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HISTOIRES CORSES                                                                                                                                                                NE NOUS RACONTONS PAS D'HISTOIRES

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Bibliographie

Une fois l’Empire colonial effondré, que devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner à son passé glorieux mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les vendre à l'encan ?


Chute de la Maison Corse et travail de deuil

 

1962 et la fin de la guerre d’Algérie  marquent la fin de l’Empire corse. De ce moment, l’île redevient une petite île, son horizon se rétrécit. L’heure des bilans sonne et l’absence de facteur intrinsèque de développement se manifeste sans que les revenus de substitution aient la possibilité de compenser le retard de l’île par rapport aux autres provinces françaises. Cela ressemble plus à une terre à l’abandon qu’à une terre à exploiter d’autant que le déficit démographique est indéniable alors même que le repeuplement de l’après 1962 s’effectue sans revivification de l’espace rural, perçu comme l’espace traditionnel de la véritable Corse. L’intérieur ne se repeuple pas, le littoral s’urbanise et se dote d’une population urbaine diversifiée ou d’installations que certains qualifient de latifundiaires en faisant ainsi un contresens, alors qu’il s’agit d’exploitations intensives à la productivité agricole accrue par la mécanisation que la plaine permet, au rebours des exploitations maraîchères de montagne. Sont installés sur ces terres inexploitées jusqu’alors, des ouvriers agricoles emmenés par les rapatriés d’Algérie, et voilà une population éminemment allogène, installée sur des terres dont on estime que les Corses sont spoliés.

 

Si la colonisation de peuplement chère à nos modernes corsistes fait référence à cette population d’ouvriers agricoles, elle se colore d’une teinte autant raciste que xénophobe. Si elle renvoie aux Français, rapatriés ou venant du continent, elle s’égare dans une interprétation tendancieuse des mouvements démographiques en jetant pêle-mêle dans cette catégorie des fonctionnaires continentaux en poste pour quelques années seulement, et connaissant un fort taux de rotation des affectations, des conjoints de Corses (quel degré d’ethnicité corse faut-il retenir s’agissant des enfants des couples mixtes ?), les rapatriés d’Afrique du Nord enfin. Mais loin d’être un peuplement, il vaudrait mieux parler d’un peuplement de substitution à l’accroissement naturel et c’est moins les autres qui arrivent que les Corses qui ne reviennent pas hormis ceux des Colonies.

 

Pour en finir avec cette notion de colonie de peuplement, notons ces quelques vérités. En Corse comme sur le Continent, on observe beaucoup de mariages mixtes qui sont chose rare et mal vue dans les colonies du monde réel. Le mouvement naturel affectant l’île depuis deux siècles était celui d’un relatif dynamisme démographique jusqu’à la crise agricole de la fin du XIXè siècle, comme partout ailleurs, mais la saignée de la première guerre mondiale accentuée par la participation à l’aventure coloniale renforce le renversement de tendance. La remontée des années soixante est certes due à un mouvement migratoire mais, passé le choc du retour des Français d’Algérie dont certains sont aussi des Corses, aucune autre tendance au retour des Corses dans l’île ne se manifeste, les conditions d’une attraction économique positive étant obérées par l’acharnement des Corses eux-mêmes à rendre l’île inintéressante (on n’attire pas les mouches avec du plastic). Loin d’être une dernière colonie de la France, la Corse partage tout simplement le sort commun des régions d’agriculture insuffisamment productive, notamment en zone de montagne mais sans le ressort touristique des sports d’hiver ou de la micro-industrie de pointe[1], dans leur lente insertion dans un ensemble économique plus vaste, celui de l’Etat-nation. A maints égards, le sort d’un département comme celui de l’Aveyron est très semblable. On y observe comme en Corse l’interruption de productions locales, la fermeture progressive des exploitations minières et la prépondérance des petites entreprises. Cette situation est aggravée par l’étroitesse du marché interne ; de tout cela s’en suit l’exode des populations vers les centres dynamiques d’activité industrielle et tertiaire avec son corollaire, l’érosion de la spécificité régionale et l’adoption d’un modèle fédérateur consumériste, au niveau national (et plus tard au niveau européen, voire mondial). La Corse manifeste son ressentiment mais se trompe de cible, derrière la France c’est bien d’une uniformisation mondiale qu’il s’agit.

 

Ce discours sur la colonisation de la Corse, ou la colonisation de peuplement, n’est même pas nouveau ; il reprend le discours ethniciste des muvristes en les habillant des oripeaux tiers-mondistes, qui seuls permettent de suivre les mêmes chemins de traverses que l’irrédentisme culturel, après son suicide politique pendant l’occupation italienne.

 Les commentateurs et parfois les hommes politiques ne restent pas insensibles à ce thème de la singularité de l’île, alors même que tout ce que nous venons de voir jusqu’à présent va dans le sens d’une singulière absence de singularité. Ici ou là, on accepte d’une certaine manière d’accuser un deus ex-machina qui aurait émasculé la société corse. Là se situerait le statut colonial de l’île. La Corse serait comparable à une colonie parce qu’elle n’a pu accéder à l’Etre-Nation par la faute des Autres, ce qui explique un retard économique qui la distinguerait des autres régions à priori comparables. Le diagnostic est loin d’être nouveau mais il est faussé et il est dommage que là comme ailleurs le discours passe sans qu’on daigne le redresser.

 

L’assoupissement de l’île pendant l’après-guerre 

 

A l’heure où les autres provinces se reconstruisent, la Corse semble entrer dans une longue période d’assoupissement ; il est vrai que l’immédiat après-guerre connaît le déclin démographique le plus prononcé depuis deux siècles. Avec 145000 habitants, sa densité la situe en queue des régions françaises, même si, malgré ce qui se dit ici ou là, elle n’a jamais été une région dense. Le dépeuplement s’inscrit dans une perspective longue qui touche d’autres régions dans le cadre d’un élargissement des économies-monde pour retenir les catégories de Fernand Braudel, où la Corse de situe dans le premier cercle de la périphérie. Mais loin d’être le premier cercle de l’Enfer, celui de la périphérie coloniale, son positionnement assimile l’île au dernier cercle du Paradis, celui des régions métropolitaines, rurales et montagneuses, à quoi l’insularité impose une contrainte de plus.

 

Reprenons le fil de l’Histoire. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Corse, c’est un truisme de le dire, est une société paysanne, une société close dont les seules perspectives de développement sont à trouver hors d’elle-même ; en effet, les ressources autochtones sont les activités agro-pastorales, sachant que l’activité industrielle a connu un développement erratique contrecarré par la faiblesse et parfois la mauvaise qualité des ressources, en tout cas l’impossibilité de son adaptation au progrès technique et aux exigences de rendement (rappelez-vous l’aventure des forges insulaires). Comme dans les autres régions rurales françaises, la crise agricole du tournant du siècle bouleverse le milieu socio-économique de l’île. L’appel de l’extérieur (fonction publique française, armée coloniale, industries du continent dans une moindre mesure) bat son plein, en conséquence, l’émigration augmente considérablement, ce qui a pour effet de surmonter les effets de la crise, sans doute mieux que dans d’autres régions, en répondant aux attentes de promotion sociale et d’intégration des Corses à un niveau qui pourrait faire des envieux ailleurs.

 

La contrepartie ne peut étonner ; cela se traduit par le sous-peuplement, et la destruction presque complète de l’économie locale traditionnelle bien avant les effets de la première guerre mondiale et la ponction sur la population masculine. C’est d’ailleurs la déprise agricole qui fausse la perspective en faisant imputer à la Grande Guerre la chute démographique et ses implications multiples alors que cette baisse débute dès 1890. Par un renversement de raisonnement, on en déduit que, oui, vraiment la Corse a payé plus cher que les autres régions, d’ailleurs, voyez combien sa population a baissé. La comparaison avec la Sardaigne joue alors à plein : et de comparer les effets de « l’occupation française » à la situation plus dynamique de la voisine du sud, en faisant l’impasse sur les conditions spécifiques aux deux îles ! Là encore, ce thème est un lointain écho aux thèses muvristes qui dénonçaient l’action de la matrigna (marâtre France) comme étant responsable de tous les maux et qui exaltaient la politique italienne de Mussolini en Sardaigne et en… Albanie[2]. Quant à prétendre qu’avant l’entrée de la Corse dans le giron français, la Corse était une des régions les plus denses d’Europe c’est un pur mensonge : avant la guerre de Trente ans, l’Alsace était quatre fois plus dense, de même, le Nord ou le lyonnais, des régions qui, effectivement, seront au rendez-vous de la révolution industrielle et du développement économique un siècle après. Si, en revanche, on se limite aux îles méditerranéennes, la situation Corse est loin d’être significative : la Sicile est l’île la plus dense depuis longtemps, quant à la Sardaigne, souvent prise comme référence, sa densité ne décolle vraiment qu’au début du vingtième siècle, le décrochage Corse se produisant à ce moment, soit après cent trente années de présence française. Opposer la présence italienne à la présence française sous le seul angle de la densité est un raccourci qui me semble particulièrement…court !

 

En fait, on l’a compris, la population s’en va, elle ne meurt pas. En effet, le solde naturel est encore positif jusqu’au milieu du XXè siècle, même si ce n’est plus avec la même ampleur qu’auparavant en raison de la chute de la natalité. De ce point de vue, la Corse suit le mouvement général que connaît le Continent., dans ces régions fort comparables que sont les Cévennes, les Alpes du Sud (pensons aux Barcelonnettes partis au Mexique), le Rouergue ou la Bretagne. C’est bien le solde migratoire fortement négatif qui est en cause. Le mouvement est d’autant plus intense qu’il est organisé, pour les emplois qui ont la préférence des Corses, comme, à la même époque pour d’autres régions du Continent où l’entr’aide fonctionne admirablement [3]. Ce qui est peut-être typique de l’île est la mobilisation sans précédent des réseaux politiques pour échanger emplois contre bulletins de vote. Ce sont les notables qui se sont fabriqué un rôle de médiation avec l’État et les administrations publiques, en apportant ainsi aux pouvoirs publics les ressources en hommes que leur clientèle peut offrir, et le système fonctionne parce que depuis des décennies, tout au long du XIXè siècle, les Corses ont pratiqué l’entrisme dans la fonction publique, à tous les niveaux et jusqu’aux plus élevés dans la hiérarchie. L’accès aux ressources pour la population locale est donc extérieur ; ces ressources qui font vivre la famille, la phratrie et le village, ce sont les emplois bien sûr, mais ce sont aussi les subventions. Ces « services », et en particulier, la gestion des canaux de l’émigration, sont monopolisés par les acteurs politiques, pour lesquels l’assise politique locale dépend de leur capacité à fournir ces ressources, à être donc crédibles. Le système se « professionnalise » très vite et n’a jamais eu d’équivalent dans l’histoire de l’île, puisque celle-ci au temps de l’occupation génoise, ne se voyait pas proposer les mêmes facilités d’accès aux emplois et aux responsabilités. Ce fut d’ailleurs l’erreur de Gênes de tenir les Corses à l’écart des carrières, poussant les notables à d’incessantes guerres de territoires, de partage de clientèle pour des ressources maigres. Ce fut l’habileté de la France de faire table ouverte dès le début, se donnant ainsi un fort taux de crédibilité.

 

Très rapidement, dès le second Empire, mais avec une accélération notable lors de la conquête des pouvoirs locaux par les notables républicains à la fin du XIXè siècle,  les réseaux d’influence se constituent en structures hiérarchisées mettant en relation les représentants « qui comptent » à chaque niveaux du territoire (maires, conseillers généraux, notabilités locales) et animées par des « chefs de parti », notables régionaux souvent parlementaires, et donc capables d’agir au sein de l’État. Soyons net, ce que nous ne cessons de nommer « clans » ne sont rien d’autre que ces réseaux qui sont, ne nous cachons rien, assez répandus dans les régions rurales françaises durant cette période d’apprentissage de la démocratie. En Corse, cette phase de démocratie clientéliste dure plus longtemps qu’ailleurs, voilà tout.

 

Le lendemain de la seconde guerre mondiale sonne le glas de la colonisation, et le début du rétrécissement de l’île, qui voit inexorablement ses ressources externes diminuer avec la rétraction des emplois dans l’administration et l’armée coloniale. Dans le même temps, les élites locales doivent passer la crise de l’après-guerre, et même si l’épuration fut modérée, le cantonnement du pouvoir du parti communiste, auréolé du prestige dû à son rôle de leader dans la Résistance, mobilise les énergies pendant la phase de reconstruction de la Droite insulaire. Dans la décennie qui suit le second conflit mondial, alors même qu’un premier pan d’Empire s’écroule avec la fin du protectorat sur la péninsule indochinoise, et que les premiers retours ont lieu, l’île dort, rêvant de son économie agropastorale traditionnelle, mais moribonde et sans avenir, tandis que les Corses ne s’intéressent pas aux plaines du littoral dont la démoustication avait pourtant été faite par l’intendance américaine pendant le conflit. Les surfaces cultivées sont ainsi passées de 36 % en 1913 à 5,3 % en 1967 ! L’industrie liée à l’activité agricole, plus active au XIXe siècle que l’industrie métallurgique ou de seconde transformation, avec des fabriques de savon, de tabac, des verreries, des tanneries, des moulins à huile , des distilleries, était quasiment éteinte, vaincue par la concurrence[4].

 

L’ère des soupçons

 La situation évolue à la fin des années cinquante, grâce aux politiques d’aménagement et de développement que l’Etat décide de lancer, après une longue période d’indifférence qui suit la chute du Second Empire. A cette époque, en effet, la IIIè République allait littéralement partir à la conquête de l’île de Corse, terre bonapartiste qu’il convient d’encadrer, et l’effort allait porter sur la mise en place des relais administratifs territoriaux de l’État, qui représentaient dès lors l’essentiel des ressources en emplois, emplois obtenus bien évidemment d’autant plus facilement que l’on est du bon côté.

 Toute cette période jusqu’à tard dans le siècle suivent, à la fin des années cinquante, est illustrée par le double langage des groupes dirigeants locaux qui sont tout à la fois pourvoyeurs d’emplois à l’extérieur de l’île et contempteurs du système sur l’air du thème de la « Corse abandonnée ». En réponse aux demandes pressantes d’aides pour compenser le handicap de l’insularité et le retard de l’île, demandes déjà exprimées avant-guerre, le Programme d’action régional de la Corse est adopté en 1957, en faisant reposer le moteur du développement sur deux secteurs, considérés comme les deux atouts naturels de l’île, le tourisme et la rénovation de certains secteurs agricoles. La Somivac, chargée de l’aménagement agricole, et la SETCO en charge du tourisme sont créées sous le statut juridique de société d’économie mixte, le tout accompagné de quelques travaux d’amélioration des infrastructures. La réponse de l’Etat se produit tout naturellement en conformité avec le mode de relation de l’île avec le Continent, à savoir une logique d’économie publique, mais ce choix a pour conséquence de conforter les populations dans un rôle passif, où l’attentisme a pour corollaire l’espérance de mannes pour lesquelles les Corses ne développent guère de volonté d’entreprendre.  Leurs représentants politiques continuent de gérer leurs réseaux d’influence traditionnels en abandonnant aux fonctionnaires de l’État la responsabilité des projets de modernisation, et ne montent sur scène que lorsque des associations, des représentants syndicaux ou des groupes d’intérêts locaux pointent le bout du nez, en risquant par là même de leur ravir le monopole du dialogue avec l’Etat.

 Que se passe-t-il pendant la décennie des années Cinquante ? Les plaines littorales ont été assainies par les troupes américaines, les conditions d’exploitation sont donc désormais bonnes, et pourtant rien ne bouge. Les mutations de propriétés, à cette époque, ne montrent aucun mouvement de descente vers les terrains agricoles de la côte, hormis le mouvement de long terme de descente vers les piaghje. Où en situer les responsabilités ? Sans doute, ces politiques de développement suscitent des demandes de participation qui restent pour l’essentiel insatisfaites mais on est loin d’une mobilisation des Corses en faveur du développement agricole de l’île. Les demandes restent exceptionnelles et les dossiers sont mal défendus autant que mal instruits.

 Du côté du développement du tourisme, cette activité, à en juger par l’orientation du Plan d’Action régionale de 1957, qui prônait une politique intensive, s’est orientée à travers la SETCO vers le déploiement d’une infrastructure hôtelière et de villages de vacance, plus que vers l’agritourisme ou tout autre formule plus respectueuse du caractère authentique de l’île qu’on souligne à longueur de rapport, à commencer par celui du Hudson Institute d’inénarrable mémoire. Il est vrai que la Corse a attiré dès le XIXe siècle de nombreux voyageurs de marque tels des écrivains comme Flaubert, Mérimée, Maupassant, Balzac, Alphonse Daudet, Joseph Conrad, Julien Gracq, ou des souverains comme Édouard VII d’Angleterre et l’impératrice Sissi, à tel point qu’un syndicat d’initiative était inauguré dès 1877. Mais si une ville comme Ajaccio fut lieu de villégiature hivernal ou Bocognano lieu de fraîcheur estival, apprécié des Anglais, sans compter la vogue des bains de Guagno, la Corse n’eut pas le même destin que la Côte d’Azur ou la Riviera et, après guerre, elle souffrait d’un déficit en équipement tel que la capacité en lits ne permettait d’accueillir dans les années Soixante que 500 000 résidents soit un gros doublement de la population de l’île.

 

L’expérience de la SETCO fut un semi échec en ce qu’elle se cantonna à accompagner la construction de trois établissements mais cela servit de relais pour des opérations immobilières privées. Les travaux d’infrastructure furent supportés par l’État et les collectivités locales, sans garantie de conservation du patrimoine naturel, et sans désenclavement de l’intérieur de l’île, mais bien au contraire en provoquant une accélération de la dichotomie de développement entre les pièves de l’intérieur et celles du littoral. Les ensembles touristiques en question, qui ne se développèrent qu’à la fin des années Soixante, ne profitèrent pas aux Corses, hormis quelques emplois saisonniers, et demeuraient sans effet sur le développement de débouchés pour l’agriculture locale (le ravitaillement est importé). A travers les critiques de « baléarisation », largement partagées à l’intérieur de l’île, c’est la perte de soi qui est dénoncée, la confrontation avec un monde moderne uniformisateur et peu respectueux des terroirs qui est redoutée. Si les protestations rejoignaient les préoccupations écologiques des années soixante-dix, le tourisme diffus et respectueux de l’environnement mit du temps à s’imposer, et il ne le fait qu’au travers d’institutions, plus qu’au travers d’initiatives, comme d’habitude dans l’île. Ainsi, peut-on citer la création, en 1971, du Parc Régional Naturel, comprenant 150 000 hectares de terres ainsi que la réserve marine de Scandola. Tout cela, encore aujourd’hui, reste bien timide, car si des chemins de randonnée furent créés en nombre, le maillage  de l’agritourisme (le système des gîtes) reste très en-deçà de ce qui est pratiqué dans d’autres régions, il suffit d’essayer de louer un gîte rural dans l’intérieur de l’île en pré-saison, pour s’en convaincre[5]. Aujourd’hui, deux millions de visiteurs permettent d’espérer de dégager un PIB de 300 millions d’euros en 2004, soit 10 % de la valeur ajoutée totale de l’île (et 12 % de l’emploi en haute saison).

 

Le tout tourisme n’est pas la seule et unique réponse, et c’est contre une réponse prônant la bi-activité (tourisme et agriculture intensive) que l’opinion corse (et pas seulement les autonomistes) se raidit. Dans le passé, où l’option ethno-nationaliste ne faussait pas le débat, la volonté de défendre le patrimoine ancestral a groupé les énergies contre des projets malencontreux comme le projet de centre d’expérimentation nucléaire d’Argentella en Balagne, ou des pratiques insultantes comme le déversement en mer tyrrhénienne des déchets chimiques d’une usine de la Montedison, entreprise italienne prenant la Corse pour une poubelle ! Les premières actions d’éclat datent de ce moment, en 1970.

 

Si les errements du tourisme égratigna la conscience corse, si la légèreté des projets nucléaires ou les pratiques chimiques de tel ou tel eurent le don d’exaspérer tous les insulaires, du côté du discours « corsiste », rien ne vînt renforcer autant le mythe de la colonisation intérieure que les pratiques de la SOMIVAC à l’occasion du retour des Rapatriés d’Algérie. Pourtant l’intention était bonne (mais l’Enfer… n’est-ce-pas ?), qui était de promouvoir un mouvement de modernisation économique conforme à l’esprit du traité de Rome en donnant les moyens de revitaliser l’agriculture avec un programme décennal de rénovation des infrastructures, de défrichement et d’irrigation. L’arrivée des rapatriés dotés d’expérience professionnelle et de capitaux va se révéler être un détonateur lorsque des aides accompagnées d’un moratoire sur les dettes leur furent attribuées, notamment s’agissant de lotissements de la plaine orientale originellement destinés aux Corses.

 

Qu’il nous soit permis de faire ici un bref aperçu de l’incompréhension des enjeux à la fin des années cinquante et au début des années soixante. En 1957, près de 20000 ha furent récupérés en plaine orientale qui vont faire l’objet de travaux d’envergure par la mise en place d’infrastructures, d’électrification, de traçage de chemins ruraux par les collectivités locales tandis que la SOMIVAC prenait à sa charge l’irrigation, l’assainissement et le défrichement, les subventions couvrant les deux tiers des coûts engagés. Contrairement à ce qui a été dit et écrit, les lots n’étaient nullement réservés aux rapatriés et les insulaires auraient pu y trouver leur place s’ils s’étaient manifestés avec un peu plus de détermination. Or sur les 3300 premiers hectares de terrains conquis sur le maquis peu furent préemptés par les locaux qui ne croyaient pas à la réussite de l’opération ou qui manquaient et de capitaux et d’expérience technique. Néanmoins avec le temps certains insulaires commencèrent à se mettre sur les rangs. A Ghisonaccia, les lots attribués revinrent à 43 insulaires et 22 Corses rapatriés pour 36 rapatriés non Corses. Le mouvement enfin lancé, de nombreuses propriétés tombées en déshérence furent récupérées sur le maquis, en plaine ou sur le piémont. Par ailleurs de nombreux Corses trouvèrent très opportun de se débarrasser  des propriétés en indivis pour des baux de longue durée dans diverses pièves, ainsi à Porto-Vecchio mais aussi sur l’autre versant de l'île, à Sartène, par exemple. Sur ces nouveaux territoires, les rapatriés furent les premiers défricheurs sans attendre l’aide de la SOMIVAC. C’est alors que plusieurs centaines d’insulaires commencèrent à déposer des dossiers, souvent avec succès, provoquant l’afflux de capitaux urbains (BTP, commerce, professions libérales) vers les campagnes : on est loin effectivement de l’attribution de bonnes terres à des agriculteurs corses, et une grande part de leur éviction du marché rentable de l’agriculture intensive tient autant à l’entrée sur le marché foncier de familles corses urbaines qu’au traitement de faveur dont auraient bénéficié les rapatriés, traitement dont on a pu mesurer les limites. Ainsi, une frange importante de la population rate le coche du développement agricole.

 Malgré tout, le niveau de vie s’élève mais reste un phénomène urbain plus lié, au régime d’économie assistée, le développement économique réel de l’agriculture intensive restant une affaire étrangère à la population autochtone. L’agriculture décline encore : en près de vingt ans, de 1957, année de lancement du Plan à 1975, année des événements d’Aléria,  le nombre des exploitations est presque divisée par deux (de 12 280 à environ 7 000). Nous ne reviendrons pas sur des événements largement connus depuis Aleria à propos du scandale du vin, à savoir la pratique de la chaptalisation à outrance[6] par des viticulteurs pieds-noirs, ni sur l’occupation de la cave Depeille et le drame qui s’en suivit. Il suffit de savoir que si cet événement donna un coup d’accélérateur à la mouvance autonomiste, l’attention désormais portée sur la petite île n’amena pas d’amélioration qualitative dans le développement économique qui reste aléatoire. Depuis longtemps, la modernisation de la Corse a été le fait d’un modèle de régulation dans lequel l’État joue un rôle central : les pouvoirs publics y assurent une part majeure des revenus et de l’emploi ; l’essentiel des activités économiques et sociales y est, directement ou non, subventionnée. Dans un tel contexte, l’accès aux ressources sociales dépend de l’insertion dans les réseaux du pouvoir politico-administratif local. Les accusations de  colonialisme intérieur que nous allons explorer s’appuient sur ces errements mais la suite, et jusqu’à aujourd’hui, montre  que les raisons de la crise sont plus banales. Oui, vraiment banales, et où les Corses avant les autres, ont leur part de responsabilité.

 

La trahison des Pieds-Noirs, le réveil corse  et le retournement du discours

 
Dans les années cinquante, la prise de conscience des difficultés économiques s’effectue à l’occasion des menaces sur la pérennité des liaisons ferroviaires, et donc le maintien d’un service public. La question foncière ne mobilise toujours pas réellement et l’on s’en tient à des protestations d’intérêts économiques et sociaux. En 1963, la création à Paris de l’Union Corse - l’Avenir présente un aspect plus politique, de tendance socialisante. Le 1er congrès de l’union des étudiants corses (qui ratisse large, des bonapartistes aux communistes !) propose un programme régionaliste. L’année suivante, le “Comité d’Etude et de Défense des Intérêts de la Corse” (CEDIC) dont l’un des co-fondateurs est Max Siméoni, a pour ambition d’obtenir un statut fiscal dérogatoire pour compenser l’insularité ; en 1966, l’Union Corse et le CEDIC fusionnent en un “Front Régionaliste Corse” (FRC) d’inspiration socialiste, mais le CEDIC demeure comme entité autonome en raison de divergences substantielles, ce qui finit par aboutir à la création de l’Action Régionaliste Corse (ARC) en 1967, qui maintient l’exigence d’un statut particulier (insularité et préservation de l’identité corse).

 L’arrivée des Pieds-Noirs, on le sait, a été l’événement qui a provoqué la cristallisation des revendications vers plus d’autonomie et de préservation de l’identité, et non plus seulement une défense régionale des intérêts économiques et sociaux. L’installation des rapatriés d’Afrique du Nord se manifeste massivement en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie mais, dès 1957, des colons avaient acheté des terres, et jusqu’en 1965 on dénombre 17 500 arrivants, soit environ 10 % de la population de l’île. Contrairement à ce qu’on croît souvent, l’accueil ne fut pas hostile et est plutôt vécu comme un retour des fils (25 % des arrivants portent un nom corse et la plupart de ces Corses sont nés dans l’île). A l’époque, ces arrivants ne sont pas perçus comme des allogènes mais c’est le flux croissant et le fait de pouvoir louer ou acheter les lots réservés de la plaine orientale et les mises en valeur financées par la SOMIVAC qui provoquent la méfiance et bientôt la rancœur. En outre, ces Pieds-Noirs, à peine chassés d’Algérie, ont l’outrecuidance de réussir là où les Corses n’ont pas essayé. Le “miracle de la Mitidja corse” suscite le rejet et le bon accueil du début laisse place au soupçon de la “colonie de peuplement” ou du colonialisme intérieur. Cette appréciation est d’autant plus renforcée que d’aucuns s’aperçoivent que certains avaient déjà pris pied sur l’île bien avant l’indépendance algérienne qu’ils sont donc soupçonnés d’avoir anticipée.  Les partisans de l’Algérie Française, militants OAS en tête, de retour dans l’île, vont découvrir que, non seulement ils ont été trahis par la France avec le « lâchage » de l’Algérie, mais que les Pieds-Noirs pour lesquels ils s’étaient battus ne croyaient pas eux-mêmes à la Grande France. Dès lors, les intellectuels « Algérie Française » vont retourner contre la France le discours du FLN algérien qu’ils connaissent bien pour l’avoir combattu. Et, de fait, dès 1965, on dénombre treize attentats, trois ans plus tard, 35 attentats. En 1968, apparaît « Corse libre » première organisation  à se réclamer publiquement de l’indépendance. Dans les années Soixante-dix, les mouvements corsistes se radicalisent, après le scandale des boues rouges (les déversements de produits chimiques de la Montedison), tandis que plusieurs mouvements sont créés sur une ligne plus nettement indépendantiste que celle de l’ARC ou même du FRC, tels le “Front Paysan Corse de Libération” dans le sud qui exige l’expulsion des « colons » de la plaine orientale, la corsisation des emplois publics et l’enseignement obligatoire du corse dès l’école primaire. C’est cette organisation qui inaugure les « nuits bleues » le 3 janvier 1974. En février 1974, le “Parti Corse pour le Socialisme” (PCS) apparaît sur la scène politique et prône ouvertement l’indépendance en proposant de créer une plateforme commune d’action à travers un “Front de Libération Nationale” où la référence à l’Algérie est transparente. Un troisième groupe, “Ghjustizia Paolina” entre en lice de façon spectaculaire avec le plasticage le 22 mars 1974 d’une caravelle d’Air Inter sur l’aéroport de Bastia. Le nombre des attentats double tous les ans entre 1973 et 1975. L’ARC dont l’action réformiste est sévèrement critiquée radicalise ses positions en dénonçant la fraude des viticulteurs pieds-noirs et lance un commando sur Aleria. La suite est connue et, en 1976, le FLNC se constitue autour du PCS, du Front Paysan Corse de Libération et de Ghjustizia Paolina.

 Sur le plan idéologique, le ressentiment contre l’invasion pied-noire se transforme en une critique du colonialisme intérieur, et prend l’Algérie comme référence parce que les acteurs de la pièce sont les mêmes qu’en Algérie : les vilains pieds-noirs d’un côté, et les OAS reconvertis dans la lutte de libération nationale de l’autre, un peu à la manière des cadres FLN qui avaient fait leurs classes dans l’armée française, notamment pendant le conflit indochinois. Mais comparaison n’est pas raison et le mythe colonial demande à être visité.

 

La Corse est-elle pour autant une colonie ou seulement une région à la traîne ?

 

L’accusation de colonialisme intérieur, formule qui eut son heure de gloire dans les réflexions tiers-mondistes des années Soixante, repose sur des approximations que les faits mettent en difficulté, voire, parfois, sur des mythes purs et simples, car retard de développement n’est pas synonyme de situation coloniale.

 

Tout d’abord, qu’en est-il historiquement des colonisations avérées ? Si nous nous en tenons à l’histoire récente et à la colonisation de l’Afrique, dans un premier temps, l’Etat s’est souvent reposé sur des sociétés concessionnaires, à l’image des compagnies des Indes au XVIIè siècle, ou comme la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale. La France est au mitan de sa mutation industrielle, elle a donc besoin de matières premières à un moindre coût ; elle veut aussi écouler sa production et les colonies présentent d’indéniables perspectives de débouchés. En conséquence, les colonies pourvoyeuses de matières premières ou de biens de première transformation et clientes de biens d’équipement ne feront pas l’objet de plan de développement industriel. Si la Corse ne se développe pas industriellement ou même voit son décollage industriel arrêté net, elle ne le doit pourtant pas à une logique d’exploitation coloniale. En effet, la France compte peu sur elle pour lui fournir des matières premières, que le faible rendement et la faible production ne rendent nullement profitables, et où l’activité de transit douanier est combattue par la réglementation douanière de 1818. La Corse n’est pas davantage un débouché au sein d’un ensemble national protectionniste, en effet sa faible démographie ne peut constituer un encouragement pour l’écoulement de biens de consommation et son développement industriel ne peut se prévaloir de constituer un débouché attractif pour les biens intermédiaires et les biens d’équipement. L’autre caractéristique des colonies est d’avoir été des lieux d’expulsion des indésirables, soit par le départ forcé comme en Algérie (1848) ou en Nouvelle-Calédonie (1871 et la relégation des Communards), soit par le travail forcé au bagne (Guyane). Rien de tout cela en Corse. Enfin, le droit colonial refuse la citoyenneté au profit d’un statut de l’indigénat qui comportait des obligations en nature. Ainsi, l’indigène devait payer à l’Etat un impôt qui, dans ces économies non monétaires, se traduisait par des journées de travail qui atteindront jusqu’à six semaines dans certaines colonies (Madagascar). Est-il besoin de préciser que les Corses ne furent jamais soumis à une telle réglementation, qu’ils furent des citoyens à part entière, qui plus est, souvent appelés à exercer les plus hautes fonctions de l’Etat ?

 

Parlons alors de la spoliation des terres et de son corollaire, la non reconnaissance des droits fonciers des sociétés colonisées, bien que sur ce point, il faudrait être nuancé ; ainsi, en Algérie, des biens fonciers incultes furent souvent mis en valeur par les colons [7]. Mais s’agissant de la Corse, personne ne s’est intéressé au foncier insulaire avant la fin des années cinquante. Et, il s’agit moins d’une spoliation de terres communes qui intéressaient peu, que de conditions avantageuses qui furent faites alors dont on suppose qu’elles auraient pu intéresser les Corses. Quant à la privatisation de communaux que cela suppose elle n’est rien de plus que ce qui s’est toujours pratiqué à travers les abus de clôture sur le Continent ou l’extension de la propriété arboraire en Corse, mais cette fois à destination de plusieurs bénéficiaires et non d’une seule famille. En outre, ce furent surtout des terres en déshérence ou des propriétés indivises qui furent visées.

 

Une seconde phase de l’ère coloniale s’ouvre au lendemain de la première guerre mondiale où l’on découvre le sort des Africains et la faillite des société concessionnaires. La nouvelle politique coloniale est celle des grands travaux de mise en valeur et de développement des infrastructures, à l’aide du travail forcé, avec, en Afrique équatoriale, un coût humain impressionnant (on parle de 20 000 morts dans les zones paludéennes), coût si exorbitant qu’un plan sanitaire est mis en œuvre. Cette situation, les Corses ne la connaîtront jamais. 

 

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Etats s’impliquent encore plus dans le développement et l’effort d’équipement dans les infrastructures, l’éducation, les usines de transformation. Mais la comparaison avec la Corse qui bénéficie également de plans de modernisation s’arrête là. En effet, les anciennes colonies souffrent d’un sous-développement chronique lié aux conditions d’échanges inégalitaires, avec une croissance du PIB inférieure à la croissance démographique. En Corse, c’est l’inverse, la croissance démographique est due à l’immigration pour l’essentiel mais pour autant la croissance de la valeur ajoutée reste supérieure et, mis à part les années creuses de 1993 à 1996,  le PIB par tête croît à un taux satisfaisant, souvent supérieur à celui de la moyenne provinciale ou même nationale.

 

graphique PIB

                Source : INSEE 2005 (deux dernières années estimées)

 

Quant à la colonisation de peuplement, certes les Arabes sont nombreux mais les Français (les pinzuti) sont soit des conjoints de Corses (faut-il trancher au sein des familles ?) soit des agents des services publics qui ne font que passer. En outre, dans ce dernier cas, la corsisation des emplois publics sur l’île relève de l’incantation que la situation réelle rend ridicule. En effet c’est d’ores et déjà une réalité tangible : les emplois publics territoriaux et hospitaliers font la part belle aux autochtones depuis des années et, en ce qui concerne la fonction publique d’Etat, la Corse est une destination déficitaire dans tous les tableaux de mutation des administrations[8]. A titre illustratif, l’annuaire du Rectorat présente une proportion de 75 % de patronymes corses... Les Corses du continent veulent-ils revenir ? Le veulent-ils, avant la retraite ? Le veulent-ils même après (le séjour au village passe rarement la date de la Toussaint) ? La Corse connaît en ce début de siècle un taux solde naturel de 0,02 % contre 0,36 % pour la France entière[9] ; les Corses ne font plus d’enfants, et si, selon les projections de l’INSEE, en 2030, la Corse approche les 300 000 habitants ce sera par l’effet des migrations, et cet effet seulement. Sans cet apport extérieur, la Corse meurt plus sûrement encore en perdant 14 000 habitants par rapport à la situation d’aujourd’hui. Allons plus loin, boutons les Français et les Arabes dehors, les Corses du Continent viendront encore moins, certains Corses de l’île partiront (suivre leur conjoint expulsés)… une Corse de retour au chiffre du début du XIXè siècle (150 000 habitants) ?

 

Pour conclure ce chapitre, notez que le refrain qui est repris en cœur par les insulaires, et pas uniquement les séparatistes (s’il en existe vraiment), est celui d’une bonne volonté corse systématiquement contrainte par une volonté extérieure, particulièrement maligne, celle de la marâtre patrie. Or pendant les vingt-cinq dernières années, de nombreuses structures de financement et de développement furent créées. Mais sans réel résultat. Tout d’abord, la Caisse de développement agricole (CADEC), véritable tuteur économique fit faillite et fut remplacée en 1999 par l’Agence de développement de la Corse (ADEC), tandis que la Caisse régionale du Crédit, agricole autre grand bayeur de fonds était en difficulté. Rien n’y fait ni s’y fait, malgré les subventions de l’Etat et de la Communauté européenne, les handicaps naturels de l’île sont là : le manque de matières premières et leur faible rendement, un espace exploitable restreint qui explique plus la faible densité que les méfaits supposés de la présence française, un relief tourmenté (l’altitude moyenne y est plus élevée que dans les Alpes, avec 10 % de superficie en plaine ou moyenne montagne). Le carcan d’une économie insulaire à faibles ressources et marché étroit favorise la concurrence extérieure et l’a toujours favorisée plus que toute loi douanière.

 

Mais ce n’est pas tout ; il n’y a pas que l’île en cause, ceux qui y habitent ont leur part de responsabilité, en présentant tous les symptômes de résistance psychologiques et politiques à l’aventure de la libre entreprise. C’est une île dont la démographie déprimée et vieillissante n’autorise que peu de débouchés sur le marché local et où la main d’œuvre qualifiée est insuffisante. La population active est en bonne partie composée de fonctionnaires territoriaux. L’encadrement manque cruellement et l’on peut s’interroger sur la pertinence des choix pédagogiques passés[10] de l’Université de Corte qui cantonnait ses ouailles dans la formation littéraire ou juridique, laissant la technique et le commercial aux Universités du Continent vers qui les étudiants ambitieux s’orientent pour ne plus revenir. Et ce n’est pas fini ! Que dire de la réticence à vendre la terre héritée des parents, avec pour conséquence un taux d’indivision affectant 47 % du territoire, ce qui gèle des terrains cultivables et limite la transmission des capitaux. Précisément, à ce manque de capitaux, s’ajoute la seule perversité de la marâtre patrie que je reconnais, savoir les aides de l’État qui maintiennent un niveau de vie artificiellement élevé et favorisent la consommation au détriment d’une économie productive. Une économie d’assistés et non de colonisés, voilà le vrai visage de la Corse.




[1] Ce fameux « or blanc » qui permet aux paysans savoyards d’alterner les activités agricoles et de tourisme (ski, randonnées, alpinisme) avec des productions industrielles de précision issues de l’industrie horlogère ou le décolletage comme dans la vallée de l’Arve, ou bien encore la métallurgie lourde, essentiellement centrée sur l’aluminium grâce aux ressources hydroélectriques, activités peu favorisées par les ressources naturelles de la Corse.

[2] Voir Corse et Sardaigne, analogie et différence, séminaire franco-italien sur l’insularité, Bastia, 1982

[3] Faut-il encore présenter les systèmes d’entr’aide des Auvergnats et des Aveyronnais, ou encore, moins connu, le monopole des Savoyards dans les emplois de déménagements des œuvres d’art (les « cols rouges » des salles des ventes) ?

[4] Le régime douanier de 1818 à 1912 n’a pas arrangé les choses même si on lui fit largement porter plus de responsabilité qu’il n’en a eu, notamment au regard des pratiques anticoncurrentielles courantes au XIXè siècle, avec la persistance de l’octroi entre communes. Il n’en reste pas moins que les marques spécifiquement corses demeurent, en nombre, confidentielles, elles en deviennent par là-même mythiques : Job, Casanis, Mattei, en furent les derniers fleurons.

[5] Nombre de gîtes ruraux : 987 dont 815 à moins de 20 km du littoral mais moins de 400 gîtes en pré-saison ou en arrière-saison (les chiffres malgré de louables efforts ne varient pas beaucoup d’année en année et surtout la disponibilité fait défaut, ces gîtes étant occupés par le propriétaire en saison !). A titre de comparaison l’Alsace, région accueillant autant de touristes et de superficie comparable propose une offre bien plus attrayante et mieux répartie géographiquement : 1805 gîtes dont moins de 300 centrés sur la plaine d’Alsace, la majeure partie des gîtes étant ouverts toute l’année – source Gîtes de France 2005. Les autres réseaux de locations de pays (minoritaires) ne permettent nullement de réduire cet écart.

[6] Rappelons que la chaptalisation qui consiste à élever le degré d’alcool des vins par l’ajout de sucre est licite mais limitée en taux et selon les zones géographiques. Ce qui est en cause ici est l’exagération de cette pratique dans le but de produire du vin de coupage qui se substitue au vin d’Algérie, en lieu et place d’un vin de qualité acceptable.

[7] D’autres exemples historiques –moins polémiques– peuvent être évoqués. Ainsi la colonisation des hautes terres du Languedoc par les légionnaires romains qui dépierrèrent des milliers d’hectares de terres réputées incultes et laissées à l’abandon par les Gaulois. En règle générale, les colons s’attaquent souvent aux marges foncières et c’est la demande de main-d’œuvre qui détourne alors les paysans de terres moins rentables parce que cultivées à l’aide de techniques obsolètes, au profit de territoires plus rentables mais où ils ne sont plus qu’employés par un patron. Ce faisant les conditions qui leur sont faites les détournent de leur propre exploitation qui, alors, sera rachetée. La mécanique de transfert de propriété est plus indirecte qu’une simple spoliation directe (annexe 8).

[8] En clair, personne ne veut y aller !

[9] Economie corse INSEE n° 98 – 2002

[10] Des efforts récents peuvent être notés mais il est encore trop tôt pour en tirer un bilan. A ce sujet, l’implantation de la première année de médecine est une expérience sur laquelle il faudra revenir.


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C’est une histoire de mythes et d’identité : la question corse qui fait souvent l’actualité
a tordu la mémoire des faits. Le tout grâce à la
réécriture de l’Histoire de l’île et à la mythologisation de la langue


Allons plus loin déshabillons le paon pour découvrir le poulet qui est dessous. La Corse fut-elle le phare des Lumières ? Y-a-t-il eu une Corse vraiment indépendante et que voulaient les Corses sous Paoli ?


La Corse s’est ralliée. A-t-elle combattu ? La Corse eut-elle un comportement si différent des autres provinces de la République française ? Le ralliement fut-il facile ? A-t-elle cru se découvrir un destin ?


La petite île a-t-elle voulu donner des gages ? S'est-elle imaginé un Empire par
procuration ? Lors de l'occup', fut-elle exemplaire ? A-t-elle des leçons à donner ?

Une fois l’Empire colonial effondré, que devient la petite île ? Veut-elle s’en retourner à son passé glorieux mais confisqué et veut-elle enfler ses mythes pour les vendre à l'encan ?


Les mythes se portent bien, ils se sont même diffusés partout. Faut-il en rester là et faire du chantage à la Dette ? Ou bien, au contraire, est-il possible que l'île envisage de sortir du mythe et arrive à affronter la réalité du monde moderne ?


Pour approfondir un peu...

Mystères de la démographie

Combien de corsophones ?

Cartographie des révoltes

La taxation des échanges

La question des pertes de la guerre de 14-18

Un sort différent fait aux Corses pendant la Der des Der ?

La question foncière

Quelques sources

La convention de Philadelphie | quelques données sur les îles | la question sarde | le tableau des expatriations nettes | la constitution de 1735 | alphabétisation des conscrits 1878 | mobilisables 1911/-1921 |

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