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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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Pourquoi
la mayonnaise n’a-t-elle pas pris ?
Soyons
honnête.
L’auteur
de ces lignes n’a jamais voulu dire que la Corse
était française comme l’Anjou,
ni même comme la Provence. Comment aurait-il pu le
dire ? L’histoire du
rattachement de l’île est pleine
de
bruits et de fureur mais aussi de choix et de paris. Du
côté continental,
la francité de l’île a posé
aussi question. A de multiples reprises, certains
ont rejeté l’île comme insuffisamment
française parce que berceau d’un tyran ou
parce qu’abritant des mœurs qui paraissent
africaines. Ainsi, à la chute du
second Empire, certains envisagent non d’accorder son
indépendance à l’île mais
bien de se débarrasser d’elle, cette île
pourvoyeuse de comploteurs contre la
République, entendez les Bonaparte ! Clemenceau, en
particulier, souhaite rejeter
l’île vers l’Italie au nom du Club
positiviste, devant l’Assemblée
nationale, en 1871 « que la Corse
cesse immédiatement de faire partie de la
République Française ». La Corse, il est vrai, subit
alors les retombées des diatribes
anti-bonapartistes, et, lorsque Rochefort conseille de la vendre pour
le franc
symbolique, un Victor Hugo, au retour d’exil, souligne que
« la Corse est
un boulet attaché à la France ».
La
permanence des traditions n’en a-t-elle pas fait un
conservatoire, un musée, un
zoo pour de nombreux visiteurs du XIXè
siècle ? Sa violence, ses
bandits d’honneur, son étrangeté
même, tout attire autant que cela effraye.
Mais le sentiment est le même, l’île est
un ailleurs, ce n’est plus tout à fait
la France quand ses fils dirigeraient celle-ci. C’est toute
l’ambiguïté de la
relation à la métropole, cet
éloignement des mœurs plus que la langue,
conjugué à la proximité
qu’offre le pouvoir saisi par les fils de
l’île, conjugués aussi à la
maîtrise
de la langue française que ces fils de
l’italianité sauront montrer. Plus près
de nous, un homme politique de la cinquième
République, ancien premier ministre
n’a-t-il pas mis les Corses en demeure de choisir enfin,
comme s’ils n’avaient
pas choisi au long de deux siècles.
De façon plus
anecdotique, l’auteur de ces lignes alors qu’il
était encore élève dans un
lycée prestigieux de la région parisienne fut
lui-même destinataire de ce genre
d’adresse, (« Toi
t’es pas français
retourne dans ton pays »), de la part de
condisciples provenant de ces
familles de milieux favorisés qui envoient leur
progéniture dans ce type de
lycée. C’était en 1965, dix ans avant
Aleria. Je n’ai d’ailleurs, sur le
moment, pas compris du tout en quoi je n’étais pas
français, je ne faisais même
pas le lien avec mon origine corse, à proprement parler
l’insulte ne faisait
même pas sens.
Maintenant
je comprends mieux, la Corse est française mais
d’une manière particulière.
Elle fait partie des marches de l’Empire, elle est une
île, on y parle
(parlait ?) une langue n’appartenant pas
à l’ère gallo-romane, comme
c’est
le cas pour la Bretagne bretonnante, l’Alsace, le Pays
Basque, le Roussillon,
la Lorraine francique ou les Flandres. Mais si on souhaite
répondre aux
censeurs : « eh bien non, les Corses ne
sont pas des
Français ! », et si les Corses
pensent devoir retourner dans leur
pays, peuvent-ils le faire au nom du passé ? A-t-on
vraiment volé
l’indépendance à la Corse ?
L’a-t-on empêché de devenir une
Nation ?
Je crois avoir montrer que c’est un leurre, une escroquerie
historique et pour
tout dire une vaine recherche que
de
fouiller dans le passé corse les raisons d’un
avenir différent.
On ne
peut arguer d’une conquête : que diraient
les Francs-Comtois, et les
quatre cinquièmes des régions
françaises ? Pas plus, ne peut-on arguer
d’une colonisation, c’est souffleter les
ressortissants des anciennes colonies, souvent soumises à la
férule d’un
adjudant corse. Pas moyen de se raccrocher à des
abominations sans pareille.
Pas d’esclavage, pas de traite ! Pas de colonisation
de peuplement. Mais
en revanche, une citoyenneté pleine et entière,
l’intégration dans une nation
plus vaste.
Pas
davantage de violence d’Etat, et si quelques paysans ont
été pendus dans le
passé à quelques châtaigniers, combien
de chênes peuvent en raconter tout
autant et même plus en Bretagne ou en Normandie ; ce
n’était que la
manière brutale de traiter les jacqueries.
Alors
quoi ?
Rappelons
cette adresse de Raymond Barre :
« s’ils veulent leur
indépendance qu’ils la
prennent ! »
non pour le commenter à nouveau, mais pour souligner que
nous la lisons mal.
Tous nous lisons : « qu’ils
la
prennent ! » alors que le
véritable fond du problème est
« s’ils la veulent ».
En clair, les
nationalistes parlent d’une indépendance
rêvée, justifiée et nécessaire
au regard de l’Histoire. Nous
avons vu à quel point ce genre de justification est un fil
ténu. Rappelons leur
litanie :
- c’est une
nation avortée : la Corse a toujours
lutté pour
son indépendance et sa vocation à
l’indépendance a été
contrariée par ses
ennemis (les Corses eux-mêmes n’y sont pour
rien ! et l’on revisite
l’histoire à la lumière des luttes de
libération)
- le
mythe de la dette :
la perte de la
liberté, le peuple corse,
peuple martyrisé par sa marâtre (Ponte Novo, la
révolte du Niolo, la «
Gjustizia morandina » mais aussi, plus tard, la dette du sang
avec le sort
particulier réservé aux Corses lors du premier
conflit mondial)
- l'enjeu
de la langue : et d'ailleurs nous ne pensons pas en
français
! Mais les Corses ne sont pas italiens pour
autant. Sont-ils ?
ou la schizophrénie corse.
-
se donner une Raison dans l’air du temps, en se présentant comme
dernière colonie
française.
- Vous
n’êtes
pas convaincu ? La dernière colonie ? Vous
n’avalez pas ? C’est
trop gros ? Qu’à cela ne tienne, le
racisme anti-corse fera
l’affaire : Si vous
nous refusez le droit d'être des colonisés nous en
avons la couleur!
-
Les Corses sont vraiment très différents des
Français,
ils doivent pouvoir conserver leurs spécificité
dans une Corse pure de toute
influence sanguine.
C'est ainsi qu'on revendique un droit à l’indépendance en
regardant
dans un rétroviseur. Mais… il n’y a pas
de droit
à l’indépendance !
L’indépendance ne peut s’obtenir au
regard d’un
passé autant mythifié, alors qu’aucun lien de
subordination vrai n’existe.
Les faux
départs
n’améliorent pas la performance du coureur
Nulle
part on ne trouve un début de
réflexion sur ce que pourrait être une Corse
indépendante. Oh, certes ! On
se délecte de variantes institutionnelles, de
schémas constitutionnels puisés
aux bonnes sources, essentiellement paolines, mais jamais une analyse
approfondie des conditions d’accession, et surtout de gestion
d’une
indépendance vraie. La
raison en est,
malheureusement, que la chose est de l’ordre du fantasme pour
les plus sincères
ou du calcul pour les autres. La certitude insupportable mais
soigneusement tue
de l’éloignement à tout jamais
d’une telle perspective, jointe à un
lâche
soulagement explique la situation présente où les
morts du séparatisme sont des
morts de rencontre au milieu d’affaires sordides et non de
morts héroïques
animés d’esprit de sacrifice pour la cause
historique de la construction de
l’Etat corse. Le
combat nationaliste n’est
désormais qu’un brevet
d’honorabilité qui sert de caution ou de mot de
recommandation pour un emploi ou pour un prêt, au mieux, de
voile protégeant
des intérêts illégaux, au pire.
Dans
l’attente d’une réflexion de
fond sur les conditions de viabilité
macro-économique d’une Corse
indépendante
ou même seulement autonome, beaucoup s’essayent
à explorer les arcanes
« micro-économiques »
de la création d’entreprises, essentiellement
dans le secteur des biens non échangeables (tourisme, BTP,
réparation, etc.),
mais sans voir, ou sans vouloir voir, que la viabilité
même de ces entreprises
repose sur le maintien dans le giron français, qui, en
dernier ressort, fait
office de société de réassurance. Des
grands rêves économiques de Paoli, il ne
reste pas grand’chose, les équipements
nécessaires pour transformer l’île en
plaque tournante de la méditerranée occidentale
ne sont pas même pensables.
Que
faire ?
L’être
doit-il se définir par ce qui s’est
passé et ce qui ne
s’est pas passé ? Est-on
négativement ? Assurément,
non ! Un
être se construit. En optant pour une logique et une
économie du dû, les
séparatistes montrent qu’ils ne veulent pas se
séparer, la Corse espérée de
leurs vœux ne pouvant vivre qu’adossée
à une dette imprescriptible. Oser
l’autre choix, à savoir ne pas regarder
derrière soi, est plus difficile car il
suppose que l’on sait vraiment ce que l’on veut
être. Le refus de l’existant
n’est pas un vouloir, l’adoration d’un
passé n’est pas un programme. Se penser
comme ancienne colonie, c’est se couler dans un
modèle tiers-mondiste qui n’est
guère engageant. Nous l’avons dit, il faut savoir
être. Les Corses ont donc,
s’ils le souhaitent, la possibilité
d’interroger leur être pour se construire
autrement que dans la continuité de ce qui a toujours
été, le cri plaintif.
Quelles sont les
questions qui peuvent être posées ?
Deux seulement. La première semble simple : comment
se veut-on ?
Est-on d’abord français, une manière
corse d’être français ou bien est-on
avant
tout et seulement corse ? Quel attachement me
construit ? Celui de la
petite île ou celui d’une plus grande
communauté ? Si je réponds
être de
la grande communauté française, le questionnement
s’arrête là. Si je réponds
que je suis avant tout corse, et français parce que
l’Histoire l’a voulu, je
dois compléter mon questionnement
en me
demandant si je veux garder cet attachement second. Me sentirais-je
incomplet
si je n’étais que corse ?
L’appartenance à la nation française
est-elle
pour moi objet de fierté ou seulement
d’habitude ? Si je me sens complet
en me définissant comme corse l’appartenance
à la nation française ne m’apporte
rien.
Je dois alors
poser la seconde question. Me retirer de
l’ensemble français me retire-t-il quelque
chose ? Et si oui, suis-je
assez fier de n’être que corse pour en pouvoir
accepter tout le prix, y compris
celui de la pauvreté. Et si je ne me veux que corse et
bénéficiant d’un niveau
de vie acceptable, quelles conditions de développement
économique doivent être
recherchées ? Bien sûr le risque est
grand de perdre un tiens pour deux tu
l’auras. C’est prendre le risque du
sacrifice personnel. Le sort qui attend
la Corse pourrait être alors celui des
ex-républiques soviétiques où tous les
secteurs protégés ont sombré.
Insistons une dernière fois, se séparer de la
marâtre patrie c’est partir de la maison
à la recherche de l’être mais aussi au
risque de chemins ardus et qui, peut-être, ne
mènent nulle part.
Allons, Corses,
encore un effort pour être vraiment
indépendants !
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C’est
une histoire de mythes et d’identité : la question
corse
qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout
grâce
à la
réécriture de l’Histoire de
l’île et à la mythologisation de
la langue
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Allons
plus loin déshabillons le paon pour découvrir le
poulet qui est
dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il
eu une
Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous
Paoli ?
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La
Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse
eut-elle un comportement
si différent des autres provinces de la
République française ? Le
ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un
destin ?
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La
petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle
imaginé un
Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des
leçons
à donner ?
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Une
fois l’Empire colonial effondré, que
devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner
à son passé glorieux
mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les
vendre à l'encan ?
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Les
mythes se portent bien, ils se sont même diffusés
partout. Faut-il en
rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou
bien, au contraire,
est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la
réalité du monde moderne ?
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