriétés latifundiaires, ou
qu’elles consistent en ressources naturelles et en
matières premières (café,
caoutchouc, nickel, etc.). Dans toutes les colonies, la ressource
humaine
abondante et peu chère a permis une extension de la
production sans gain de
productivité notable. La question qui est posée
est celle-ci : les Corses
furent-ils des colonisateurs colonisés, ou, en
d’autres termes, la France
a-t-elle recherché une main d’œuvre
militaire ou civile pour l’administration
de ses colonies ?
Une
telle question ferait sourire
si elle n’était pas exprimée le plus
sérieusement du monde, non pas aussi
brutalement, mais insidieusement, et ce dès la parution de
la revue corsiste de
Santu Casanova, A Tramuntana, en
évoquant le racolage dans les villages,
à l’image des incorporations forcées
dans les armées royales deux siècles plus
tôt.
Tout
d’abord, notons que les Corses furent pendant longtemps les
Suisses des
puissances européennes, ou pour mieux dire, à
l’image des républiques de la
péninsule, ils se posèrent en condottieri, en ce
sens qu’ils prêtèrent leur
épée aux princes et étaient connus et
appréciés pour leur valeur au combat.
Pendant deux siècles, Pise et Gênes
rivalisent pour annexer l’île, et
pendant cette période, les chefs corses prêtent
leur épée alternativement à
l’une ou à l’autre, maniant le
renversement des alliances en fonction
d’intérêts propres ou selon les
inimitiés entre clans. Ainsi, au milieu du
XIIIè siècle, de retour de Pise le Seigneur
Sinucellu della Rocca, prend
possession de ses terres et gouverne sous la tutelle de la
République de
Pise. Cette aventure va traverser le siècle, et le rendre
maître de presque
toute la Corse, sous le nom de Juge de Cinarca (Ghjudice di
Cinarca) en
reconnaissant officiellement la souveraineté de
Gênes mais en protestant de ses
sentiments de féal vassal auprès de
Pise ! Il se retourne contre Gênes en
1259 mais se rallie en 1276. En 1289, il est à nouveau en
lutte ouverte contre
Gênes mais après une guerre de dix-sept
années, la paix officielle est enfin
signée entre Gênes et Pise ce qui aboutit au
bannissement de Corse du Ghjudice
qui est fait prisonnier, et mourut en prison à
l’âge de 98 ans en 1307. Ses
descendants et partisans transformèrent
l’œuvre du Juge en entreprise de
domination sous prétexte de légitimité
génoise (sic), suscitant
par là même une alliance du peuple et des
« barons » menée avec
l’appui de Gênes par Sambucucciu d’Alandu
qui
secoua ainsi le joug des Seigneurs. Au XIVè
Siècle les ambitions du roi
d’Aragon furent contenues empêchant ainsi l'intégration
dans l'aire aragonaise qui pouvait (et
avait) tenté les seigneurs et les mercenaires corses.
Par
la suite, devant les multiples
guerres privées, Gênes afferma la Corse
à l’office de Saint-Georges après
l’échec de la Maona. Rapidement certains Corses
prêtèrent leur épée
à
l’extérieur de l’île, faute
d’alliances lucratives ou porteuses, Gênes ayant
désormais assis son autorité sans pouvoir
d’ailleurs établir une police
réellement efficace des populations. Hormis les occasions
que certains surent
saisir comme ce Hassan Corso enlevé par les barbaresques et
qui devint Régent
d’Alger, le grand condottiere corse est bien sûr
Sampiero Corso, sur les
aventures duquel il est inutile de revenir. Mais bien avant, des
mercenaires
corses furent engagés dans des compagnies privées
dès le XIVè siècle en France.
Plus d’un millier de soldats corses se distinguent en 1525,
à Pavie sous les
ordres de Ghjucante della Casabianca. D’autres servent dans
le camp opposé,
ainsi au siège de Florence, en 1529, dans les
armées de Charles Quint. De
l’autre côté de la
Tyrrhénienne, les bandes de mercenaires de la Renaissance
italienne comprennent des éléments corses et
sardes. En 1573, un régiment de
mercenaires corses composé de huit compagnies, soit 829
hommes, commandées par
des officiers corses est levé pour le compte de
Gênes. L’année suivante, Gênes
autorise la levée d’un millier d’hommes
supplémentaires qu’Alphonse d’Ornano
met aussitôt au service du roi de France. C’est le
début du Régiment Royal
Corse qui, après moult avatars et recréations,
fera parler de lui jusqu’à la
Révolution Française. En 1673, Louis XIV
s’attache les services d’un
Régiment d’infanterie corse commandé
par François Marie Peri (1000 hommes, 12
compagnies) et confie le commandement d’une compagnie de
chevau-légers à un
Corse.
Mais le
Roi de France n’est pas le
seul Prince européen à vouloir
bénéficier du militarisme corse. Ainsi, si
Venise bénéficiait également des
services d’un régiment corse, au XVIIè
siècle,
le régiment corse d’Espagne et le
régiment corse de Naples au XVIIIè
siècle
(dont Hyacinthe Paoli fut colonel) étaient
réputés. Mais, bien avant, les
Corses servaient les Papes sans que l’on connaisse avec
précision les
conditions de la création de cette garde corse pontificale.
On peut seulement
conjecturer qu’avec l’installation
définitive du siège de la papauté
à Rome, en
1378, les Papes décidèrent de créer
une garde composée de ressortissants des
territoires qu’ils contrôlaient. Ainsi, de
façon permanente, jusqu’à sa
dissolution
, la Garde corse comprenait
entre 600 et 800 soldats. Durant
le
dix-huitième siècle, et en particulier
à l’occasion des diverses interventions
françaises en Corse, plusieurs compagnies de Volontaires
corses furent créées
sans compter les carrières militaires qui se
déroulent au sein du régiment
Royal Corse. Enfin, faut-il rappeler qu’il y eut
près de 900 soldats des
Volontaires corses dans les troupes de Vaux engagés dans
l’affrontement de
Ponte Novo face aux 2000 patriotes de Paoli ? En bref, les
Corses furent
longtemps les mercenaires de l’Europe, après avoir
été les mercenaires de leurs
maîtres.
C’est
donc tout
naturellement que les insulaires se trouvèrent aux
avant-postes de la Coloniale
dès la conquête de l’Algérie.
Il serait partiel et partial de limiter
l’explication à la crise économique que
connaît la Corse, car celle-ci a son
impact le plus important à la fin du XIXè
siècle, pas en 1830. Il y eut donc
bien un engouement, une propension certaine à
l’engagement outre-mer. Les
Corses ne seront cependant pas uniquement soldats mais aussi, et
c’est la
différence avec leur passé de condottieri,
administrateurs, archéologues,
cartographes, colons, artisans. Cet attrait pour la carrière
coloniale, plus
encore que l’installation comme colon, va perdurer et
augmenter tout au long du
XIXè siècle, soutenu par
l’approfondissement de la crise économique que
connaît
l’île et tiré par l’attrait
économique, le prestige social, la certitude d’un
revenu pour les cadets des familles, ou les hommes des branches issues
de
filiation par les femmes qui n’héritaient pas des
meilleurs terres
et, pourquoi le cacher, la réputation d’une vie
moins rude, éloignée du carcan
clanique et villageois. Les Corses n’hésitent pas
à tenter l’aventure mais il
est bien clair pour tout le monde que ce n’est pas un
départ sans retour, ni
que tous les ponts sont coupés ; le jeune Corse
s’en va seulement respirer
le parfum de la liberté et de l’aventure, tout en
assurant la subsistance de
ceux qui restent.
Il est
tentant de rapprocher
la démarche des insulaires qui partent de la situation des
immigrés
d’aujourd’hui, à défaut
d’une comparaison sans véritable objet autre
qu’apologétique avec la situation des
colonisés d’hier. En effet, on y retrouve
le lien maintenu avec la famille ainsi que les transferts de revenus.
Il reste
plusieurs différences sensibles. Tout d’abord,
comme indiqué plus haut, le
départ n’est pas définitif, et le
retour au village au moment de la retraite
est quasi systématique à l’exception de
ceux qui sont partis comme colons (et
ils sont peu nombreux), alors que les immigrés
d’aujourd’hui, s’ils tiennent un
discours de retour au pays, n’y retournent pas, sauf parfois
pour y être
ensevelis. En outre, il n’y a aucun
phénomène de regroupement familial, et
lorsque des couples sont constitués aux Colonies, les
épouses et les enfants du
couple ont suivi le militaire ou le fonctionnaire colonial de poste en
poste,
ou bien les couples se sont formés sur place, parfois avec
des autochtones.
Enfin, la position sociale du Corse aux colonies est celle du
maître, de
l’administrateur, parfois du petit blanc, mais dans tous les
cas il participe
d’une manière ou d’une autre de
l’autorité de la Nation colonisatrice. Il
n’a pas
à justifier de sa présence, celle-ci
étant
commandée, il n’a pas non plus à
solliciter des emplois, il est venu avec,
quitte à avoir fait jouer toutes ses relations ou sa
clientèle pour en avoir la
promesse avant le départ.
Et puis, tout de même, le candidat au départ dans
les Colonies est citoyen
français, il bénéficie de toutes les
prérogatives et tous les droits attachés
à
cette qualité.
Une
comparaison plus pertinente
peut être avancée avec les
phénomènes de migration des paysans sans terre ou
chassés par l’augmentation de la
productivité agricole, à ceci près,
qu’en
Corse, il s’agit moins de l’amélioration
de la productivité agricole corse que
de la persistance d’une économie
d’appropriation mêlée de structures
communautaires, où les grands domaines d’un seul
tenant sont encore rares et,
en tout cas, insuffisants pour concurrencer les produits continentaux.
Les
terres composées de jardins et de vergers privatifs, de
pâtures communautaires,
voire de propriétés arboraires,
sont réparties selon une structure foncière peu
propice au développement de la
productivité de l’agriculture et de
l’élevage, ce qui incite les jeunes Corses
à trouver ailleurs les moyens de subsistance et donc les
emplois. Néanmoins, le
choix de la coloniale ne peut se réduire à un
pis-aller de ruraux chassés de
leur terre par la dure loi du marché : on
l’a vu, l’enthousiasme ne manque
pas et l’attrait de la carrière est
réel, à tel point qu’en 1934, on
évaluait
la proportion d’officiers d’origine insulaire
à 6 %, pour une présence corse
dans la Coloniale atteignant 22 % tous grades confondus.
Quant
à la question du racolage,
il semble qu’on touche ici du doigt, hormis les présupposés
idéologiques, l’effet d’une myopie dans
l’analyse historique. Il est vrai que
l’emploi public, civil et militaire, a fait l’objet
d’une forte réclame pendant
la IIIè République. Mais cette réclame
n’est nullement spécifique à la Corse.
En réalité, le phénomène
est général sur le Continent, c’est la
grande époque
où l’appareil d’Etat se
développe grâce à un système
administratif de plus en
plus étendu et complexe qui lui même repose sur
une fonction publique
structurée en corps et en grades. C’est
l’époque des « colonisations
ministérielles »,
c’est-à-dire de l’arrivée en
masse d’employés
originaires des mêmes régions qui se
répartissent les ministères, le Sud-Ouest
aux PTT, la Corse dans les douanes, la police et les colonies,
l’Est aux Armées
et au ministère de la Guerre, le Massif Central à
l’Instruction Publique, etc.
Exemplaires
et
solidaires, les administrateurs corses ?
Par
administrateurs
coloniaux nous entendons aussi bien les officiers que les
administrateurs
coloniaux, les chefs et sous-chefs de bureaux, l’appareil
judiciaire aux
colonies, les médecins des hôpitaux militaires ou
les représentants du corps enseignants, en
bref tous corps constitués qui exercent une
autorité à même
d’établir un contact avec les populations et de
prendre des
décisions les concernant. Le rôle des
missionnaires pourrait faire l’objet
d’une étude spécifique mais
s’agissant de l’action des Corses, en particulier,
elle n’apporterait rien de bien probant. En revanche, dans
les sphères civile
et militaire, l’impact corse est net et peut être
évalué.
Ah !
Encore un beau sujet de
contentement pour les chantres d’une colonisation corse
exemplaire. Plantons le
décor : oui, les Corses ont
été colonisateurs mais ils ont joué un
rôle de
passeur de culture. Leur spécificité
(laquelle ?) les rapproche des peuples
colonisés et c’est leur caractéristique
là où
sans doute les administrateurs provenant des autres régions
françaises
étalaient leur suffisance et leur incompréhension
des réalités locales. Voilà
une affirmation de principe qui est souvent appuyée par des
considérations sur
l’apport corse aux côtés positifs de la
colonisation. Sans entrer dans ce débat
qui n’est pas notre préoccupation du moment, osons
simplement remarquer que les
Corses sont sur-représentés dans les contingents
coloniaux. Ainsi, entre les
deux guerres mondiales, de très nombreux Corses
s’établissent dans les
colonies pour l’essentiel en Algérie
(plus de 100000 Corses), mais aussi
en Indochine, en Tunisie, au Maroc, à Madagascar. Si
l’on prend en compte
toutes les situations professionnelles, la présence corse
dans l’administration
coloniale, vers 1950, est cinq fois supérieure à
celle de la moyenne des
Continentaux. Au vu de cette situation, il est aisé de
comprendre que l’action
des Corses ne peut être que très visible et qu'apparaissent avec plus de netteté les cas de
Corses exemplaires dans le cadre de leurs contacts avec les populations
colonisées. Dans la moisson d’exemples favorables,
il est piquant de constater
que beaucoup d’aspects ont un air de
déjà vu, bien avant la période des
choix
personnels difficiles de la Guerre d’Algérie.
Ainsi, lorsque certains
administrateurs corses proclament leur respect du Coran et des
libertés
religieuses, se distinguent-ils vraiment des autres administrateurs ou
ne
font-ils qu’appliquer les instructions
ministérielles ?
Enfin
dans le domaine
culturel, les Corses sont moins nettement discernables
malgré l’action de
quelques uns,
et tant
mieux, puisque ainsi ils échappent à
l’accusation
de complicité d’un génocide
culturel !
De même leur action dans le domaine sanitaire demeure dans le
cadre strict des
obligations militaires et civiles, sans attitude
particulièrement différente de
celle des autres Français. Enfin certains Corses
luttèrent contre le fait colonial comme l’avocat
Cancielleri en Indochine et l’ex-commis
des postes François Vittori à Madagascar. Citons
aussi un Jérôme Zevaco qui
soutient le projet Blum-Violette devant le Conseil
Général d’Alger ou Laurent
Preciozi également partisan de ce plan, mais…
Violette lui-même, ancien Gouverneur
d’Algérie, auteur du plan,
n’est pas
Corse. D’autres, enfin, se distinguent dans le camp
libéral pendant la guerre
d’Algérie mais tous appartiennent à des
associations ou des mouvements où
militent des Français de toutes origines, ou
d’origine pied-noir. En résumé, le
refus de la colonisation n’est pas l’apanage des
insulaires qui le devraient à
une proximité naturelle
avec les
autochtones mais d’autres le firent tout autant (et par
centaines) voire même
s’engagèrent dans la lutte armée, le
soutien au FNL indochinois puis plus tard
au FLN algérien. Faut-il encore insister et renvoyer le
lecteur aux porteurs de
valise ou à certain commissaire politique
français du Viet Minh
Ainsi,
la petite société
corse aux colonies n’a fait que reproduire toute la
diversité qu’on pouvait
constater chez d’autres, à ceci près,
que le poids de la micro-société
coloniale corse était plus visible mais qu’il
reste pour le moins aventureux
d’en inférer une capacité
particulière des Corses à mieux communiquer avec
les
autochtones, à être plus humains, à
mieux défendre l’idée d’une
colonisation
positive. De la même manière mais en sens inverse,
nombreux sont aussi les cas
où ils se rendirent odieux, et où ils furent
parfois utilisés aux tâches de
répressions dans lesquelles ils montrèrent toute la valeur guerrière
qui firent leur
réputation.
Le satrape
en son
harem
Intéressons-nous au Corse dans la coloniale,
Armée ou
administration civile, en faisant abstraction de
l’autorité qu’il détient. En
d’autres termes, observons l’agent public corse
quelle que soit sa position
hiérarchique dans son approche de la
réalité coloniale. On nous dit qu’il
eut
une meilleure compréhension des peuples sous domination
française. Que vaut une
telle affirmation ? Est-elle gratuite et ne peut
être prouvée ?
Veut-elle nous dire quelque chose des relations de la Corse
à la France, à la
lumière des débats agitant la question corse
aujourd’hui ?
L’appréciation
du comportement des Corses à
l’égard des
populations qui leur ont été confiées
est dépendante du lieu, du positionnement
de l’agent de la coloniale et de la période. Ainsi
s’agissant du lieu, le
statut de protectorat comme en Cochinchine, au Maroc ou au Liban ne
peut en
aucune façon constituer un environnement comparable
à celui d’une colonie de
plein exercice et de peuplement comme l’Algérie.
Dans le premier cas, un
minimum d’égards et de respect d’une
légalité autochtone est requis par
l’administration française envers tous ses agents.
Ainsi le Maréchal Lyautey,
commissaire-résident général du Maroc
s’est montré respectueux de la culture
locale comme de la dignité des marocains ; il fut
à l’origine de plusieurs
lois visant notamment à protéger les centres
anciens des grandes villes et, plus
significatif, édicta des mesures réglementaires
strictes laissant aux
autochtones une relative autonomie de décision ou de gestion
dans un cadre
compatible avec les responsabilités de la France comme
état protecteur du
Maroc. Ainsi, il alla jusqu’à interdire aux
non-musulmans de pénétrer dans les
mosquées. Il aura conduit l’administration coloniale
et les colons à respecter
l’autorité du roi du Maroc tout en
rétablissant l’autorité de l'Etat et de
l'administration locale, et notamment
l'enseignement et la justice. On
le voit un lorrain d’origine
franc-comtoise pouvait, lui aussi, être
compréhensif à l’égard des
colonisés.
Tout
aussi illustratif est le cas du Général Catroux
qui,
dès son arrivée auprès du Haut
Commissaire au Levant, Henri de Jouvenel, défend
l’idée d’accorder
l'indépendance réclamée par la Syrie
et le Liban, indépendance
qui pourrait être complétée par des
accords politiques, économiques et
culturels étroits avec la France. Cette proposition reste
sans suite mais,
nommé membre du Conseil de Défense de l'Empire et
commandant en chef et délégué
général de la France libre au Moyen Orient en
juin 1941, il proclame cette
indépendance. Cependant, pendant cette période du
Mandat français, si tout ne
fut pas rose, en raison notamment des luttes contre les nationalistes
syriens,
le pays, soumis à
l’autorité d’un haut
commissaire français, bénéficia
d’un maximum de représentation par le moyen
d’une commission administrative
héritière de l’ancien conseil du petit
Liban de
la Montagne, et d’une administration locale maintenue.
Au
rebours de ce comportement, des Corses du grand
banditisme
investiront l’Indochine
dans le cadre de la mise en place de la filière corse de la
drogue, tandis que
d’autres seront aux avant-postes de la guerre anti-subversive
et participent aux répressions de 1936 contre des revendications pour de
meilleures conditions de travail dans les plantations. Et de fait, la
pression
des caoutchoutiers et de la banque d’Indochine,
propriétaire d’immenses
plantations de caoutchouc rend nécessaire un
contrôle policier important. Les Corses,
en Indochine, occupent une
part non négligeable
des emplois dans les douanes et la police, plus que dans
l’administration
civile proprement dite. En Algérie, qui est une colonie de
peuplement, les
Corses sont moins des colons que des administrateurs, des
salariés, des
artisans ou des commerçants, et ils partagent les
préjugés comme les élans des
autres Français d’Algérie. Que peut-on
tirer de cette comparaison des mérites
des uns et des autres ? Que peut-on même
inférer des témoignages, lettres
et mémoires des Français aux colonies,
qu’ils fussent Corses ou
Continentaux ? On y trouvera le pire et le meilleur chez tous.
Au
total, et au regard des relations institutionnelles avec les
autochtones, les
Corses ne se distinguent pas vraiment du reste des agents coloniaux,
aussi bien
en ce qui concerne les témoignages de respect des
populations et des coutumes
locales qu’en ce qui concerne l’usage de la
contrainte.
Mais
qu’en est-il du comportement privé, voire
intime ?
Il est de coutume, et les discours sur les Corses aux colonies en sont
pleins,
d’avancer pour preuve ultime, le commerce amoureux que les
Corses n’ont pas
hésité à pratiquer outre-mer, dans le
respect des coutumes locales et des épousées.
Tout d’abord notons qu’il s’agit des
Corses célibataires sauf à promouvoir
l’adultère comme garantie d’un
colonialisme présentable, en effet certains insulaires
comme d’autres agents du continent sont partis avec leur
épouse. En tout état
de cause, ils auraient moins hésité que
d’autres à contracter mariage sur
place, voire à ramener des épouses au village,
voilà la grande preuve assénée
comme une évidence. Là encore il faut savoir ce
que parler veut dire.
Qu’entend-on par mariage ? Beaucoup ont
vécu en couple mais peu sont
revenus avec une femme légitime. La pratique du concubinage
était très répandue
dans les colonies mais le sujet reste aujourd’hui toujours
tabou. S’agissant
d’un véritable lien matrimonial, les
« coloniaux » font des choix
différents ; si certains condescendent à
ramener une femme indochinoise,
peu reviennent au village au bras d’une Maghrébine
ou d’une Africaine musulmane.
Et
si les mariages légitimes peuvent parfois se conclure avec
des femmes d’Afrique
noire animiste ou de Madagascar, ils restent nettement plus nombreux
avec des
femmes du Sud-Est asiatique.
Posséder
un harem, c’est peut-être mieux comprendre les
coutumes locales dans certains pays, est-ce vraiment être un
passeur de
culture ? C’est faire passer le bon temps des
colonies pour du
militantisme tiers-mondiste !
Enfin,
sur le fait même et sa mesure : dans
combien de cas le mariage selon les coutumes locales
était-il enregistré et
l’épousée rapatriée en
France ? Plus globalement, si des Corses se sont
mariés outre-mer avec des autochtones qu’en est-il
de leur taux de nuptialité
comparé à celui des autres régions. En
clair, si l’on dénombre des épouses
corses d’origine indigène en plus grand nombre que
les épouses indigènes de Continentaux,
cela est moins dû à une propension plus grande des
Corses à prendre femme
« là-bas », et donc
démontrer une grande largeur de vue ou un
meilleure compréhension de l’Autre, mais tout
simplement au fait que les Corses
étaient sur-représentés aux Colonies.
Un colon
honteux ?
Le colon corse fut-il moins colon que d’autres ?
A-t-il
eu un comportement spécifique ? Y a-t-il une
manière corse d’être
colon ? Prenons d’abord conscience que si les Corses
sont sur-représentés
dans l’Armée et l’Administration
coloniale, voire dans l’administration locale,
ils ne le sont pas parmi les colons. Comme dans le cas des agents
coloniaux
mais de façon encore plus marquée, il est tout
à fait impossible de proposer un
indicateur à la fois fiable et exhaustif relatif aux
comportements pouvant
prouver un rôle d’intermédiation entre
le statut du colonisé et celui du
colonisateur. S’agissant du colon au sens strict du mot, il
ne faut pas se
voiler la face, sa fonction économique est
réduite à celle de l’exploitation de
la rente foncière recherchée là-bas
parce que moins onéreuse. Et ce rôle
tout à fait habituel sous toutes les latitudes et en tout
temps du colonat ne
laisse aucune place à une quelconque
spécificité corse d’un colon passeur de
culture.
Sans doute, toute recherche
historique dans ce domaine est-elle parcellaire, les données
restant très
pauvres et partielles, voire dissimulées comme celles
relatives aux relations
sexuelles avec les autochtones. Ainsi, jusqu’à
aujourd’hui, les sources privées
constituent l’essentiel des traces du rôle des
agents coloniaux et des colons, et ces sources
sont dispersées soit dans les archives
de particuliers, lettres, photographies, plus rarement
mémoires ou cahiers,
soit dans les archives ou les annuaires voire les revues ou les lettres
de
liaison des Amicales corses fort nombreuses dans les territoires.
Certes,
d’aucuns
se
mobilisent pour explorer ce champ par l’approche
monographique, ou
« vectorielle » (analyse de
parcours individuels, selon le statut des
personnes, acteur économique mineur ou gros colons, incluant
les conditions de
retour comme les situations faites aux épouses, etc.). Quel
que soient les
enseignements que l’on pourra tirer de ces analyses,
ceux-ci pourront nous
éclairer sur des logiques de parcours, le fonctionnement de
micro-sociétés
transplantées outre-mer, la permanence du lien à
la métropole ou au contraire
le développement de l’esprit pionnier, et ce pour
l’ensemble des Français.
S’attendre à ce que les témoignages
identifient des comportements spécifiques
de colons corses est un présupposé
idéologique que rien ne conforte, les
données recueillies ne peuvent avoir aucun
caractère statistique significatif,
en raison de l’absence d’indicateur de comportement
fiable et de la
sous-représentation des non-corses. Il reste donc vain et
suspect de continuer
à déployer un discours qui proclame une
spécificité corse de la relation à
l’Autre.
La
sociabilité coloniale ou le foyer colonial corse
Les Corses peuvent être des
colonisateurs, certes, mais pas des pionniers. Ils sont peu enclins
à envisager
la rupture complète avec l’île,
c’est une caractéristique qu’ils
partagent avec
les autres Français. En Algérie qui fut la seule
véritable colonie de
peuplement, jusqu’au moment de
l’indépendance, les Pieds-Noirs
d’origine
française gardaient des contacts avec les familles de
métropole et sur un
million de Pieds-Noirs, une grande partie n’était
même pas originaire de la
Métropole ;
enfin, le mouvement migratoire vers l’Algérie a
été toujours encouragé, parfois
provoqué comme en 1848-1852 en éloignant des
indésirables ou en 1871 avec la
réinstallation d’Alsaciens-Lorrains, mais
n’a jamais été le résultat
d’un
mouvement d’émigration de masse comme les 8
millions d’Irlandais et d’Anglais
migrant aux Etats-Unis après les famines du
XVIIIè siècle.
Les
Français partent donc,
mais partent en retournant fréquemment la tête. Ce
sont parfois des pionniers,
mais des pionniers nostalgiques. De ce point de vue, les Corses
caricaturent la
manière d’être française. Les
retours au village rythment la vie coloniale autant
que les moyens de transport de l’époque le
permettent de même que beaucoup
reviennent prendre leur retraite sur l’île. De
toutes les manières,
administrateurs, gens de la ville ou colons, tous gardent un contact
avec la
Corse par le moyen des correspondances et des bulletins des amicales.
Le
phénomène amicaliste corse va prendre un tel
essor qu’il est devenu un
archétype du souvenir colonial. Mais c’est aussi
et surtout un phénomène qui
n’est pas le fruit du hasard. En
réalité, tout autant que
l’impossibilité de la
rupture avec les origines, il constitue la laisse que les notables
mettent au
cou de leur obligé, le jeune Corse à qui
l’on a trouvé un emploi. Ces amicales
qui foisonnent tant sur le continent qu’aux Colonies sont un
moyen de contrôle
social des expatriés autant qu’un moyen de
circulation de l’information au gré des mutations ou des permissions.
Enfin
vient le temps du retour ! Le retour des agents
de la colonie, une fois l’âge de la retraite
atteint, est plus qu’une
nostalgie, c’est une attente. C’est dire que la
destination des colonies n’a
jamais représenté dans la mentalité
des insulaires une planche de salut, un
nouveau départ sans esprit de retour. Le système
clanique, reposant sur la
reproduction de la classe des notables, fonctionne à plein
régime avec de
jeunes pousses villageoises que l’on transplante en terreau
colonial pour y
faire carrière (et non pour y être
véritablement pionnier) et revenir grossir
les rangs des obligés voire devenir notable à son
tour dans le même cercle de
soutien familial ou de phratrie. Enfin le passage aux colonies est un
investissement pour un retour glorieux au village qui profite
à l’intéressé
puisque, fort de son expérience et de sa formation, il peut
faire profiter la
communauté villageoise des savoir-faire acquis outre-mer
mais aussi accéder à
des responsabilités locales, finir par devenir maire et
donc exercer à son
tour la fonction de parrainage.
Ce
système de clientélisme administratif et
politique se
grippe soudain avec la chute de l’Empire colonial, et donc la
disparition des
« places ». La Corse
redevient une petite île, qui ne peut réellement
se suffire à elle-même. En
outre, on le verra, l’identification à la France
devient moins facile et moins
prestigieuse. Le sentiment d’une trahison, notamment chez les
rapatriés
d’Algérie, n’est pas le moindre facteur
de ce recul de l’identification,
trahison double, celle de la Grande
Nation qui rétrécit avec
la perte de son Empire et qui
fait rétrécir la Corse,
mais aussi trahison du pacte non dit entre les notables et
l’appareil
administratif, pacte qui donnait des emplois contre des recrues.
Projet de
recherche au sein du programme
Migrance de Temps Espaces Langages Europe Méridionale
MEditerranée (Maison
Méditerranéenne des Sciences de
l’Homme- Aix)
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C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
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Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
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La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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