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La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
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D’un
Corse
empereur
à l’Empire corse !
Il s’agit de donner une couleur de
nation colonisée à une région
pourvoyeuse de soldats de la colonisation. Pour
cela, toutes les mesures fiscales ou douanières sont
répertoriées pour en
extraire ce qui est dommageable et taire ce qui ne l’est pas.
Ainsi va-t-on
souligner l’impéritie des gouvernements successifs
de la IIIè république qui
délaissent la Corse,
pénalisée par la loi douanière de
1818, tenue en
vigueur jusqu'en 1912, gênant l’exportation des
produits corses en les
surtaxant dans les ports continentaux et en exonérant les
produits du continent
débarqués en Corse. Les conséquences
économiques indéniables sont
soulignées de
façon exagérée et quasi
comique ; en effet, évoquer la fermeture des hauts
fourneaux de Bastia, comme certains le font en exemple de la
détérioration des
chances de décollage économique de la Corse,
c’est faire grand cas du
positionnement concurrentiel de l’île dans la
sidérurgie lorsqu’on sait ce
qu’il en est advenu dans le cas de la Lorraine ! Même la crise du
phylloxéra en 1879 qui
ravage les vignes du Continent et pourrait inciter à la
monoculture viticole est
mise au débit du pouvoir colonial
français !
La
question de la modernisation des
infrastructures est un autre cheval de bataille souvent
évoqué. Sans doute, et
ce dès le début du XXè siècle, les
Corses réclament-ils la construction d'un
véritable réseau routier, mais la carte de la
France au un quatre-vingts
millième dite de l'Etat-major a débuté
en 1818 et fait suite à celle des Cassini
(1756-1815) pour s’achever par la Corse en 1882
alors
même que, sans attendre, près de 2000 km de routes
nouvelles y ont été ouverts
sous Napoléon III. La clôture des derniers
chantiers du chemin de fer date de
1888 après dix ans de travaux (230 km, 38 tunnels, 12 ponts
et 34 viaducs).
C’est vraiment faire un
mauvais
procès, alors même que des efforts sans commune
mesure avec l’importance de
l’île au plan démographique ou
économique ont été
réalisés dès avant la
première guerre. Les comparaisons souvent
avancées avec le Continent ne sont
pas pertinentes : ainsi lorsque la Chambre de Commerce
d’Ajaccio met en
regard les 141 millions de francs dépensés par
l’Etat entre 1768 et 1892 avec
147 millions de francs de
dépenses de
travaux publics à Nice de 1860 à 1870, une double
torsion des faits est opérée.
D’une part on parle de Nice alors qu’il
s’agit du département des Alpes
maritimes (ex-Comté de Nice augmenté de quelques
communes du Var), d’autre part
on occulte le fait que les transferts se sont renforcés en
fin de période et qu’une
comparaison sur une période plus longue [1860-1890 par
exemple] donnerait des
écarts beaucoup plus réduits, a fortiori si
l’on effectue l’évaluation par
tête.
Certes
la succession des conflits,
la crise économique et la déflation qui
s’en est suivie ne devaient pas pouvoir
remettre la question du rattrapage des infrastructures de la Corse
à l’ordre du
jour avant longtemps. Ensuite, l’investissement des Corses
dans l’aventure
coloniale puis la seconde guerre mondiale vont retarder
jusqu’aux années
soixante la question de la modernisation des infrastructures,
à la suite de
quoi les subventions pour l’amélioration du
réseau routier se sont
« égarées »,
situation heureusement compensée par des achats de
véhicules tout-terrain rutilants.
Autre reproche mal venu,
l’assainissement tardif de la plaine orientale
infestée par la malaria,
assainissement demandée depuis le début du
XXè siècle.
Dans les faits, l’assainissement
réalisé par les troupes américaines
pour les
besoins du second conflit mondial, n’a nullement
été mis à profit par les
Corses, la main d’œuvre étant
employée hors de l’île et les revenus de
l’île
étant essentiellement procurés par les pensions
des militaires et
fonctionnaires corses et dans une moindre mesure le tourisme.
Si
l’on compare
la situation de la Corse après plus d’un
demi-siècle de présence française, le
pli était déjà pris. Le contraste avec
la
période génoise est plein
d’enseignements lorsqu’on constate que la Corse
produisait
alors plus qu’elle ne recevait. Mais inutile
d’entonner trop vite le chant des
regrets : les dépenses de Gênes
étaient essentiellement d’ordre militaire.
Et par ailleurs, les recettes fiscales tirées de
l’activité productive de Corse
couvraient ces mêmes dépenses à hauteur
de 125%. Au
XIXè siècle, la logique économique
s’inverse et, dès 1831, l’effort
français est considérable. Les
dépenses sont
multipliées par quatorze, cette fois en faveur de la mise en
valeur de l’île
(travaux publics, voieries, structures administratives, etc.), les
dépenses
d’ordre public venant au second plan. Bien
évidemment, les dépenses
d’équipements auront un effet favorable
jusqu’à la fin du second Empire mais
les recettes fiscales de l’île ne suivent pas le
même rythme que l’activité
importée du Continent, même si parfois cette
activité associe des entrepreneurs
de l’île. Il n’empêche, les
recettes fiscales ont plus que doublé en cinquante
ans depuis l’annexion, ce qui n’est pas
méprisable.
Est-ce à dire que la Corse
s’est
laissée entraîner à
n’être qu’une colonie de luxe,
choyée, équipée,
subventionnée, visitée ? De la
même manière, qu’en est-il, au plus
près,
des occasions manquées du décollage
économique de l’île tout au long du
XIXè
siècle. Considérons-les dans le
détail. Nous avons laissé
l’île au beau milieu
d’une épopée de conquête dont
on a vu que les brutalités étaient
réelles sans
constituer un traitement d’exception au regard de ce que
d’autres provinces
annexées ont eu à subir. Revisitons-là
au lendemain de l’aventure
napoléonienne, au moment où la France
entière doit se reconstruire.
Pendant la
Restauration
La Corse s’est-elle
véritablement
trouvée dans une situation de
pré-décollage industriel à
l’orée du XIXè
siècle ? Et dans quelle mesure, les dispositifs
d’assimilation de l’île ont
eu un effet perturbateur ?
Au
début du XIXè
siècle, la Corse possède les attributs
d'une région connaissant les prémices
d’une révolution industrielle. Ainsi,
peut-on répertorier des activités de
premières transformations (tanneries,
verrerie, filatures, briqueteries), des activités de
valorisation alimentaire
(produits alimentaires transformés, notamment des
pâtes, minoteries) mais
également des usines sidérurgiques. La plupart de
ces productions arrivent à
être exportées sur le continent mais avec un
handicap douanier sur lequel nous
reviendrons. Notons toutefois que ces produits corses, en particulier
dans le
domaine des transformations de matières
premières, sont élaborés à
partir de
techniques de production fortement consommatrices
d’énergie thermique. Dans le
cas de la sidérurgie, le métal reste de
médiocre qualité pendant quelques
décennies avant de s’améliorer
nettement au cours du siècle.
Si l’on examine
l’éventail des produits sur le siècle
entier, celui-ci ne cesse de s’élargir, pour
embrasser non pas tous les
secteurs mais essentiellement les industries de première
transformation, et non
pas toutes les régions de l’île, mais
essentiellement Bastia malgré quelques
incursions dans l’intérieur de
l’île.
Secteur
économique
|
Produits
|
Régions
|
Première
transformation
|
Sidérurgie
|
Bastia
|
|
Tanneries,
verreries,
filatures et tissage,
briqueteries,
savonnerie
|
Bastia
Bastia
Bastia, Albertacce
Bastia
Bastia, Ile Rousse
|
Industrie agricole et
alimentaire
|
Minoterie (115
moulins),
Pâtes
alimentaires,
moulins à
huile (36),
distilleries
Salines
|
Bastia
Ajaccio, Ponte a
Castirla, Ile Rousse
Ajaccio
Bastia
Porto Vecchio
|
Produits semi-finis
|
Ebauchons de pipes
Madriers
Acide gallique
|
Calvi, Ajaccio
Ajaccio
Castagniccia
|
Produits finis
|
Meubles, sellerie,
pipes, petit outillage
|
Bastia, Piedicroce
|
Source :
Charles Vellutini (cit. Levratto, Castellani) et V-A Malte-Brun
L'aventure
sidérurgique
corse au XIXe siècle est la seule
véritable manifestation de prémices
industrielles. Les forges qui
transformaient le minerai de l'île d'Elbe, se
développent et deviennent
entre 1837 et 1843 des
hauts-fourneaux. L’acier et la fonte sont
expédiés sur le continent, avec un
certain succès puisque il faudra importer
d'Algérie un complément de minerai.
Mais cette aventure n’ira pas plus loin face à la
concurrence en prix et en
qualité des minerais de Lorraine, même en
neutralisant les taxes douanières.
On
ressent bien le
caractère incomplet, inachevé, du
secteur proto-industriel et l’importance de
l’artisanat. Au mieux (ou au pire,
au cas présent), l’activité
minière de l’amiante est
développée sur une longue
période par la société Eternit
à Canari. Nous sommes dans le droit fil des
efforts industriels du paolisme, relayés par
l’émergence d’activités
à faible
valeur ajoutée et contraignantes pour
l’environnement, mais pas réellement dans
une phase de décollage. Le saut qualitatif et quantitatif de
l’Angleterre des
Midlands et du Pays de Galles au XVIIIè siècle ou
de la France continentale du
second Empire, toute proportion gardée, ne se produit pas en
Corse.
Quelles
en sont les raisons ?
Le premier réflexe d’un
corsiste qui se respecte est d’incriminer la loi
douanière de 1818, la pauvreté
des transferts, l’immigration et l’effet
d’éviction des emplois publics à
compter du second Empire. Bref, la présence
française a empêché la Corse de saisir
sa chance.
Sans doute, la Restauration qui
supprima les prohibitions
spécialement dirigées contre l'Angleterre, les
rétablit d'une façon
générale
pour de nombreux produits industriels (lois du 28 avril 1816 et du 21
avril
1818). Ces prohibitions furent définitivement
abrogées avec les traités de
commerce conclus à partir de 1860. Si l’abrogation
juridique en droit interne
fut effective avec la loi de 1912, les traités de commerce
conclus à compter de
1860 ont fait « tomber »
certaines barrières douanières dont
celle-là, l'industrie française ayant atteint un
niveau concurrentiel
acceptable ; en conséquence l’effet plein
de la mesure protectionniste
promulguée sous la Restauration a duré une
quarantaine d’année et non un siècle
entier. L’effet fut d’ailleurs relatif, puisque les
exportations de Corse ont
décuplé entre 1820 et 1850, au fur et
à mesure de la levée de certaines taxes
et de l’effort d’exportation dans les secteurs
exemptés. Bien évidemment, ce
traitement appliqué à l’ensemble des
territoires outre-mer (et donc les
colonies), ayant été appliqué
à la Corse, il est relativement aisé de
s’en
tenir à un raisonnement par analogie et en
déduire que la Corse a été,
même
brièvement, une colonie dont les chances de
développement furent ainsi obérées
par une
politique douanière drastique.
Pourtant
il faut prendre conscience
que les lois douanières
incriminées s’appliquaient à toutes les
îles de la Méditerranée, de
l’Atlantique et de la Manche. Enfin, il faut aussi garder
à l’esprit que
certaines activités industrielles de première
transformation utilisaient des
ressources naturelles provenant de l’étranger,
ainsi le minerai de l’île d’Elbe
ou de Tunisie, ce qui ne pouvait qu’inciter l’Etat
protectionniste de l’époque
à rapprocher du Centre géo-productif les
barrières douanières. Ce faisant la
Corse était effectivement perçue comme une
île de la périphérie, non encore
intégrée économiquement
et conservant des liens économiques forts avec
l’étranger. La crainte du cheval
de Troie commercial a certainement joué, ainsi
l’ordonnance de 1817 prévoit
l’exemption pour les produits du sol sans transformation
(pouvant dissimuler
une importation de produits transformés de
l’Etranger).
Toutefois,
il faut prendre en compte
plusieurs aspects.
Tout d’abord, nous sommes en face du traitement
économique de la reconstruction
après les guerres napoléoniennes, phase où les mesures
protectionnistes sont naturellement mises en œuvre. Par
ailleurs, et en accord
avec l’orientation de sa
politique de
développement des territoires, la Restauration est peu
favorable à encourager
les fabriques dans les régions où elles
n’existent pas. Ce faisant elle
applique strictement une politique ricardienne de
spécialisation sur le
fondement des coûts comparatifs. Enfin, l’existence
des régimes d’octroi bien
que différent d’un point de vue fiscal et
juridique ne permettait pas de
prendre conscience du caractère inégalitaire et
discriminatoire de
la taxation des produits corses puisque la
notion même de libre circulation des marchandises
à l’intérieur du Royaume y
était
normalement battue en brèche en ce début du
XIXè siècle.
Toute une série de textes paraissent, notamment
l’ordonnance du 5 novembre
1816, ainsi que l’ordonnance du 8 octobre 1817 reprise dans
la loi du 21 avril
1818. L’esprit de ces lois n’est pas aussi univoque
et corsocentrique qu’on
se plaît à le dire ici ou là,
c’était le
régime commun de toutes
les îles de
la Méditerranée à la Manche. Le
préambule de l’ordonnance de 1816 pose bien le
principe de l’assimilation douanière de la Corse
à une époque où le principe de
l’harmonisation des droits de douanes se
confirme malgré la subsistance de droits particuliers comme
l’octroi. Il y
avait eu un précédent avec la
réglementation de 1802, où, pour la
première fois
dans son histoire, la Corse avait vu toutes ses barrières
douanières
levées ! Cette mesure fut rapportées en
1808 et les restrictions
maintenues dans la foulée du blocus continental. En tout état de
cause, L’article 2 de
l’ordonnance de 1816 pose le principe de la
continuité territoriale douanière
pour les « produits du sol
de la Corse
[qui] expédiés
pour France avec acquits à caution
délivrés sur certificats
des magistrats des lieux attestant leur origine, sont exemptes de tous
les
droits de sortie de l’île et
d’entrée en France »
et ce sont bien les
marchandises en provenance de l’étranger et
transitant par la Corse qui sont
taxées. Le même texte prévoit le
principe de la modification sur demande des autorités
locales adressée au préfet qui en
réfère au Ministre des finances, une sorte
d’anticipation sur un droit d’initiative
qui ouvre de façon très claire la
possibilité d’évolution au fur et
à mesure du
développement de l’île. Cette
disposition va d’ailleurs être utilisée,
ainsi la
loi douanière du 27 juillet 1822 supprime la taxe sur les
produits oléicoles
et, en 1841, la loi douanière prévoit de
nouvelles franchises de droits. En
d’autres termes, c’est tout à fait
faussement et de manière
délibérée que les
précautions à l’encontre du commerce de
transit sont interprétées comme un
traitement discriminatoire assimilant l’île
à l’étranger ou à une
colonie alors
que les textes nous apprennent, pourvu qu’on s’y
reporte, qu’ils veulent tout
autre chose.
Pour
le reste, les
effets des transferts, de
l’immigration et des effets d’éviction
dus au développement de l’offre
d’emplois publics, il convient d’analyser la
dynamique historique dans laquelle
la Corse s’est trouvée et…
retrouvée, car, de ce point de vue, les Corses ont
autant choisi que subi.
Dès
cette époque, les emplois politiques ou publics (les
« places » comme
l’on dit souvent dans l’île) se sont
ouverts aux Corses. Ainsi, les premières
élites corses du premier Empire trouvent à
s’employer sous la Restauration, et
de ce point de vue la carrière de Bastien
François Horace Sebastiani
comte et maréchal de
France, né en 1772 à La Porta
d’Ampugnani, mort à Paris en 1851, est
exemplaire. Après Waterloo, et une brève
période d’une année de demi-solde, il
embrasse la carrière politique et est élu
député de la Corse en 1819. Il
arrache une circonscription de l’Aisne aux
élections de 1826. Sous la Monarchie
de Juillet, il est nommé, dans un premier temps, Ministre de
la Marine (1830)
puis Ministre des Affaires Étrangères
(1830/1832), ambassadeur à Naples en
1834, il est à nouveau député de la
Corse en 1835, puis Ambassadeur à Londres
(1835/1840). En
octobre 1840, il est élevé à la
dignité de maréchal de France.
Quant
à la politique des transferts,
le niveau impressionnant des dépenses publiques pendant la
restauration puis la
monarchie de Juillet permet la mise en chantier de nombreux ouvrages
d’art,
d’équipements urbains et surtout
d’immeubles administratifs et de tribunaux. Quelques
progrès se font jour dans le domaine des
transports avec les premiers
bateaux à vapeur mis en service en 1830. De la
même façon, il est impossible
d’ignorer qu’une amélioration des voies
de communication insulaires est en
cours dès 1836.
Cependant,
les années de
sécheresse et de mauvaises récoltes du milieu du
siècle, dans l’environnement
événementiel de la Révolution de 1848
sont marquées par des violences
paysannes. Il n’est donc pas étonnant que, dans
ces conditions et travaillée
par la propagande bonapartiste, la chute de Louis-Philippe
soit accueillie favorablement
La
politique corse du second Empire
La Corse a surtout cultivé
le
souvenir napoléonien au lendemain de la
révolution de juillet 1830 quand la Monarchie
de Juillet redécouvre la légende de
l’empereur, transfigurée par l’exil. En
1834, une pétition pour demander l’abrogation de
la loi d’exil des Bonaparte
est lancée et le sentiment bonapartiste prend de
l’ampleur après le retour
triomphal des cendres de l’Empereur.
L’abrogation de la loi
d’exil est obtenue en 1848 et les Corses finissent par
élire député Louis
Napoléon
en 1848 à Ajaccio, le système de mandats
multiples lui
permet de l’être aussi dans la Seine, dans
l’Yonne, en Charente-Maritime, en
Moselle. Il obtient à l’élection
présidentielle du 10 décembre 1848, 95% des
suffrages de l’île. Le plébiscite du
20/21 novembre 1852 pour le rétablissement
de l’Empire, à la suite du senatus-consulte du 7
novembre est approuvé à la
quasi-unanimitéavec seulement 39
« non » pour toute la Corse dont
4 à Ajaccio .
L’Empereur
rend bien aux
Corses
leur enthousiasme et s’il déclare que
« La Corse est pour [lui] une
famille » lors de l’inauguration
de la Chapelle Impériale d’Ajaccio en
1860 il le montre en témoignant attention et sollicitude
tout au long de son
règne.
Napoléon III accorde aux
Corses
des avantages sous forme de recrutement
préférentiel dans tous les domaines de
compétence avec une prédilection
marquée pour la politique, l’ordre public,
l’administration et la carrière des armes. Enfin,
les instruments d’un attachement
profond et durable à la France sont mis en œuvre,
notamment au plan
éducatif ; c’est à Ajaccio
qu’est ainsi ouverte la première Ecole Normale
Primaire d’Institutrices par décret en date du 10
juin 1853 qui vient compléter
l’Ecole Normale de garçon
déjà créée sous la
Restauration, le 13 juin 1829.
Les
actions du régime
impérial en faveur de la Corse trouvent naturellement appui
sur la classe des
notables qui contrôle les villages et les
principales villes, en d’autres
termes est mis en place un maillage d’influence qui couvre
toute l’île, en
ralliant aussi bien les propriétaires terriens que la
bourgeoisie urbaine et
industrielle.
La
Corse enregistre une croissance démographique
sans
précédent en augmentant de près de la
moitié sa population entre 1827 et 1870.
Cet essor entraîne l’extension des surfaces
cultivées, en particulier en
céréales, et l’accroissement de la
production agricole. L’arboriculture
progresse, la superficie du vignoble double.
L’amélioration des rendements des
châtaigneraies et des oliveraies permet de trouver des
débouchés extérieurs,
sur le continent en dépit de la concurrence italienne.
Malgré
ce qui est souvent avancé,
l’Etat français n’a pas attendu la
libération de la Corse en 1943 et de
bénéficier de l’action de
l’armée américaine pour assainir les
zones
littorales. En effet, un effort important d’assainissement
est engagé dès
1852 avec l’assèchement des marais
à l’embouchure du Golo, de la plaine
de Campo dell’Oro à Ajaccio, et des
régions de Calvi, Saint-Florent, Porto-Vecchio.
Les marais de Biguglia, sont assainis pour la mise en valeur de la
faune
lagunaire (au total 946 hectares de marais). Par ailleurs, le canal de
la
Gravona est percé pour alimenter Ajaccio en eau potable. Un
abattoir est créé à Bastia, ainsi que
des pépinières. Les stations
thermales d’Orezza, Guagno-les-Bains, Baracci sont
rénovées ou modernisées.
Les
populations finissent par
s’installer sur des surfaces importantes reconquises sur les
zones insalubres ce
qui remodèle les cantons, donnant naissance à de
nouvelles communes littorales
comme Ghisonaccia, Monaccia d’Aullène, Caldarello,
Aghione, Tallone,ou
Coti-Chiavari, par exemple. De nouvelles cultures, comme le tabac ou le
coton,
ainsi que les prairies et les cultures fourragères sont
encouragées. La production
viticole est excédentaire à partir de 1863,
tandis que certaines cultures
fruitières, comme le cédrat, prennent de
l’ampleur.
Il
n’en reste pas moins que les
niveaux de productivité sur des sols aux parcelles
morcelées et difficiles
d’accès ne permettent pas un rendement toujours
suffisant dans une société
agro-pastorale dont l’organisation économique
était longtemps fondée sur
l’autosuffisance. Certaines productions sont
menacées par des produits arrivant
en Corse à des coûts plus faibles comme les
froments, ou les huiles. Même la
culture céréalière, production la plus
importante du département, entre dans un
cycle de dépression. Les échecs
enregistrés dans ces secteurs sont à
l’origine
d’une reprise de l’émigration des plus
pauvres vers le Continent à la recherche
d’emplois stables dans l’administration ou dans
l’armée.
En
ce qui concerne le secteur
proto-industriel, les mines de plomb argentifère de
l’Argentella emploient
environ cinq cents ouvriers, les exploitations forestières
d’Aïtone, de Valdoniello
et de Corte, comme l’industrie du
chêne-liège créent de nombreux emplois.
Des
usines sidérurgiques sont installées à
Toga et Solenzara mais par manque de
main-d’œuvre locale mais aussi de capitaux et de
matières premières, elles
seront très vite amenées à fermer,
d’autant que la production d’acier va se
localiser dans le Nord et l’Est lorrain, avec
l’arrivée du convertisseur Thomas
et des fours Martin, qui permettent des rendements meilleurs sur un
minerai
riche en fer à 30 % (la
« minette »). En revanche, comme
auparavant,
les progrès dans le secteur de l’artisanat sont
plus prometteurs, notamment
dans les industries agro-alimentaires ou la peausserie, secteurs
exportateurs à
la fin de l’Empire.
L’apport,
le plus
significatif, celui dans lequel l’Empire a une action directe
est sans nul
doute celui du développement des infrastructures. En Corse,
comme sur le
Continent, le Second Empire mise sur les conditions structurelles du
décollage.
L’ouvrage le plus impressionnant reste le maillage
systématique de presque
toute l’île en voies de communication de toutes
sortes : mille kilomètres
de routes nationales et autant pour les routes
départementales, quatre cents
kilomètres de chemins vicinaux, cinq cents
kilomètres de voies forestières pour
l’exploitation du bois. Même si certaines parties
de l’île restent encore à
l’écart comme le Cap corse ou les
vallées du Taravo, du Rizzanese, de la
Solenzara et de Porto, l’intensité de
l’effort d’équipement n’est
pas niable.
Les
relations avec le Continent sont améliorées ce
qui ne peut que favoriser l’exportation des produits de
l’île. Ainsi, au temps
où la marine à vapeur triomphe de la marine
à voile, la compagnie Valery,
entreprise bastiaise, détient, au moins jusqu’en
1868, un quasi-monopole sur
les transports maritimes entre la Corse et le continent
reliés par une liaison
hebdomadaire. Les ports de Bastia et d’Ajaccio
s’agrandissent permettant de
sortir la Corse de son isolement et de l’intégrer
dans l’aire économique continentale. Des
études pour la réalisation d’un
réseau
ferré sont lancées en 1869, mais la Corse ne sera
dotée d’un chemin de fer qu’à
partir de 1879.
L’équipement
urbain n’est pas
négligé avec des travaux
d’embellissement et
d’équipement comme la
création d’une école normale de filles,
d’un hospice, l’ouverture du cours
Grandval et le prolongement du cours Napoléon à
Ajaccio, l’édification du
palais de justice et d’un collège ainsi que
l’aménagement de la place
Saint-Nicolas ou la construction d’un nouveau port
à Bastia.
Le
ralliement des élites
à la République
Les années qui suivirent la
chute
du second Empire représentent une période
charnière dans l’histoire de
l’insertion de la Corse dans l’ensemble national.
On peut même avancer que tout
s’est joué là, avec en point
d’orgue sa traduction populaire lors des scènes
d’engagement des volontaires à la mobilisation
générale de la Grande Guerre.
Sans doute, l’île continue pendant une
décennie entière à manifester son
dévouement à l’Empire, par le moyen de
réseaux de clientèles et des liens de
parentés élargis. Quelques grandes familles ont
ainsi maintenu leur hégémonie
en tirant les bénéfices de leur ascension
politique, économique et sociale
datant de Napoléon III, mais l’attachement
clanique de la Corse à la famille
impériale et aux idéaux de l’Empire a
fini par se transformer en une adhésion
de l’île à la République et
à la Nation. Cette évolution
a permis aux anciennes élites
d’asseoir leur
légitimité sur un lien individu – clan
– nation en lieu et place d’une relation
d’un clan à une famille régnante.
A la fin du XIXè
siècle, la crise
agricole s’étend et
l’économie insulaire s’effondre tandis
que l’activité
industrielle, on l’a vu, n’a pas
véritablement décollé. Les
débouchés coloniaux
et administratifs ainsi que l’amélioration des
moyens de transport avec des
lignes maritimes régulières, permettent
à une partie de la population masculine
de l’île de s’expatrier, enclenchant
ainsi, et dès avant la guerre de 1914, un
déficit de main-d’œuvre. Cette
dépression est aussitôt compensée
socialement par
le prestige des emplois publics (le Corse ne produit pas de
chômeurs mais des
fonctionnaires !), et, économiquement, par la mise
en place d’un réseau de
solidarité et d’attribution des places.
Ainsi
la crise économique
maintient en vie les pratiques clientélistes anciennes et
les élites politiques
de l’Empire deviennent des intermédiaires
obligés, ce qui les sauve après la
chute de l’Empire. En outre,
l’éloignement de l’espoir
d’une restauration
bonapartiste écarte, un temps, la Corse des
débats politiques nationaux, et la
vie politique de l’île se cantonne dans
l’échange de services, bulletins de
vote contre places dans l’administration. Seules les grandes
lignées familiales
sont alors en mesure de dominer le débat politique en
disposant de ressources essentiellement
foncières. Cependant la crise agricole qui a eu pour effet,
dans un premier
temps, de prolonger leur domination en augmentant le nombre clients et
d’affidés, et se traduit aussi par la
dévalorisation du patrimoine foncier.
L’extrême
fin du
siècle correspond
à une lente conquête républicaine par
de nouveaux réseaux partisans qui
viennent concurrencer les familles bonapartistes. L’entrisme
dans
l’administration ou les professions libérales se
manifeste aussi par
d’éclatantes réussites
professionnelles ; c’est le
temps des préfets corses, des avocats de renom, des
universitaires, etc. qui
constituent désormais le modèle social de
référence, modèle qui
succède au
prestige foncier de jadis et perdure tout au long du XXè
siècle. Enfin, les
nouveaux décideurs développent des
réseaux d’influence à Paris et
l’on assiste
à une reprise du développement des
infrastructures et des équipements publics
(trains, écoles, routes, etc.). Cette réussite
est naturellement associée à la
République qui s’enracine
définitivement dans l’île à
la veille du premier
conflit mondial.
La
pratique politique,
elle-même
est profondément transformée. Les
élites politiques étendent leurs relations
sociales sur le continent, par leur mariage avec des continentales, la
systématisation des inscriptions dans les
universités françaises, notamment
parisiennes, en lieu et place des universités italiennes, en
particulier Pise,
les relations de partis par l’affiliation aux grands partis
continentaux. Les
discours s’habillent d’oripeaux
idéologiques, les enjeux politiques nationaux
s’interpénètrent avec les enjeux
locaux, et ainsi, progressivement, les
villages corses adoptent les modes de pensée du Continent.
La légitimité
démocratique du combat politique se superpose ainsi
à la légitimité
héréditaire
du clan, rendant opaques les jeux politiques insulaires.
En résumé, la
république finit
par s’implanter dans un milieu originellement hostile au prix
d’un attachement
sans équivoque de tous les camps (et de tous les clans)
à la Nation. Cet attachement
se traduit aussi par la francisation des modes de communication,
d’autant que
le personnel politique est effectivement devenu francophone
à ce moment. Cette
évidence est clairement comprise et
intégrée dans le dispositif
réglementaire
des actes que sont amenés à prendre les
édiles. Pour renforcer un processus estimé
inéluctable et souhaitable, Napoléon III exige
dès le début de son règne que
les actes civils officiels soient tous rédigés
exclusivement en français.
Colonisation
de
l’administration et francisation
Pendant
la Restauration, et
singulièrement la Monarchie de Juillet, nous
l’avons noté, des Corses avaient
consolidé
leur ancrage de carrière dans l’Armée,
dans le monde politique et dans
l’administration. Mais c’est sous le Second Empire
que la Corse bénéficie
véritablement d’un accueil favorable à
l’entrée de ses fils tant au plus haut
niveau de l’Etat et de son administration que dans les
emplois plus
subalternes. Tout d’abord, de nombreux insulaires, dont les Abbatucci, figurent dans
l’entourage
immédiat de l’Empereur. Cette famille
implantée à Zicavo qui a
déjà connu la
promotion de plusieurs de ces fils sous la Révolution
connaît une ascension sociale fulgurante sous la Restauration
et qui est achevée
sous le second Empire. Ainsi, Jacques-Pierre
(1792-1857), petit-fils du premier
Jacques-pierre et neveu de
Charles, est avocat, procureur du Roi à Sartène,
et député du Loiret. Napoléon
III le nomme ministre de la
Justice, Garde des Sceaux, en janvier 1852 jusqu’à
sa mort, en 1857. Son frère, Antoine
Dominique (1818-1878),
est Général.
La
politique scolaire du
Second Empire avait renforcé la francisation de la
société. Dans l’enseignement
primaire, la fréquentation des élèves
connaît une forte croissance. Les garçons
scolarisés sont au nombre de plus de 20000 contre 13000
à l’avènement de
l’Empire, tendance qui conforte le décollage
enregistré sous la monarchie de
Juillet. Plus remarquable encore, la scolarisation des filles qui
connaît un
triplement des effectifs de
3000 élèves
à 10000 élèves, cependant le
véritable envol se situe sous les débuts de la
troisième République avec un gain
supplémentaire de 10000 élèves. Enfin, l’enseignement
secondaire n’est pas en reste
qui affichant
moins de 400 élèves à
l’avènement
de l’Empire prend en charge 1405 élèves
en 1875. Les cours d’adultes se
développent y compris pour les femmes (60 femmes pour 100
hommes). Dans ces
conditions, le niveau d’alphabétisation
d’une population originellement non
francophone s’améliore pour atteindre un rang
honorable à la veille des lois
Jules Ferry. S’agissant des générations
montantes, la Corse présente un bilan
somme toute encourageant dû au développement des
écoles normales à Ajaccio mais
aussi à… Corte, avec 69 % des conscrits sachant
lire, écrire et compter en
français. Des régions certes encore rurales ou
montagneuses du Continent
présentent un bilan équivalent ou pire comme
l’Auvergne, le Limousin, les
Pyrénées, ou la Bretagne qui, pour sa part, et
selon les départements, évolue
entre 52 % et 64 % d’alphabétisés parmi
les conscrits). La Corse se situe ainsi
au 72è rang français dès 1878
là où le Morbihan est classé dernier
(hors
Alsace-Lorraine annexé à l’Empire
allemand).
Le
tableau ci-après montre
la
montée rapide de l’alphabétisation (en
français, évidemment) qui connaît une
accélération avec l’école
obligatoire et gratuite. Il est remarquable que cette
francisation a débuté plus tôt
qu’on ne le pense généralement
même si cela
reste encore modeste par rapport aux départements du
Continent.
Population
entière
|
1866
|
1872
|
1901
|
1911
|
Sachant lire et
écrire
% population
recensée
|
76328
30 %
|
88617
35 %
|
135515
46 %
|
149120
52 %
|
Source :
Recensements – Imprimerie Nationale
Conscrits
|
1888
|
1900
|
1905
|
1914
|
% Sachant lire et
écrire
% bacheliers et
licenciés
|
73 %
1 %
|
68 %
3 %
|
88 %
6 %
|
91 %
6 %
|
Source :
Olivier Maestrati, « la Corse et ses
poilus »
Mais
plus encore c’est l’entrée des Corses
dans l’administration et l’Armée
à tous
les niveaux qui marque l’entrée de la Corse dans
le centre décisionnel et va la
distinguer durablement non seulement des colonies mais aussi des
territoires
qui deviendront plus tard les départements et territoires
d’outre-mer. Les
Corses qui détiennent depuis la Révolution la
citoyenneté française vont très
rapidement se retrouver producteurs des actes administratifs les plus
courants
et ayant des effets sur les populations entières de la
république et de
l’Empire. En réalité, à
chaque niveau de responsabilité, ils vont être
parmi
les acteurs majeurs de la production du Droit.
Le
processus de francisation n’est
donc pas seulement subi avec la prohibition du
« patois » comme dans
les autres provinces mais elle se réalise à
marche forcée avec une authentique
conquête des emplois publics et militaires, lieux par
excellence des échanges
de messages et d’ordres écrits ou verbaux.
La
Coloniale et l’Empire corse
Après
la défaite de 1870, il fallait
prouver aux Français que la France
pouvait fonder elle aussi un Empire, face à
l’Empire
allemand, et compenser la perte de l’Alsace-Lorraine par des
conquêtes
outre-mer. Malgré les réticences pour ne pas dire
plus de la
Droite nationaliste et
royaliste qui dénonce la politique d’abandon des
provinces perdues, « J’ai
perdu deux soeurs, et vous m’offrez vingt
domestiques. » disait
Déroulède,
le projet colonial s’est d’emblée
imposé sous l’angle de
l’idéal civilisateur,
auquel les Français ont cru. Etre colonialiste devint
très rapidement synonyme
de patriotisme et de progrès, et les Corses voulurent
être de la partie, parce
que c’était être, à leur
tour, dans le camp de Rome, de l’Empire, du Centre qui
apporte la lumière de la civilisation. Civilisation de
laquelle la
Corse participe, et qui, en
retour, apporte à ses fils une ambition, une perspective et
un style de vie,
tout autant qu’un confort sous les tropiques,
inespéré et jamais atteint dans
l’île auparavant, sans compter bien sûr
l’enrichissement des villages par le
moyen des transferts d’argent venant de
l’épargne ou des pensions.
|
C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
|
|
Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
|
|
La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
|
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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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